Covid-19 : la farine coule à flot


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Publication PUBLIÉ LE 24/03/2020 PAR Anne-Lise Durif

« Entre la journée du lundi et la matinée du mardi, juste avant le confinement, on a vendu en direct à la boutique l’équivalent de notre mois de mars habituel », raconte Gaétan Boiron, minotier à La Crèche dans les Deux-Sèvres. Même son de cloche à la minoterie de Courçon en Charente-Maritime : « on a été submergé par les commandes, aussi bien par les boulangeries que les grandes surfaces », explique son directeur Denis Riffaud, qui compte une quarantaine de boulangeries du Poitou-Charentes dans ses clients, et une poignée de supermarchés : « La plus grosse demande est venue des GMS. D’habitude, on leur livre environ 2 palettes de paquets de farine de 2 kg par semaine. La semaine dernière, on a dû livrer en moyenne 6 palettes par jour. Tout le personnel a dû travailler toute la semaine y compris le samedi ». Même les grosses structures comme la minoterie Bellot, à Saint-Martin de Saint-Maixent dans les Deux-Sèvres, ont dû mettre les bouchées doubles sur la transformation et les livraisons. « On a dû doubler voire tripler nos livraisons », estime son président Jean-Claude Bellot, dont le carnet d’adresses compte un petit millier de clients, des boulangeries aux supermarchés, en passant par l’industrie agro-alimentaire (manufactures de pains, viennoiseries et pâtisseries).

A Courçon (17), la minoterie des années 1920 continue de moudre à l’ancienne une farine de tradition issue du blé des agriculteurs de l’Aunis.

Le moulin de Courçon produit 1 tonne de farine par heure, au rythme de quinze heures de production journalière. 

A La Crèche, Gaétan Boiron a même « incité » sa clientèle régulière – une trentaine de boulangers et trois grandes surfaces du Poitou- à se faire livrer en plus grosse quantité, pour anticiper les semaines à venir. « Par exemple, un boulanger que nous livrions tous les huit jours, on lui a livré un stock pour quinze jours. Je les ai appelés un par un en début de semaine pour organiser les rendez-vous et des livraisons dans les meilleurs conditions sanitaires possibles. L’idée, c’était de limiter les sorties au maximum, pour eux comme pour nous. Et de respecter au plus près les mesures de confinement  », explique le minotier deux-sévrien.

Après la hausse, la baisse

Alors, ce confinement serait-il une aubaine pour les minoteries et la filière céréales ? « Pas sûr qu’on ait vendu plus, à l’échelle d’une année », estime Denis Riffaud. « Certes, ça a boosté les commandes sur le coup et le chiffre d’affaire avec, par rapport à un mois habituel », renchérit Jean-Claude Bellot, « maintenant, il faut voir ce que ça va donner sur du long terme. » Les minoteries s’attendent à voir leur chiffre d’affaires de la semaine dernière se lisser, pour ne pas dire se diluer, dans les semaines à venir. « Tout va dépendre de la durée du confinement », estime le dirigeant deux-sévrien. En ce début de semaine, la demande est stabilisée, voire à la baisse. « Les boulangers indépendants comme ceux des GMS ont dû faire face à une grosse demande la semaine dernière, au point que nos clients n’avaient même plus de temps de faire des pains spéciaux, qui demandent plus de travail. Sur le coup, ils ont dû privilégier la quantité. Depuis, les consommateurs ont  fait du stock et l’effet s’est ressenti très rapidement », explique Jean-Claude Bellot. Quelques-uns de ses clients boulangers lui ont rapporté avoir dû jeter une partie de leur production en fin de semaine, les clients ayant finalement déserté les boulangeries. « Aujourd’hui, les boulangers ne savent pas ce qu’ils vont vendre. On voit au jour le jour », poursuit Jean-Claude Bellot, qui a mis son personnel administratif en télétravail et ses commerciaux en congés, « pour nous, c’est un fonctionnement de vacances d’été. On ne prend pas de nouveaux contrats mais on assure le suivi à distance de nos clients annuels ».

 Il faut dix étapes de broyage et autant de tamisage entre chaque mouture pour obtenir 80% de farine blanche de blé dur (60% en blé tendre).

Il faut dix étapes de broyage et autant de tamisage entre chaque mouture pour obtenir 80% de farine blanche de blé dur (60% en blé tendre). 

Une inconnue sur l’export

« L’avantage de nos petites structures, c’est qu’on peut s’adapter très vite à la demande », estime Gaétan Boiron, prêt à répondre à une nouvelle forte demande si elle survient. La région ne manque pas de stock de céréales. Les minotiers fonctionnent actuellement avec les réserves de la récolte de l’été dernier. Les silos sont suffisamment remplis pour que la filière arrive encore à répondre à la demande. « Les stocks sont prévus d’une année sur l’autre pour alimenter le marché sur douze mois, de juillet à juillet de l’année suivante », explique Yvette Thomas, la vice-présidente de la coopérative Océalia, qui fournit notamment la minoterie Boiron. « L’inconnue des prochaines semaines se situe plutôt sur la situation de l’exportation ». La filière céréales comme les minoteries de la région fournissent le port de La Pallice et l’export représente au moins la moitié de leur chiffre d’affaires.  « Combien de temps le port va-t-il encore fonctionner ? Combien de temps encore les pays étrangers vont-ils accepter des denrées étrangères arrivées par bateau ? », s’interroge Yvette Thomas, « la grève des dockers durant le mouvement des gilets jaunes avait durement touché la filière. Si le port de La Pallice se met à l’arrêt, l’impact sera d’autant plus important». Au-delà de l’aspect économique, les enjeux sont aussi agricoles. «On a besoin de vider les silos pour pouvoir les réalimenter à partir de juin avec la première récolte, celle des orges », précise Denis Riffaud.

 Du retard sur les semis

Pour l’instant, l’heure n’est pas à l’affolement. « La période des semis est arrivée très tardivement, car on a eu beaucoup de pluie et des sols gorgés d’eau. Selon les parcelles, les céréaliers n’ont pas pu semer leur blé dur avant janvier, alors qu’on le fait généralement en octobre-novembre de l’année d’avant », explique Yvette Thomas. La récolte pourrait donc prendre également un peu de retard, mais tout va dépendre des conditions climatiques. « On sait déjà qu’on aura entre 20 et 25% de production en moins que l’an dernier, à cause des céréales qu’on n’aura pas pu semer. Et le coronavirus n’y sera pour rien », plaisante-t-elle à moitié. Pour l’instant, le virus ne semble pas mettre trop à mal la filière. Contrairement au maraîchage qui peine à trouver de la main d’œuvre, la filière céréales n’a pas besoin de bras supplémentaires pour le moment. « Ce n’est pas encore la saison, et nos céréaliers sont suffisamment outillés pour faire ce qu’ils ont à faire en cette saison seuls ou avec leurs salariés permanents », assure Yvette Thomas. Les agriculteurs sont actuellement dans une phase de préparation des sols pour semer les tournesols et les maïs. Objectif : préparer la récolte et les stocks de la saison 2020-2021.

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