Interview: Pierre-René Lemas: Que la Caisse des Dépôts redevienne la Caisse des territoires


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 26/05/2016 PAR Joël AUBERT

@qui ! — Comment la Caisse des Dépôts s’apprête-t-elle à jouer son rôle au sein du nouveau périmètre régional et intercommunal né de la réforme territoriale de la loi NOTRe ?
Pierre-René Lemas
— La Caisse, pendant des décennies, a été connue comme un outil d’aménagement du territoire. Souvenons-nous, ici, de la MIACA, la Mission d’améngament de la Côte Aquitaine ; elle accompagnait le développement des territoires avec l’idée de progrès. Au fur et à mesure du temps, la Caisse a évolué, est devenue un grand outil financier autour des années 1990 — 2000, des années de la financiarisation de l’économie, de la globalisation, de l’ouverture des marchés.

La France n’avait pas tellement d’outil public pour intervenir dans un monde global. La Caisse des Dépôts était devenue le grand outil de financiarisation de l’économie, à l’initiative des Pouvoirs Publics, en France. L’époque ou la Caisse créée une banque qui deviendra Natixis qui a été privatisée et qui est le cœur des Banques Populaires ; c’est aussi l’époque où la Caisse abandonne, un peu, le financement des collectivités locales et laisse une filiale vivre sa vie, de façon autonome. C’est Dexia qui s’appelait, avant, Le Crédit Local de France. Et puis vint le mariage avec les Belges, l’ouverture internationale. La Caisse des Dépôts se retire et ça devient un grand outil financier, mais le résultat pratique, c’est que ça se termine mal. Et que l’on revient vers papa et maman.

Après la crise de 2008, on entre dans une autre période ou on a besoin de redévelopper notre tissu économique et industriel, de refaire de l’aménagement du territoire.

Mon projet aujourd’hui : que la Caisse des Dépôts redevienne la Caisse des territoires. Ce n’est pas l’aménagement du territoire comme on le faisait sous Jérôme Monod ou Olivier Guichard ; nous sommes plutôt dans l’aménagement des territoires. Nos deux grandes orientations ce sont les territoires et l’investissement. L’économie n’est pas hors sol ; elle est dans les territoires. À Paris on parle des ETI des PME ; ici nous sommes dans des écosystèmes locaux, là où une entreprise a besoin de prendre contact avec la Chambre de commerce, la collectivité locale, l’incubateur qui a été financé par la Région et qui peut lui apporter de l’innovation ; ça ne se voit pas de Paris. La réalité économique de terrain, c’est cela. Et c’est celle qui nous porte.

Une antenne à Pau le 1° octobre

@qui ! Après ce rappel historique, cette mise en perspective, comment donc vous organisez-vous pour coller au nouveau paysage institutionnel ?
P-R.  L. — Il fallait s’adapter à la nouvelle carte territoriale, effective depuis le 1° janvier. Cela nous l’avons fait et c’était effectif, en effet, au I° janvier. Nous avons des directions régionales, mais nous avons fait un choix : nous gardons malgré tout, nos implantations dans les anciens chefs lieux de Région. Nous gardons des Directions déléguées qui sont placées sous l’autorité du directeur régional, de la directrice régionale ; on ne ferme pas à Poitiers on ne ferme pas Limoges. Et, même, nous sommes partis de cette idée de bon sens qui n’est pas partagée par tout le monde : plus le cadre régional est large, plus on a besoin d’implantations territoriales. La régionalisation va se traduire par un effet tout à fait paradoxal, c’est-à-dire moins de présence sur le territoire. Le débat est déjà vif sur le terrain politique.

Nous avons fait ce choix délibéré ; on va donc créer des antennes infrarégionales qui n’existaient pas. Par exemple nous allons créer une antenne à Pau, le 1° octobre, comme nous l’avons fait à Chambéry que j’ai inaugurée, il y a un mois. La Caisse des Dépôts, c’est un établissement public depuis 200 ans avec des filiales qui se sont créées, au fur et à mesure du temps ; nous essayons d’avoir des équipes de la Caisse des Dépôts qui bénéficient des implantations de nos filiales. Donc nous créons une logique de groupe et c’est un peu nouveau.

@qui ! — Et comment intervenez-vous sur le plan financier ?
P-R . L.
— S’agissant de l’accompagnement des politiques publiques, la Caisse propose aux acteurs locaux différents types de produits : des prêts pour le logement social, pour les collectivités locales, des prêts aux projets : ça va jusqu’à Lisea, la ligne LGV Bordeaux-Tours-Paris ; nous sommes à la fois opérateurs et prêteurs… Là, je ne suis pas toujours d’accord avec la SNCF, mais plutôt d’accord avec Rousset et Juppé.

Nous prêtons aux collectivités locales pour des projets, par exemple la ville de Libourne qui a un beau projet de réhabilitation de centre-ville ; à Bordeaux nous avons rencontré le Port dont j’ai compris qu’il voulait avancer sur les projets du Bassin à Flots et, notamment, sur le port de plaisance ; nous allons les accompagner. Nous apportons en fonds propres pour capitaliser les entreprises, bâtir des produits pour les Sem, les outils d’économie mixte.

Nous ne pouvons pas subventionner, et je dois l’expliquer parce que notre argent c’est l’argent du livret A ce n’est pas notre argent ; c’est celui de l’épargnant : ça oblige. Des prêts pour renforcer les fonds propres des entreprises peuvent être orientés vers les projets d’avenir, ce qui touche la transition énergétique, le numérique, le tourisme.

Une logique de service publicNous mettons à disposition des collectivités de l’ingénierie : juridique, technique, financière. Avec la situation financière des collectivités locales, comme de l’État, on peut tabler de moins en moins sur les subventions.

Nos collectivités locales n’ont pas l’ingénierie qui leur permet de boucler la boucle ; les brancher sur les bons tuyaux des financements pas chers qui existent, par exemple au niveau européen, nous pouvons les y aider. En plus, la Caisse des Dépôts est une vieille dame de 200 ans, c’est une maison robuste : si la Caisse le dit, cela représente une crédibilité.

Dans notre ingénierie il y a aussi un métier qu’on peut développer, le conseil aux collectivités locales. Un outil existe depuis longtemps : Mairie-conseils ; c’était pour toutes les petites communes, mais on s’est aperçu, au fur et à mesure que le temps passait, que le savoir disparaissait de plus en plus. Nous avons élargi la cible de Mairie-conseils aux communes jusqu’à 15 000 habitants et à toutes les communautés de communes. Nous sommes en train, aussi, de bâtir une capacité d’intervention sur le Net. Localtis ça existe depuis très longtemps c’est une newsletter quotidienne pour les collectivités locales. Nous nous sommes rendu compte, là aussi, que les collectivités locales sont paumées.

Nos produits c’est donc de l’ingénierie, des prêts, des apports en fonds propres… Notre idée c’est que les directions régionales doivent sortir de leurs murs et expliquer cela aux collectivités et aux acteurs locaux.

La gamme des prêts, pour l’élargir, nous sommes sortis du classique. Sur la base des fonds propres de la Caisse nous faisons des prêts à taux zéro sur 20 ans, pour la rénovation thermique des bâtiments. Comme les maires nous avaient signalé leurs difficultés à faire de l’autofinancement, on finance 100 % de la rénovation d’une école, dans une commune rurale, des collèges dans un département, des lycées dans une Région. Nous faisons aussi des prêts croissance verte.

Nous sommes dans une logique de service public :
1. il y a un besoin de rénovation
2. il y a des dossiers partout, ça fait donc du boulot partout pour le bâtiment, immédiatement.
3. ça va générer des économies d’énergie, c’est vertueux d’un point de vue écologique, mais aussi sur le plan financier parce qu’à terme ça génère des économies de fonctionnement. Nous faisons d’une pierre trois «  coups. À titre exemple on vient de financer la rénovation de la salle polyvalente de Saint-Gervais en Gironde pour 400000 € et nous allons finaliser un prêt de 5 millions d’euros pour le CHU de Bordeaux.

J’ajoute ce qui nous tient beaucoup à cœur : nous souhaitons nouer des partenariats un peu longs avec les collectivités locales : on leur demande quels sont leurs projets sur le long terme à 2 ans 3 ans, 4 ou 5 ans. Nous leur disons : « nous sommes prêts à vous accompagner » ; nous allons le faire avec Bordeaux-Métropole .. Nous l’avons fait avec toutes les grandes métropoles ; il restait à le faire avec Bordeaux et Toulouse. Cette approche concernera, aussi, les villes moyennes. Nous l’avons lancé à Libourne pour des projets de développement de centre-ville ; pour des villes entre 5000 et 100.000 habitants, à partir desquelles on peut irriguer un tissu rural alentour.

Si la Caisse des Dépôts a un rôle à jouer, c’est de revenir sur les territoires. Nous sommes en train de tout déconcentrer. Quand on a un problème dans la Grande Région on s’adresse à la Caisse des Dépôts au directeur délégué, la décision sera prise à Bordeaux par la directrice régionale, ce qui ne veut pas dire que le dossier n’aura pas été instruit au plus près de la demande.

Tout cela, si j’additionne les sommes en jeu, représentera un milliard de prêts, en 2016, pour la grande région. Nous signons des conventions de partenariat avec Bordeaux Métrople, avec Grand Poitiers et, loin d’en partir, on y inaugure de nouveaux locaux. Nous sommes dans notre métier, nous sommes une maison de service public des territoires, dans un univers concurrentiel.

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