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L'ÉDITO

 par Joël AUBERT Joël AUBERT
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01/10/2011

Après France-Tonga: quand notre rugby perd son identité…

Bravo les îles Tonga, vous êtes beaux et vous avez une âme.

A la limite, si nous devions nous sentir humiliés, ce n'est pas tant parce que nous avons perdu un match, d'ailleurs en nous qualifiant pour rencontrer en quart de finale nos « ennemis héréditaires » de la Rose. Non, ce serait à cause de la disparition qui semble lente et irréversible de l'identité du rugby français. De cette geste qui nous faisait hurler de joie quand André Boniface réussissait, en pleine course, une passe croisée avec son frère Guy, quand Pierre Villepreux, jaillissant de l'arrière venait s'intercaler entre ses centres, entre Jean Trillo et Jo Maso, et créer le décalage qui allait envoyer à l'essai le véloce Campaes. En un mot de l'oubli de ce « french flair » qui prenait à contre pied toutes les équipes du monde et signait une façon de jouer. Un talent singulier qui savait conjuguer, sans les confondre, la force des avants, la vista des troisièmes lignes, d'un Michel Crauste, d'un Jean-Pierre Rives et la classe des arrières, lancés par des demis du nom de Richard Astre ou Pierre Albaladejo.

Certes, entendons-nous, déjà, la réaction des chantres du rugby d'aujourd'hui: ils nous objecteront le grand air de la nostalgie. Eh ! bien non messieurs la nostalgie ne nous habite pas quand nous prétendons que le rugby de France est en mal d'identité. Et un autre sélectionneur, fut-il Philippe Saint-André, nommé bizarrement avant la Coupe du Monde - drôle de cadeau fait à Marc Lièvremont et à son  magistère - n'y changera pas grand chose. A moins que le rugby français, et ceux qui le gouvernent, ne consentent  à réfléchir à la disparition de ce qui a fait son identité, aux valeurs dont il était porteur. Et que l'on ne nous objecte pas, non plus, que le professionnalisme importé des pays de l'Hémisphère sud, sous la pression d'un magnat de la presse mondiale, Rupert Murdoch qui voulait du combat pour les besoins de la télévision, serait seul à l'origine de ce désastre. Hélas, aujourd'hui, il faut très vite que nos gamins qui ont pourtant appris, au cœur des écoles de rugby de nos villages, à éviter l'adversaire, à se  passer le ballon, acceptent de soulever des tonnes de fonte pour rivaliser avec les body-buildés du championnat, à entrer dans les rucks la fleur au fusil et à « nettoyer » tout ce qui traîne au mauvais endroit... 

A ce jeu-là nous serons, sauf exception, un jour de chance ou de surdétermination, toujours battus et rebattus par des néo-zélandais fermiers dans l'âme et fiers entre tous. Nous serons écrasés par les Springboks bien plus forts et incapables de se rendre, nous serons  mangés par les Pumas qui se sont faits les crocs les dimanche d'hiver dans la noirceur des regroupements du côté de Clermont-Ferrand ; nous serons même battus par des Anglais aussi retors que perfides.

Cette culture là qui a pris son essor sous un aboyeur nommé Bernard Laporte, au prétexte que la France décrochait du niveau  des autres grandes nations du rugby, n'est pas le nôtre. C'est un ersatz d'où émerge, encore, le temps d'une course rectiligne un Vincent Clerc magnifique, ultime représentant d'une illusion perdue.

Il faut tout reprendre à zéro, réussir la synthèse entre la force, la vitesse et le geste, éloigner les feux follets des batailles sans fin, leur rendre leurs couleurs, et commencer par le bas avec humilité et ferveur en écoutant battre le cœur des gamins de Tyrosse ou d'ailleurs et celui de leurs éducateurs.

Joël Aubert

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