A Cordouan, les derniers gardiens de phare en mer s’apprêtent à tirer leur révérence


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 20/10/2008 PAR Nicolas César

« On ne peut pas abandonner ce phare ! C’est une œuvre d’art. Avez-vous vu la beauté du bâtiment, l’épaisseur de cette pierre de taille, la qualité de l’architecture et ses ornements royaux ? », interpelle Jean-Paul Eymond, marié, deux enfants. Ce gardien parle de « son » phare, celui de Cordouan, le plus vieux de France, entré en service en 1611 pour veiller sur l’estuaire de la Gironde. C’est le dernier phare en mer encore gardé. Aujourd’hui, Jean-Paul prend la relève de ses deux collègues pour quinze jours. L’émotion le traverse. Les yeux sont humides. D’habitude, ils parlent de leur vie, de leurs enfants, mais depuis quelques mois, une question les hante : que va devenir le phare ? L’administration a décidé de l’automatiser à la fin de l’année prochaine. Les gardiens vivent donc ici leurs derniers mois. Et leur émotion est visible. Jean-Paul parle du phare avec l’émerveillement d’un enfant, malgré ses 56 ans. « Quand j’ai vu ce bâtiment en 1977 pour la première fois, je suis tombé amoureux », raconte-t-il.

Cordouan, un phare classé monument historique
Considéré comme le « Versailles de la mer », Cordouan, le « roi des phares », classé monument historique en 1862, est unique en France. Situé à sept kilomètres de la côte, le phare en impose avec sa stature royale et sa tour blanche, haute de 68 mètres, en pierre de Saintonge. Un appartement, décoré de pilastre aux monogrammes de Louis XIV et Marie-Thérèse, y a même été aménagé, au premier de ses six étages, pour accueillir le roi, même s’il n’est jamais venu. Au deuxième étage, une chapelle, la seule existant dans un phare en France, couverte d’emblèmes monarchiques d’Henri III et d’Henri IV, et de beaux vitraux datant de 1853 représentant sainte Anne, sainte Sophie, saint Michel et saint Pierre, rappellent au visiteur qu’il est dans un « lieu sacré ». Pour Jean-Paul, catholique, le phare a quelque chose de mystique. « Ce lieu est apaisant. Il nous amène à réfléchir sur nous-mêmes, sur la vie… »

« Nous sommes fiers d’avoir préservé l’œuvre d’un grand bâtisseur, Louis de Foix », confie, pour sa part, Serge Andron, gardien au phare de Cordouan depuis 1979. Pour cela, cet homme de 57 ans, marié, reconnaît qu’il a « sacrifié » sa vie de famille et n’a pas vu vraiment grandir ses trois enfants. « C’est un choix. Je ne regrette rien. C’est un livre qui se ferme. C’était une vie paradisiaque, une grande maison. Je préfère ne pas y penser. J’aurais aimé transmettre mon métier. Cela fait mal au cœur », avoue-t il, déchiré. À ses côtés, sa femme approuve. « Il y aura un manque. J’appréhende de le voir revenir à la maison, car même lorsqu’il est en congé, il va au phare. »

Un savoir-faire, un métier qui disparaît
Son ami Paul Luceyran, 47 ans, qui sera le dernier gardien du phare de Cordouan, sait déjà qu’il va regretter cette vie-là. Une vie menée à deux, presque comme un couple, mais chacun de son côté. « Ici, nous sommes libres, nous n’avons pas d’horaires fixes. Nous ne nous ennuyons jamais. Nous bricolons dans le phare, nous pêchons et nous nous retrouvons pour les repas. » Paul est un amoureux de la solitude. « Je resterai jusqu’à la fin. Mais la décision est prise en haut lieu. Que peut-on faire ? », se demande-t-il, avec un sentiment d’impuissance. Déjà, leur nom a changé. Ils sont désormais « contrôleurs des travaux publics de l’État ». « C’est un métier, un savoir-faire, qui disparaît », regrette Jean-Marie Calbet, président de l’Association pour la sauvegarde de Cordouan. En 2006, il a donc proposé de conserver Cordouan comme phare école. « Il existe toujours une école à Brest, dans le Finistère, mais la formation n’est plus la même. Ils sont dans une logique de dépannage. Avant, nous étions dans une logique d’entretien, de préservation », déplore-t-il.

Sans se faire d’illusions, les gardiens du phare de Cordouan ont encore une lueur d’espoir. Car en réalité, ils ont déjà obtenu un sursis. Depuis 2005, le phare doit être automatisé. Tout est prêt. « Depuis 2006, c’est un automate qui fait démarrer les groupes électrogènes et le feu. Il n’y a plus qu’à déporter les alarmes au centre d’exploitation à terre pour l’automatiser entièrement, souligne Jean-Paul Eymond. Et depuis deux ans, nous ne sommes plus que trois gardiens titulaires pour le garder, au lieu de cinq. Nous sommes obligés d’embaucher des étudiants pour compenser notre manque d’effectifs. »

Le phare est-il sauvé ?
Mais désormais, le péril est plus grand. « Je crains que, cette fois, en ces temps de crise, les restrictions budgétaires de l’État n’aient raison de Cordouan », concède Jean-Marie Calbet, qui avait empêché la fermeture et la vente du phare en 1980. D’autant que le phare doit subir d’importants travaux de rénovation, de l’ordre de 10 millions d’euros. Le comité de pilotage, créé en 2006, comprenant élus et associations, recherche toujours une solution pour financer les 300 000 € par an du gardiennage. Sachant qu’actuellement, les recettes générées par les visites de 30 000 touristes chaque année rapportent déjà 100 000 €. « Mais ils ne feront pas l’entretien. Le phare va se dégrader, comme en Bretagne, où les phares automatisés sont en train de pourrir », conclut Serge Andron, dernier chef du phare de Cordouan.

Ceci étant, lors du dernier comité pilotage, en préfecture, le conseil général de la Gironde s’est engagé à prendre en charge leurs salaires, en attendant que le Syndicat mixte pour le développement durable de l’estuaire de la Gironde (Smiddest) reprenne la gestion du phare. « C’est une très bonne solution », se félicite Jean-Marie Calbet, président de l’Association pour la sauvegarde du phare de Cordouan. Reste maintenant à faire accepter cette décision par le conseil d’administration du Smiddest et à trouver 10 millions d’euros pour restaurer ce « Versailles de la mer ».

Nicolas César

Crédits photo : Aqui!

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