En Gironde, le label HVE fait des petits


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 19/12/2019 PAR Romain Béteille

C’est une étude de l’institut britannique IWSR qui l’affirmait début décembre : la France pourrait devenir le premier consommateur de vins bio en 2021, devant l’Allemagne, et représenter 20% de la consommation mondiale en 2023. Au niveau mondial, la consommation de vin bio a quasiment été multipliée par deux depuis 2013 : il représente aujourd’hui un marché de 3,3 milliards d’euros sur un total de 165.

Carte des vins

Ces projections sortent dans où le vignoble bordelais n’a pas vraiment la côte : lors de son assemblée générale annuelle le 16 décembre dernier, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux chiffrait « une crise sans précédent », avec des volumes de commercialisation en baisse de 12% pour la campagne 2018-2019, et « une baisse de la valeur d’environ 4% » selon son président, Bernard Farges. En cause : un export empêtré dans une crise majeure, mais aussi de nouvelles habitudes de consommation. L’un des objectifs clairs de l’interprofession pour continuer à séduire les consommateurs (et à convertir les exploitants), c’est de réduire le taux de pesticides dans les vins et d’aller vers des modes de production plus durables. Mais dans la course aux démarches responsables, la multitude de logos et stratégies commerciales ont tendance a emmêler un peu les pinceaux des amoureux du vin : Agri Confiance, Terra Vitis, label Agriculture Biologique, vins produits en biodynamie (Biodivin, Demeter), vins naturels, Écocert, Nature et Progrès, Système de Management Environnemental ou Haute Valeur Environnementale, autant de certifications formant au final une carte très hétérogène.

Alternative à trois lettres

Une fois n’est pas coutume, c’est du dernier exemple dont nous allons parler aujourdhui. La certification HVE occupe depuis quelques mois une place de plus en plus importante dans le volume des exploitations engagées. Il faut dire que la démarche, décrite comme volontaire, est poussée au niveau national, notamment depuis 2017 au travers des États Généraux de l’alimentation et des objectifs affichés du gouvernement : 15 000 exploitations certifiées HVE en 2022 et 50 000 en 2030. La filière vin, elle, s’est fixée un niveau à 50% des exploitations en HVE ou bio d’ici 2025, et 100% des caves coopératives engagées dans une démarche de certification. La région Nouvelle-Aquitaine va plus loin : au travers de son programme NéoTerra, elle vise 80% des exploitations certifiées par l’un des deux labels d’ici 2030.

Issu du Grenelle de l’environnement de 2007, le HVE a en réalité été mis en place depuis 2012, et il est pour l’instant composé de trois niveaux. Le niveau 3 est évidemment le but final. Il permet de répondre à quatre critères principaux : l’entretien de la biodiversité (à la fois dans les aménagements paysagers de l’exploitations mais aussi d’installations comme des ruches ou des nichoirs), l’incitation à la baisse de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (méthodes alternatives, part des biocontrôles ou des surfaces non-traitées), la fertinisation (couverture végétale, bilan d’azote…) et enfin le gestion pratique des prélèvements d’eau pour l’irrigation. La deuxième solution pour l’obtenir, à savoir un « indicateur global prenant en compte la part des intrants par rapport au chiffre d’affaires », est bien moins populaire que la première, si l’on en croit Yann Montmartin, responsable environnement au sein de la Chambre d’Agriculture de la Gironde. À la clé, dans les deux cas, un logo officiel à poser sur toutes les étiquettes des bouteilles (ou des produits).

Les techniciens de la Chambre insistent : pas question pour le HVE de concurrencer le bio. « En terme commercial, il n’y a pas beaucoup d’intérêt à être HVE puisque le bio va beaucoup mieux se valoriser mais dans la grande distribution, certains (Intermarché par exemple) demandent pour toutes leurs marques, même bio, le HVE. Plusieurs bio sont intéressés par le HVE, ils ont envie d’étoffer leurs pratiques. Les metteurs en marché veulent aussi que les exploitations soient certifiées », continue Yann Montmartin. « Il y a un autre avantage : le cahier des charge est ministériel. Plus il y a d’exploitations, plus ceux qui ont des marchés liés au HVE vont devoir suivre le cahier des charge, qui est amené à évoluer ». Un moyen pour le Ministère de faire les comptes plus efficacement, sachant que la certification HVE niveau 3 est sousmise à une nouvelle validation tous les trois ans.

La Gironde en tête

Côté chiffres, pour ce qui est des exploitations girondines, où en est-on ? Selon les chiffres arrêtés au 1er juillet 2019, la Gironde est sans conteste le département où on en dénombre le plus (23% des exploitations françaises) : 513 au total, et la très grande majorité (presques toutes, en fait, si l’on en croit cet annuaire par département) sont des exploitations viticoles. Une tendance qui n’est pas uniquement girondine : sur les 2344 exploitations certifiées HVE en France, 1904 sont viticoles. Les grandes cultures (101), l’arboriculture (133) et le maraîchage (63) commencent à s’y intéresser. Pour les chambres, même si la démarche est volontaire, le but est de jouer collectif. En Gironde, par exemple, on propose une formation de préparation à un audit qui passe par la « maîtrise des indicateurs de performance », et des stages « passeport HVE », dont le prochain calendrier note une accélération à partir de mars. « Le coût de revient de la formation à l’exploitation est financé en grande partie par l’organisme de formation, le coût d’accompagnement est limité à une visite. C’est globalement moins cher en collectif, parce que l’organisme certificateur échantillonne, il ne va pas chez tout le monde ».

La région pousse également le HVE : la première voie (440 euros) est plus subventionné que la seconde (200 euros). Elle ne finance pas directement les agriculteurs mais « des structures de conseil référencées dans le cadre de la certification environnementale accompagnant les exploitations agricoles ». « Rien ne dit que la région continuera son système collectif, elle fait ça pour lancer la machine, elle va petit-à-petit laisser les filières s’en occuper », prédit ainsi le technicien de la Chambre. Cette dernière, en 2019, a délivré 25 formations passeports HVE, formé 242 exploitations et près de 200 exploitations ont été nouvellement certifiées (essentiellement via le cadre collectif). Cette dynamique va s’accélérer en 2020 : 20 formations sont prévues entre janvier et avril, le tout, et c’est assez nouveau, en partenariat avec ODG, caves coopératives et négociants, eux aussi en demande. La Chambre d’Agriculture de la Gironde vise ainsi 200 à 250 nouvelles visites de certifications pour l’an prochain. 

L’exemple local

Isabelle et Didier Gil se sont lancé dans la démarche. En 2017, le Château Haut-Peyrat, domaine composé d’une vingtaine d’hectares à Cambes (à une vingtaine de minutes de Bordeaux), a été certifiée HVE. « C’était le rêve de mon mari », témoigne Isabelle. « Quand on a refait la propriété il y a six ans, ce qui nous intéressait, c’est qu’il n’y avait pas que de la vigne sur ce site. C’était 40 hectares avec des bois, des prairies. Depuis six ans, on s’attache à faire vivre cette nature, à la respecter. On s’est dit : quitte à partir d’une feuille blanche, autant mettre en place des choses durables ». Les deux propriétaires n’ont pas ménagé leurs efforts. C’est grâce à un dispositif de récupération des eaux de pluies (sur les 1820 mètres carrés de toiture du bâti) qu’elle fournit en eau le pulvérisateur de traitement de ses vignes ou l’arrosage des jardins du château.

HVE 2019

En matière d’énergie, ce domaine classé en Cadillac Côtes de Bordeaux est allé plus loin que la certification : il utilise les sarments de ses vignes pour chauffer la quasi-totalité des bâtiments et thermoréguler son cuvier pendant la vinification. Le volume de sarments qui ne permet pas une autosuffisance totale, est completé par de la plaquette forestière (broyage des résidus issus de l’entretien des forêts). Les CMR y sont bannis (dans le HVE, le biocontrôle est considéré comme un bonus, mais aucun malus n’est octroyé en cas d’utilisation de CMR), remplacés par le cuivre et le soufre, la pulvérisation de produits de synthèse « limitée aux stades les plus sensibles » et réduite grâce à l’utilisation de SDN (Stimulateurs de Défenses Naturelles). Pour limiter la propagation de ses effluents, il a mis en place une statuin de traitement autonome.

« Rien ne nous oblige à avoir un matériel récent pour limiter la dérive des produits diffusés, ce que nous avons. Ces bonnes pratiques sont valorisées dans le HVE alors qu’elles ne le sont pas dans une certification produit comme le bio. Lors de l’achat de notre équipement, en 2014, on s’est équipés d’un pulvérisateur face par face avec puces anti-dérives pour pulvériser la zone qu’on souhaite, avec un débit contrôlé par un ordinateur. Depuis cette année, nous avons totalement arrêté le désherbage chimique et investi dans des lames interceps et des disques émotteurs », affirme Manon Dhabit, directrice technique et ingénieur agronome formée à Bordeaux Sciences Agro. Le tout, évidemment, a un coût très important, mais les deux propriétaires, affirment être en capacité financière et aidés par des subventions. « Notre chaudière à sarments ne coûte pas plus cher qu’une autre chaudière si on prend en compte la taille du domaine », précise notamment Isabelle, qui « espère que la HVE va nous aider, qu’elle aura une bonne image auprès des consommateurs et des distributeurs. La grande distribution apprécie ce label, c’est complémentaire avec le bio mais tout aussi important. On a déjà des pistes, on est en contact avec une chaîne de grande distribution. Aujourd’hui, on a des débouchés essentiellement vers la Chine, mais on ne déespère par d’arriver à entrer dans le marché français ». Haut-Peyrat espère également cumuler la certification HVE avec le label AB dans un futur proche. 

Nouvelles perspectives

Le domaine choisi par les techniciens de la CA33 pour faire le point sur le HVE dans le département est évidemment exemplaire dans beaucoup de critères, mais les exemples simialires sont nombreux. Et ça n’est pas prêt de s’arrêter, au risque de susciter une crainte pour les viticuleurs pas encore certifiés : celle que le HVE ne devienne une condition minimum d’accès au marché sans mieux rémunérer les vins qui en sont issus. Un amendement de la loi Egalim fixe à 2030 l’obligation de la certification environnementale dans le cahier des charges des signes officiels de qualité et d’origine (SIQO). Le décret doit être publié au plus tard en janvier 2021. L’espoir de revalorisation est récemment revenu dans le jeu politique : c’est l’idée d’un crédit d’impôt censé compenser le surcoût de la certification HVE (3500 euros sur trois ans), censé équilibrer le jeu avec le bio, aidé par la PAC et des crédits d’impôt. Huit amendements ont été présentés au projet de loi de finances 2020 en novembre. La secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, a coupé court, affirmant que « l’outil fiscal n’est pas le plus adapté ». Lui préférant la simplification des procédures administratives actuelles plutôt qu’un crédit censé les accélérer, elle a obtenu le retrait des amendements en question, et de futures mesures de simplifications sont attendues.

Ce qui n’empêche pas Patrick Vasseur, vice-président de la Chambre d’Agriculture de la Gironde, d’espérer des perspectives nouvelles pour un HVE en constante évolution. « On souhaite établir un quatrième niveau de HVE qui pourrait, par exemple, tenir compte du bilan carbone des exploitations et de la baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires. C’est quelque chose qui devrait se faire à une échelle de trois ou quatre ans ». Au niveau régional, les actions collectives autour de Vitirev suscitent de nombreux espoirs pour une viticulture plus vertueuse. Dès 2020, la Chambre d’Agriculture va également mettre en application son projet « Vertigo » pour réduire l’utilisation des herbicides grâce à l’utilisation de couverts végétaux. Au sein de douze parcelles (sept en conventionnel, une en conversion et une en bio) « représentatives des principaux types de sols du vignoble bordelais », elle va comparer les pratiques habituelles et les nouvelles, censée réduire l’utilisation des herbicides et la fréquence de traitement. Qu’on ne s’y trompe pas : que la conversion se fasse vers le bio, le HVE ou les deux, la marche semble lancée. Selon l’étude IWSR, la production de vins bio en France devrait croître de 70% d’ici 2023. 

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