En vallée d’Aspe, ces plantes qui donnent leur goût au fromage


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 08/08/2015 PAR Jean-Jacques Nicomette

Pour les vautours, nombreux dans la région, la frontière espagnole n’est qu’à un battement d’aile. Une fois la voiture garée au bord d’une piste caillouteuse, un sentier étroit mène aux premières prairies que protège une litanie de pics. Stéphanie, notre accompagnatrice, membre de l’association «  Terre et sens », ne tarde pas à plonger le nez à terre.

Passionnée d’herbalisme (on évite de dire herboriste depuis que le maréchal Pétain a supprimé ce métier en 1941 au profit des pharmaciens), la jeune femme vient de repérer la tache violette d’une fleur de serpolet. « Elle fait partie des plantes qui jouent un rôle important dans le goût du fromage. Mais elle n’a pas que cette fonction. Car elle possède un côté assainissant au niveau digestif et des voies respiratoires. C’est également un apaisant, un peu comme la marjolaine. »

Fourrage et protéinesLe cours vient de commencer. Pas à pas, on va vite s’apercevoir que l’on est en train de marcher dans une immense assiette naturelle emplie d’aliments aussi bénéfiques les uns que les autres.Un cours donné en pleine nature, pour se souvenir de ce que l'on a oublié

Il y a par exemple l’achillée millefeuille, que les bêtes apprécient et dont la feuille a été utilisée par les bergers pour soigner la gale.  Riche en tanin, cette herbacée vivace, que surmonte un corymbe – un chapeau de petites fleurs blanches –  est connue des anciens pour ses propriétés astringentes et anti-inflammatoires. « Elle fournit un très, très bon fourrage » assure Stéphanie. Avant de préciser que les Chinois utilisent des tiges en bois d’Alchillée pour fabriquer leurs fameuses baguettes. Rien ne se perd dans la nature.

Un autre regard posé à nos pieds permet de repérer  un trèfle :  « Il apporte beaucoup de protéines au lait et il enrichit le sol dont il fixe les nitrates ». Sans parler de la fleur jaune du lotier auquel la tradition attribue également des vertus apaisantes.

A chacun  sa spécialité. On apprend que le suc de l’épervière piloselle a jadis permis de soigner la brucellose, une maladie des brebis transmissible à l’homme.  Mais aussi que bien des plantes possèdent deux propriétés opposées, tel le plantain, ce « nettoyeur du sang », excellent en salade ou en soupe, à la fois astringent et émollient.

Rares sont en fait les herbes qui n’ont pas été utilisées pour les bêtes comme pour  les humains. « On fait même de la confiture de foin ! »

L’hypermarché de l’estiveAutres recherches le dos courbé, autres découvertes. La diversité de la flore est impressionnante dans cet hypermarché de l’estive dont tous les rayons sont ouverts.

Le serpolet

Un foisonnement qui amène Stéphanie à souligner la richesse des prairies de montagne, très éloignées de certaines de leurs cousines de plaine où l’usage du ray-grass assure certes un meilleur rendement en lait, mais présente l’inconvénient d’uniformiser les sols. Une réalité illustrant l’éternel dilemme auquel sont confrontés les agriculteurs.

« Il est important de comprendre que les plantes font aussi partie de la biodiversité »  poursuit l’accompagnatrice. Avant d’élargir son propos et d’expliquer que des pratiques culturales permettant de couvrir la terre avec un tapis végétal assurent une bonne protection du sol. Plus efficace qu’un labourage qui va le mettre à nu et l’affaiblir en micro-organismes.

Marion et Manu, bergers et chercheurs« Par ailleurs, en montagne, les conditions climatiques sont extrêmes. Les plantes, qui ont plus de mal à pousser, vont donc avoir plus de résistance et développer plus de principes actifs ». C’est-à-dire également gagner en saveur.

Marion et Manu Ossiniri en train de travailler le lait

Une particularité que Marion Ossiniri et son mari Manu, dont les vaches et les brebis montent de mai à octobre vers deux lieux d’estive différents, exploitent en multipliant parfois les essais.

Tel ce caillé au serpolet dont la bergère régale les visiteurs, tout en les invitant à le comparer à un produit similaire, parfumé à la réglisse. Cette plante discrète, presque secrète, n’a rien à voir avec celle dont on fait les bonbons. Une fois mâchouillée sous la dent, sa racine révèle pourtant de subtiles saveurs.

 « L’ortie, c’est un miracle »Brebis, vache, mixte :  les fromages des deux bergers aspois sont intimement liés aux parcours que leurs troupeaux effectuent chaque jour, de manière instinctive, à flanc de montagne, à la recherche d’un ombrage, de l’herbe la plus fine.  Quant à la cabane de Grosse, d’où ils dominent l’été un fantastique paysage, elle prend des allures de laboratoire naturel.

L'estive de la cabane Grosse, perdue à flanc de montagne, avec les troupeaux qui broutent en avançant (en haut à droite)

« Sentez-moi ça » propose Marion en vous mettant sous le nez un bocal empli d’une huile de millepertuis. Le macérat à l’odeur peu ragoutante est placé sur les coupures que se font les vaches.

Quant à l’ortie, il suffit d’en prononcer le nom pour que l’on vous parle de « plante miracle ». Une feuille est ainsi placée le soir dans un bidon de lait pour éviter de voir le fromage « gonfler ».  « Est-ce que plus de bactéries lactiques se développent ? Est-ce que cela tue les mauvaises bactéries ? On ne sait pas. C’est la tradition ».

Comme l’ont fait des générations de bergers avant eux, Marion et Manu utilisent également l’ortie pour nettoyer le matériel de traite. Et là aussi,  affirment-ils, « c’est magique ».

En bas, dans la vallée, les nuages remontent. Il est temps de repartir en empruntant la piste forestière, cette fois-ci. Moins pentue, plus paisible. Belle occasion pour le groupe de s’arrêter à chaque pas et de reparler de plantes. La fleur de sureau, l’ortie et le chénopode composaient la soupe que mangeait Henri IV, raconte Stéphanie.
Pas de doute. Si c’est bon pour les rois, c’est sûrement bon pour les bêtes.

Pour en savoir plus :
http://www.cpiebearn.fr/
http://les-sens-les-plantes-la-terre.com/
http://www.fromage-du-berger.fr/

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