Interview : Jean-Louis Mayonnade : « Il va falloir s’engager dans une gestion durable de l’eau »


RB
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 29/07/2015 PAR Romain Béteille

@qui! – Le mois de juillet 2015 connaît une situation de sécheresse exceptionnelle de par son ampleur. En quoi cet été est-il si particulier ?
Jean-Louis Mayonnade
– D’abord, cela fait pratiquement depuis la mi-juin qu’il n’a pas plu, c’est une des particularités de cet été 2015. Nous avons eu, en plus un mois de juin et un mois de juillet extrêmement chauds. Sur des chroniques assez longues, on s’aperçoit que l’on fait partie du top 5 des débuts d’été les plus chauds. Même si on a engagé la campagne d’été avec des ressources en eau globalement satisfaisantes -puisqu’on avait eu quand même des hivers assez pluvieux en 2013 et 2014 où les nappes avaient bien pu se réalimenter-, très rapidement, du fait de l’absence de pluviométries et de chaleurs importantes, on a vu principalement les débits des petits cours d’eau qui ont chuté par rapport à des étés plus classiques.                                            

@qui! – Les contrôles de la DDRT se sont renforcés face à cette situation ?
JLM
– Avant d’attaquer la période estivale, on réunit toujours la Cellule de Gestion et de Préservation des Ressources en Eau. On la déclenche même s’il n’y a pas de sécheresse. Cela nous permet, même avant d’attaquer la saison, de faire un état des lieux sur toutes les ressources en eau à partir de données prélevées via des stations de mesures qui se trouvent sur les cours d’eau. Nous procédons aussi à des relevés à partir de forages où l’on regarde le niveau des nappes en essayant de voir la tendance. Enfin, des agents vont sur le terrain (toutes les semaines ou tous les dix jours) pour faire des observations sur les petits cours d’eau (évaluation du débit, mesures de températures, évolution des milieux). Dans cette cellule, on trouve à la fois les services de l’État qui ont en charge la police de l’eau, les SAGE (Schémas d’Aménagement de Gestion de l’Eau), des représentants des usagers (agriculteurs, pisciculteurs…) et des associations de protection de l’environnement. Nous recevons aussi des informations de Météo France qui donne un peu la situation et des prévisions sur l’évolution à venir. Au vu de tous ces éléments, on va proposer au Préfet un arrêté avec un certain nombre de restrictions. La dernière réunion du comité  a eu lieu le 23 juillet, et la prochaine se tiendra le 6 août.  

Plusieurs types de ressources

@! – Concrètement, sur quelles ressources en eau agissez-vous ?
JLM
– Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a plusieurs types de ressources et elles ne sont pas toutes vulnérables de la même manière. D’abord, on trouve les nappes profondes, des ressources habituellement bien protégées, captives, sous pression et donc peu sensibles aux pollutions. Par contre, elles ont un taux de renouvellement extrêmement lent : plusieurs milliers d’années. Ces ressources sont exclusivement réservées à l’alimentation en eau potable et modérément sensibles aux périodes de sécheresse. Ce qui fait qu’il faut nécessairement les préserver tout au long de l’année et ne pas les surexploiter, même en période hivernale. Ensuite, nous avons la nappe phréatique, c’est la première que l’on rencontre en creusant le sol. Elle n’est pas captive, donc elle est beaucoup plus sensible aux pollutions, mais elle se recharge extrêmement vite. Ce sont ces nappes qui sont utilisées le plus souvent pour l’irrigation agricole. Aujourd’hui, il n’y a aucune restriction sur ces nappes dans le département de la Gironde, alors que plus de 20 000 hectares sont irrigués grâce à elle. Enfin, il y a les eaux superficielles : les cours d’eau, les fleuves du département. Les petits cours d’eau sont les plus sensibles à la sécheresse, car naturellement, dès que l’été arrive, leur débit chute rapidement. Cette année, cette chute s’est accélérée du fait de la faible pluviométrie et des températures importantes. Là dessus, on a pris des restrictions, partielles ou complètes, de prélèvement pour éviter des ruptures d’écoulement ou des mortalités piscicoles. Cela peut amener les agriculteurs à mettre en place des tours d’eau, de s’organiser entre eux pour ne pas prélever en même temps. Le débit des grands fleuves, lui, se maintient à l’objectif d’estivage. Si on commence à passer en dessous de ce débit, on peut être amenés à prendre des jours de restrictions. En dehors de l’Isle actuellement, on est en train de flirter avec ce débit « seuil » pour les autres. 

Prévention et contrôles

@! – Les restrictions concernent notamment les exploitations agricoles, ce qui complique la tâche des éleveurs qui ont déjà connu une crise ces derniers jours. Comment s’assurer que chaque restriction est respectée ?
JLM
– Les agriculteurs connaissent bien leur milieu. Dans le département, on sait très bien quels sont les premiers cours d’eau qui voient chuter leur débit et sur lesquels on prend systématiquement des restrictions. Dans ces bassins versants, les agriculteurs connaissent nécessairement la ressource et savent qu’ils ont des restrictions tous les ans. Ils vont donc mettre en place des cultures adaptées à ces milieux, ils ne vont pas faire du maïs ou des cultures qui ont besoin d’eau dans des secteurs où l’on sait dès le début de l’été qu’il y aura des restrictions.                                                                               

@! – Quelles sont les actions réalisées en termes de préventions ?
JLM
– Dans notre Cellule de gestion, les agriculteurs sont représentés par des élus de la Chambre d’Agriculture. Elle fait un état des lieux en amont de l’état des cultures, des besoins en eau, et peut vérifier de cette manière les situations qui peuvent être difficiles ou bloquantes. On essaye, avec la connaissance que l’on a de la ressource et en voyant les besoins derrière, de satisfaire un peu tout le monde. Nous avons au niveau des SAGE des projets qui visent à rechercher des ressources de substitution, car certaines nappes profondes sont surexploitées. Leur échéance se situe entre 2017 et 2020, et ils doivent aller chercher de l’eau en dehors de la zone de Bordeaux Métropole dans des ressources moins vulnérables. Enfin, au niveau des usagers de l’information pour les sensibiliser à la préservation de leurs ressources et aux économies d’eau, notamment en faisant la promotion des appareils hydroéconomes. Mais cette sensibilisation, encore une fois, doit se faire toute l’année.                                              

@! – La situation ne risque-t-elle pas de s’aggraver dans les années qui viennent ?
JLM
– D’après ce qu’on peut lire un peu partout, on devrait avoir, à terme, des étés de plus en plus chauds. Il va donc falloir s’engager encore plus dans une gestion durable de l’eau. 

L’info + : En 2013, le Conseil général de la Gironde a lancé le dispositif « MAC EAU » dans le but de maîtriser sa consommation. Mise en place de dispositifs d’économie d’eau, distributions de 80 000 kits hydroéconomes, installation de 70 récupérateurs d’eau de pluie au niveau du bassin de la Pimpine et de modulateurs de pression dans la zone du Blayais afin de réduire tout risque de casse. Avec un budget de 1,8 millions d’euros, un premier bilan du plan MAC EAU est attendu courant 2016. Reste que selon les chiffres dévoilés par la dernière étude de l’Insee sur la consommation d’eau par les particuliers, sur une période s’étalant de 1975 à 2006, les prélèvements « ont connu une croissance beaucoup plus importante (+58%) que celle de la population (+31%). Mais la prévention et la sensibilisation semblent porter leurs fruits : alors que la consommation annuelle par jour et par habitant en France s’établissait à 185 litres en 2004, elle n’était plus que de 151 litres en 2008. 

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Gironde
À lire ! ENVIRONNEMENT > Nos derniers articles