Comment Aqui-litt surveille l’antibiorésistance sur le littoral néo-aquitain


Aquitaine Microbiologie
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 16/10/2019 PAR Romain Béteille

Portée par Aquitaine Microbiolgie, une cellule de transfert de technologie de l’Adera adossée à l’Université de Bordeaux, l’étude Aqui-Litt a été financée par la région Nouvelle-Aquitaine, l’Union Européenne au travers du FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) pendant une durée de trois ans, pour un budget total de plus de 730 000 euros. Elle est censée être un point de départ vers une surveillance et une étude généralisée de la qualité microbiologique de l’eau.

Processus de recherche 

Le Dr Fatima M’Zali, directrice du projet, a passé plus de 25 ans (notamment dans le milieu hospitalier) à réaliser des analyses de gènes résistants et de substances anti-microbiennes. Elle explique que la communauté scientifique, depuis le début des années 2000, « a constaté que des patients étaient colonisés et parfois infectés par des bactéries antibiorésistantes. Dans le domaine vétérinaire, on a commencé à s’y intéresser en rapportant des animaux infectés. L’OMS a conçu le concept multisectoriel « Un Monde, Une Santé » qui demande une maîtrise de la consommation des antibiotiques pour éviter d’avoir ce brassage d’antibiorésistances d’une niche à une autre. Le littoral étant le réceptacle de contaminants chimiques (contaminations fécales par les activités anthropiques, contaminations par les rejets dans la nature, les sols et l’eau de résidus d’antimicrobiens), il contient des résidus qui pourraient eux-mêmes générer chez les bactéries ou les micro-organismes de la flore endogène de la mer (qui prend naissance à l’intérieur du corps d’un organisme vivant) de l’antibiorésistance ». 

Aqui-litt

Depuis le mois de mai 2017, plus de 300 prélèvements ont été effectués sur les plus de 700 kilomètres de littoral néo-aquitain : fonds marins, algues, sable, animaux d’élevage et espèces marines. Pour les poissons par exemple, la méthode est simple : la pêche. Marc Rubio, guide de pêche, a dû littéralement « prendre des gants » pour aller chercher certaines espèces. À l’aide de leurres à usage unique et après désinfection et stérilisation de tout son matériel, il collecte des échantillons de sables, d’algues, de vase ou de poissons. « Réaliser un échantillon en mer peut prendre plusieurs heures, le poisson n’est plus aussi présent qu’il l’était il y a quelques années, certaines espèces peuvent demander une journée entière de pêche, d’autres quelques minutes ». Le poisson, une fois pêché, est prêt à être analysé. Il arrive au sein du laboratoire bordelais sur des « postes de sécurité microbiologiques protégés ».

« On l’ouvre de manière stérile, une moitié va être rapidement congelée pour analyser la flore des fonds marins pour l’analyser dans une hotte spéciale anaérobie (milieu où l’oxygène est absent, comme, par exemple, les fonds marins). L’autre moitié (en aérobie) on va la découper en fonction des organes représentatifs du poisson (branchies, fèces, ect). On fait un pool, on le macère. Ça nous donne ensuite un broyat qui va être dilué dans des solutions et étalé sur des boîtes de pétri, une dizaine de gélose nutritives spécifiques ». Après quoi l’équipe de quatre chercheurs d’Aquitaine Microbiologie dénombre les différentes bactéries présentes. « Elles vont pousser, on va les mettre à différentes doses d’oxygène et à des températures différentes, de 4 à 42 degrés », pour simuler les différentes conditions de vie en milieu aquatique. « On les observe, jusqu’à 28 jours pour certaines. On les récupère et on les met dans un spectromètre de masse qui en identifie 80%. À la fin, on peut faire une cartographie de dissémination de ces espèces. On les prend une par une et on regarde leur niveau de résistance aux antibiotiques. On essaie de voir, pour celles qui sont résistantes, si cette résistance est naturelle ou acquise ». 

Aqui-litt

Un littoral riche

Voilà pour le processus. Mais les premiers résultats, que donnent-ils ? Déjà, ils permettent d’établir avec certitude la richesse en micro-organismes du littoral aquitain. Aqui-Litt répartit en effet ses prélèvements sur cinq zones particulières de ce dernier pour essayer d’obtenir des résultats suffisamment variés pour être représentatifs : La Rochelle, Bayonne, l’Île d’Oléron, le bassin d’Arcachon et l’estuaire de la Gironde (Soulac/Le Verdon). « Aqui-Litt a en fait trois volets principaux », poursuit la responsable de l’étude. « Le premier, c’est de faire une cartographie exhaustive de la biodiversité microbienne du littoral. Le deuxième, c’est de regarder parmi ces microbes lesquels sont antibiorésistants, que ce soit de manière naturelle où acquise et issue des contaminations fécales des activités anthropiques (issues de l’activité humaine). Nous avons trouvés des micro-organismes qui sécrètent naturellement des antibiotiques et qui se protègent de leur sécrétion mais aussi d’autres qui vont être exposés à ces résidus de l’environnement, vont s’habituer et survivre à ça par des mécanismes d’antibiorésistance. On va donc chercher à vérifier parmi la masse de microbes lesquels sont antibiorésistants et si oui à quelle prévalence. C’est un projet observationnel qui va nous aider à mieux comprendre, à « connaître pour combattre ». Le troisième, enfin, c’est d’identifier les bactéries productrices d’antimicrobiens pour les valoriser sur le plan économiques, notamment auprès d’entreprises de la biotech ou de l’économie circulaire qui récupèrent des viscères de poisson ou certaines algues ». 

Le deuxième résultat de l’étude, c’est une localisation assez précise des bactéries antibiorésistantes : plus les activités anthropiques sont proches, plus elles sont présentes. « Cette cartographie littorale a débuté. La présence d’antibiorésistance au niveau des activités anthropiques va dans le sens des travaux de l’ARS et de la littérature scientifique. Mais nous avons aussi trouvé que certaines bactéries, pas forcément recherchées (à l’inverse de l’E.coli ou des entérocoques dont le taux de présence sert aujourd’hui à mesurer la qualité de l’eau) dans la mer qui sont aussi résistantes de façon qualitative. La prochaine étape, c’est de savoir si la résistance chez ces bactéries est acquise par le même matériel génétique des plasmides provenant des contaminations fécales ou si ce sont de nouvelles résistances qui apparaissent avec les résidus antimicrobiens présents dans la mer. On va conforter ce résultat pendant l’année à venir ». La raréfaction de l’antibiorésistance au large, elle, « rest encore à confirmer ». Car Aqui-litt, originellement censé s’achever en 2019, durera un an de plus, jusqu’en décembre 2020. Une utilisation concrète ? Le recueil de données sur les bactéries ou micro-organismes antibiorésistants « qui infecteraient des patients des services de réanimation des hôpitaux de Bayonne et Bordeaux pour savoir s’ils ont été infectés par des bactéries qu’on retrouve dans nos échantillons. On a donc recueilli de 250 échantillons de patients de fèces (excréments) effectués par des médecins généralistes pour faire le lien entre l’hôpital, la communauté, les animaux d’élevages et le littoral ».

Utilisation concrète

À termes, les données récoltées pourraient être la porte d’entrée de certains scientifiques spécialisés pour travailler de façon plus poussée sur certaines bactéries et comprendre les mécanismes moléculaires de leur transmission et servir de base à la mise en place d’une surveillance généralisée du littoral atlantique pour observer son évolution dans les années à venir. « Les antibiorésistants sont partout, il ne faut pas non plus faire une relation de causalité entre l’antibiorésistance et l’infection. Il est important sur le plan de la santé publique, étroitement liée à la santé environnementale, de surveiller cette évolution », termine le Dr M’Zali. « Certaines espèces produisent des antimicrobiens, on a choisi une collection assez importante de microorganismes, l’objectif de cette dernière année est de voir quel antimicrobien elles produisent, on va les challenger avec des bactéries résistantes connues cliniquement significative dont l’OMS propose de surveiller l’évolution ».

Pour Vital Baude, conseiller régional délégué au littoral aquitain, les résultats d’Aqui-litt, qui devraient être présentés dans un rapport final entre l’été et la rentrée 2020, pourraient permettre, « à certains endroits, de s’interroger sur la nature locale des rejets et pointer un certain nombre de pratiques sur lesquelles il faudra remédier ». Et, pourquoi pas, permettre à des entreprises de développer des kits rapides de diagnostic qui vont plus loin que les recommandations de l’ARS en termes de qualité de l’eau. Les résultats finaux doivent donner lieu à la réalisation d’une carte, mise en relation avec les relevés hospitaliers. Mais il reste encore beaucoup à faire pour comprendre les mécanismes des bactéries. Une récente étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Newcastle et publiée dans la revue Nature Communication confirme une hypothèse : celle visant à dire que pour échapper aux antibiotiques, les bactéries… changent de forme. Quant-à savoir sous quelle forme précise les applications concrètes d’Aqui-litt seront utilisés, il est encore un peu tôt pour le dire. La directrice de la cellule de transfert, elle, ne « voudrait pas s’arrêter là après la fin de l’étude. J’espère continuer ces travaux pendant encore plusieurs années ». 

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