Recyclage et biodéchets : du couvert au compost


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Temps de lecture 16 min

Publication PUBLIÉ LE 15/04/2019 PAR Romain Béteille

Ramasser les morceaux

C’est l’éternelle histoire de David contre Goliath, mille fois racontée mais pourtant toujours déclinable à l’infini. C’est l’histoire de militants au discours farouchement écolo qui, à leur niveau, ont un jour décidé de changer un peu les choses. Pour vous la raconter, il faut d’abord cocher la case étymologie. On appelle détritivore tout organisme vivant ayant un régime essentiellement constitué de déchets organiques, autrement dit de biodéchets. Lorsqu’elle a été créée en 2015 à Bordeaux par Jean-Marc Gancille (l’un des cofondateurs de l’écosystème Darwin), Ludovic Martin (président de la SAS Compost In Situ Sud-Ouest) et Frédéric Petit (président d’Elise Atlantique, spécialiste du recyclage des déchets de bureau et du plastique), l’association « les détritivores » s’inscrivait dans un contexte législatif en évolution. En janvier 2016, la loi Grenelle 2 a en effet imposé aux producteurs de plus de dix tonnes annuelles de biodéchets (soit plus de 150 couverts par jour) d’organiser une collecte et une revalorisation séparée de celle des ordures ménagères, dans le but d’éviter l’incinération ou la mise en décharge d’une matière organique représentant environ 50% des déchets de la restauration (cette dernière produirait près de 12% des déchets alimentaires au niveau national). Face au non-respect de cette obligation, une amende de 75 000 euros et deux ans d’emprisonnement ont été mis en place. Autrement dit : on ne rigole pas avec les biodéchets.

Voilà pour la théorie. La réalité est, à entendre Lucie Ouvrard, chef de projet pour les détritivores et ancienne « ambassadrice prévention des déchets » à la métropole de Bordeaux (entre 2012 et 2014), un peu moins tranchée. « La règlementation est un levier, notamment pour les professionnels qui n’étaient pas encore engagés, la loi a instauré cette peur de la sanction et de l’amende. Mais en réalité, elle n’est pas vraiment effective parce que les contrôles n’existent pas. Les restaurateurs, c’est un réseau qui se connaît bien, ils sont au courant si l’un d’entre eux est contrôlé ou pas, donc ce n’est pas vraiment dissuasif. Pour pouvoir accélérer un peu la démarche, il faudrait que le contrôle soit renforcé », affirme-t-elle. Les détritivores n’ont en tout cas pas attendu ce coup de vis pour s’organiser. Plutôt que la méthanisation ou l’incinération, ces derniers ont choisi une troisième alternative : installer des « espaces de proximité » ou des boxs permettant de produire du compost, redistribué gratuitement et localement. Ce compost est issu du ramassage des biodéchets auprès des professionnels : restaurants privés, restauration collective, fleuristes, banque alimentaire… les exemples ne manquent pas mais la cible est claire. Pour Lucie, le point de départ est « une démarche assez militante. Darwin gérait un restaurant bio (le « magasin général« ) il était impensable que les déchets générés par cette activité soient mis à la poubelle ou gérés par des grands acteurs comme Veolia ou Suez. Les co-fondateurs ont donc décidé de créér une plateforme de compostage chez Darwin pour le traiter in-situ et éviter l’impact environnemental des transports, qui est pour nous très contradictoire et contreproductif. Aller récupérer des biodéchets à Bordeaux et les traiter à Cestas, ça n’est pas logique. Le traitement en local était très important. Il y avait aussi un enjeu social. La gestion des déchets, de fait, créé de l’emploi. Il faut des gens pour les collecter et les valoriser, surtout en compostage non-industriel ». Les détritivores ont donc hérité de l’un des objectifs d’Elise Atlantique : l’insertion sociale par l’emploi, et a inclus dès le départ des personnes en réinsertion et des travailleurs handicapés dans ses effectifs. Aujourd’hui, elle compte onze personnes, dont sept salariés du bureau gérant ses orientations stratégiques.

« Passer la seconde »

L’impact de l’association bordelaise est mesuré par la quantité de biodéchets qu’elle collecte annuellement. En 2018, elle a cumulé 413 tonnes, contre 265 tonnes en 2017. Si l’indicateur de la quantité de biodéchets produits par une collectivité n’existe pas encore (Bordeaux, comme beaucoup d’autres, n’ayant pas encore fait le choix d’organiser une collecte séparée de celle des ordures ménagères), les détritivores se basent tout de même sur quelques indicateurs officiels, notamment celui de l’Ademe, pour construire son offre. « On sait qu’une assiette servie en restauration collective va représenter 175 grammes de pertes alimentaires, générée par la préparation des repas et les retours d’assiettes », commente ainsi Lucie Ouvrard. « Si on prend tous les restaurants de la métropole, 413 tonnes ne représentent pas grand-chose mais c’est déjà énorme de notre point de vue (…) Quand je suis arrivée en 2016, on sentait qu’il y avait une maturité qui n’était pas là sur ces sujets de collecte séparative. Depuis six mois, je ne prospecte plus auprès des restaurateurs, c’est eux qui viennent à moi puisqu’ils sont en recherche de solutions. Même la restauration privée, qui est un peu en retard sur ces réflexions (c’est pour ça qu’on travaillait plus sur la restauration publique et les cantines, très souvent concernées par la problématique des dix tonnes et l’obligation légale), commence à y réfléchir. Les petits restaurants qui servent trente couverts par jour ou les grands restaurants étoilés qui font déjà un travail sur le gaspillage alimentaire font quand même tous appel à nos services parce que ça devient de plus en plus logique ». Dernièrement, les gastronomiques Prince Noir et Chapon fin se sont ainsi intégrés à cette démarche. Pour Lucie, ils sont bien plus qu’une vitrine à afficher dans une liste de clientèle qui s’allonge chaque année (trois au lancement et environ soixante-dix aujourd’hui, public et privé confondu). « Ces grands chefs se portent caution vis-à-vis de ces sujets. En tant que prestataire de collecte, on peut dire que ce n’est pas le cas pour tous alors qu’ils auraient les moyens financiers de le faire. Ils souhaitent partager leur engagement avec des confrères. On fait ça aussi pour des épiceries mais à notre petite échelle : ça nous dépasse d’aller collecter un Auchan ou un Carrefour mais pour les magasins de type Biocoop, c’est possible. Dernièrement, on a aussi été sollicités par des fleuristes ».

Les détritivores ont donc installé deux plateformes de compostage de 250 mètres carrés chacune, sur les quais de Brazza au siège d’Elise Atlantique. La plateforme initiale, basée à Darwin, a fermé il y a bientôt un an (le 25 avril 2018). Pour donner un ordre d’idée, une centaine de tonnes de biodéchets représente environ onze mille couverts par jour. Mais l’action des détritivores sur la problématique des biodéchets ne peut suffire dans une métropole à plusieurs centaines de milliers d’habitants. Et l’association ne manque jamais une occasion pour le dire. « On voit des plateformes de compostage qui se développent un peu partout sur le territoire, une première plateforme de compostage partagé a vu le jour il y a environ six mois (portée par l’association « Au Ras du Sol » dont nous reparlerons…). On est contents que ça existe et que ce soit un sujet qui progresse mais ça ne répond pas à toute les attentes puisque le pourcentage de quartiers couverts reste anecdotique. Il faut trouver des solutions complémentaires, notamment dans l’hyper-centre ou les quartiers d’habitat collectif, il y a un besoin sur lequel il n’y a pas de solutions aujourd’hui », confie Lucie. Le co-fondateur des détritivores, Jean-Marc Gancille, n’avait pas un discours différent lors d’une interview au journal La Tribune en 2018, qualifiant la gestion de la métropole d' »insuffisante. Nous ne disons pas qu’elle est défaillante, mais elle n’anticipe pas la législation qui va continuer de se durcir. Prétendre tendre vers le zéro déchet, c’est bien, mais sans prendre en compte cette problématique, c’est être à côté de la plaque. Distribuer des composteurs, ça ne suffit pas. Il faut professionnaliser, changer d’échelle, passer la seconde », affirmait alors ce dernier. 

déchets Le levier de vitesse est apparemment dur à trouver, mais la métropole a dernièrement lancé un appel à projet auprès des particuliers et envisage d’étendre son dispositif « compostage en pied d’immeuble » (comme nous l’avons évoqué ici). « Il y a eu une grosse campagne de compostage individuel lancé en 2012 par Bordeaux Métropole et à peu près 20 000 composteurs de jardin distribués pour les personnes qui vivent en pavillon ou qui ont un espace. Mais une partie de la population composte à domicile, et il y a encore peu de plateformes de compostage sur le territoire. Bordeaux Métropole attend qu’il y ait une grande majorité des foyers qui soient prêts à s’engager dans cette démarche, ce qui est un objectif très lourd et assez difficile à atteindre ». Certaines communes n’ont pas attendu que la métropole s’y mette pour mettre en place une collecte séparée : selon le recensement de l’association ZeroWaste France (dont la dernière mise à jour date de 2016), la communauté d’agglomération de Saintes (5%), le SMICOTOM en Médoc (100%) et le SMICVAL dans le Libournais (33%) ont déjà passé le cap de la collecte séparée et de la revalorisation des biodéchets.

Pour Lucie Ouvrard, la métropole bordelaise est « un peu dans l’inertie », ce qu’elle explique par un facteur important : la diversité urbanistique. « On a des zones urbaines denses, du périurbain, du rural et donc diversité d’habitat qui rend les choses difficiles. Cela dit, je pense que ça pourrait être très simple de mettre en place une dotation pour une poubelle supplémentaire chez le particulier, ça aurait un coût de traitement qui demanderait plus de temps et de technique mais ça favoriserait la démarche de tri. Il y a des freins financiers et logistiques. La typologie d’habitat fait qu’il faut adapter le mode de gestion au quartier. On ne va pas faire du porte-à -porte dans le quartier Saint-Pierre, en habitat collectif les bacs sont dans les locaux poubelle. Il faut que Bordeaux mène des études actions, expérimente des modes de collecte dans des quartiers très différents pour ensuite les déployer sur d’autres. Le compostage collectif est un outil mais il en faut d’autres :pourquoi pas des bornes ou du ramassage au porte-à-porte ? On ne peut pas se contenter d’une seule solution. Beaucoup d’acteurs, associatifs ou industriels, font de la sensibilisation. Si on rassemblait nos forces, on pourrait tenter d’anticiper cette loi de 2023. De notre côté, on l’envisage. On a réfléchi et identifié quatre quartiers assez représentatifs sur la métropole : le premier très urbain et dense, le deuxième plus rural, un lotissement et un en habitat collectif ». Pour savoir lesquels, en revanche, il faudra visiblement attendre encore un peu…

Diagnostic partagé

La métropole de Bordeaux n’est pas la seule dans laquelle les associations constatent un retard. Fin avril, l’antenne lyonnaise des détritivores fêtera sa première année d’existence. Avec plusieurs différences : il s’agit d’une Société par Actions Simplifiées ou SAS (donc d’une entreprise) et elle revendique pour l’instant 19 clients et 33 points de collecte différents. Quand on demande à son co-créateur, Vincent Dujardin (un ancien de chez Véolia, ça ne s’invente pas…), comment se passe le démarrage, ce dernier est d’abord plutôt rassurant. « Ça va plutôt bien, on sent que c’est un sujet qui intéresse, ceux qui sont contraints sont contents de trouver ce type de solution et les autres aussi. On sent que commercialement les restaurateurs accrochent et ont envie de participer. Ça reste une activité faiblement rémunératrice, ce n’est pas encore gagné ». Parmi ses clients, l’antenne lyonnaise compte plusieurs écoles, de la restauration étudiante ou d’entreprise, deux traîteurs, un hôtel et un projet récent de maraîchage urbain « juste à côté de notre plateforme, c’est un terrain très sableux donc on vient ré-enrichir le sol avec ce compost. Ce maraîchage produit des fruits et légumes qui sont vendus à nos clients, notamment la cuisine centrale de Villeurbanne que l’on collecte en biodéchets, on est donc dans une boucle ». Cette boucle, pour l’instant unique, pourrait se multiplier au fur et à mesure de l’avancement potentiel du projet. Politiquement aussi, « ça commence, les politiques voient bien l’intérêt de la chose. Cela dit le soutien financier n’est pas encore prévu au budget pour ce type de traitement. On a rencontré beaucoup de mairies, toutes n’ont pas signé parce qu’elles n’avaient pas le budget mais trois l’ont fait (de même que trois lycées de la région) », confie Vincent, pour qui la collecte séparée de la métropole lyonnaise ne semble clairement pas être une priorité actuelle.

« L’accent est plutôt mis sur le compostage de proximité en apport volontaire. Ce n’est pas un sujet qui sera traité avant les municipales, je ne sais même pas si ce sera dans les programmes. La collectivité dispose aujourd’hui de deux gros incinérateurs qu’il faut nourrir, et elle est en ce moment en train de réfléchir si elle doit en créer ou non un troisième avec ou sans biodéchets, ce qui permettrait de les revaloriser. C’est une vraie question parce que l’eau produite par les biodéchets viennent alimenter l’incinérateur pour éviter qu’il ne surchauffe ». L’impact environnemental de la méthode n’est plus à prouver, comme le confirme le Centre National d’Information Indépendante sur les déchets (le CNIID), pour qui le tassement des déchets favorise la création de méthane, dont l’impact sur le réchauffement climatique est 25 fois supérieur à celui du CO2 et dont environ 16% des émissions nationales proviendraient des centres de stockage de déchets ménagers. D’un point de vue européen, on milite pour éviter l’enfouissement. Pour Vincent Dujardin, une autre problématique se pose aussi face aux alternatives à l’enfouissement : « le compost produit industriellement ne vaut pas grand-chose. Le modèle du traitement des déchets c’est être payé pour collecter, il n’y a quasiment pas de revente derrière. Même si on fait un peu d’énergie avec un incinérateur, ça ne vient pas compenser le coût de la collecte. A part le cuivre et les huiles usagées de friture qui peuvent être transformées en essence et ont une forte valeur, tout le reste coûte et même s’il y a un peu de revente derrière, ça ne vient jamais compenser. L’équilibre financier ne sera à mon avis jamais trouvé sauf si le cours du pétrole s’envole. Les gens ne s’arrachent pas le compost, on a plus d’agriculture chimique que biologique. Sur le compost, il faudrait que ce soit le biologique qui prenne le dessus ». Une bien vaste ambition qui, visiblement, ne date pas d’hierdéchets

Que reste-t-il alors comme marge de manœuvre à une association et une SAS qui tentent par tous les moyens (subventions comprises) d’équilibrer leur balance économique ? « Aujourd’hui, on ne vend pas le compost, on le donne. On ne pourrait pas vivre uniquement de la vente du compost, même si c’est un objectif, ça pourrait juste faire en sorte que le modèle économique soit un peu plus stable même s’il viendrait juste compenser le coût de l’organisation de la vente. Pour pouvoir vendre du compost, il faut avoir un agrément sanitaire pour qu’il soit normé. On a cet objectif sur notre plateforme, on ne sait pas si on arrivera à l’avoir. Pour l’instant, les autorités nous disent qu’on est en bonne voie et qu’on pourrait être en capacité de l’obtenir », confie Vincent. « Si on produit beaucoup de compost, il faut pouvoir l’écouler. Du compost non-normé, ça reste un déchet au regard de la loi. Même s’il faut qu’on ait plus de clients et de collectes pour augmenter notre chiffre d’affaire (puisque c’est 80% de notre modèle économique), il faut aussi qu’on puisse réfléchir sur la manière dont on va le vendre. Pourtant, en dehors des enjeux climatiques rappelés par ces militants locaux (pour avoir quitté une entreprise privée et avoir fondé une société sans être rémunéré, il faut forcément l’être un peu…), le temps presse : la généralisation du tri à la source des biodéchets est prévue pour 2023 pour tous les producteurs de déchets en France. Les biodéchets, au croisement de plusieurs règlementations (déchets, environnement, agriculture, santé…), ont donc du mal à s’organiser même si la réforme de la fiscalité et de la taxe générale pour les activités polluantes pourraient bien accélérer le mouvement.

Pire : selon Vincent, avec la règlementation des dix tonnes, qui sera réduite à zéro avec le tri à la source, « la norme sera soumise à interprétation. « Quand on lit la règlementation, on voit que la collectivité « doit fournir à tout le monde une « solution suffisante de compostage ». Si on met un compostage de proximité et que celui-ci n’est pas saturé parce qu’il n’y a pas suffisamment de familles qui l’utilisent, le représentant de la métropole pourra dire que la solution est suffisante ». Si les exceptions locales (ou moins locales, comme à Paris) citées plus haut s’engagent à des degrés divers, pour lui, « chacun fait encore un peu ce qu’il veut. J’imagines que c’est une question de pouvoirs locaux des politiques et des acteurs économiques du secteur. Faire une collecte séparée supplémentaire, c’est aussi doubler le nombre de camions, donc ça coûte plus cher. Tout le monde peste contre la taxe des ordures ménagères, mais c’est logique qu’elle augmente puisqu’on jette de plus en plus. Je pense que les politiques sont craintifs. On évolue dans un monde assez court-termiste. Ce sujet, doit passer par une décision courageuse. Des initiatives comme les nôtres émergent parce qu’il y a un manque et un besoin. La métropole collecte ses villes en ordures ménagères, c’est gratuit pour elles. Elles n’ont donc aucun intérêt financier de payer un service à part. Si tout le monde continue d’avoir ce raisonnement-là, rien ne va changer. Il faut qu’il y ait un des chevaliers blancs qui se lancent et montrent l’exemple. Pour l’instant, c’est nous (les associations), mais on est un peu l’arbre qui cache la forêt parce que les collectivités nous citent comme exemple mais ce qu’on récolte est très limité par rapport à la quantité de biodéchets produite ».

À coups de fronde

À Bordeaux, le constat est à peu près le même, et les détritivores explorent encore des pistes pour diversifier leur activité. « Aujourd’hui, on fait un état des lieux auprès du restaurateur pour estimer la quantité hebdomadaire produite par son activité. En fonction du volume, on met à disposition un ou plusieurs bacs de 120 ou 240 litres. Avec ces petits volumes, on peut répondre à des problématiques de centre-ville et de stockage. On adapte notre fréquence de collecte à l’activité du restaurateur : une par jour ou une par semaine (minimum) ». La collecte, elle, se fait en camions à haillons, qui roulent au gasoil traditionnel, mais l’association réfléchit à une collecte en vélo-cargo dans le centre de Bordeaux pour réduire son impact environnemental. Quant-aux camions qui roulent au biogaz, ce n’est à priori pas pour tout de suite. « On a besoin de stabiliser notre modèle économique pour pouvoir prétendre louer ou acheter des véhicules plus onéreux. Dans les faits, les biodéchets sont tout de même acheminés vers des micro-plateforme de compostage, on essaie de faire au maximum cinq kilomètres entre le gisement et l’unité de traitement. Aujourd’hui, continue Lucie, le petit restaurant qui est collecté une fois par semaine est facturé moins de cent euros, ça peut aller jusqu’à 800 euros mensuellement pour un gros restaurant collectif. On ne peut pas casser les prix comme Veolia… ». La réflexion continue : les détritivores bordelais réfléchissent depuis plusieurs mois à la création d’une application (baptisée « toc toc compost ») gratuite à destination des particuliers pour permettre d’organiser leur propre réseau de collecte et de redistribution. « L’idée, ce serait de mettre en lien les habitants des quartiers avec les détenteurs de composteurs de manière géolocalisée pour créer un peu de cohésion. Le web design est en construction, on réfléchit à une campagne de financement parce que l’application ne répondrait) aucun modèle économique, ce serait plus une démarche militante. On l’a présenté à plusieurs collectivités et elles y ont vu un intérêt ». 

Comme à Lyon, les détritivores bordelais auraient aussi pour objectif de commercialiser leur compost (une tonne de biodéchets = environ 300 kilos de compost). « Il y aurait tout intérêt à ce qu’il soit distribué chez nos clients, à un prix modique, pour qu’ils puissent voir cette matière, ce résultat, et que l’on puisse raconter notre histoire et les enjeux derrière tout ça. On serait plutôt sur la distribution de petites quantités. On songe aussi très fortement à la création d’énergie à partir d’un process de méthanisation, pourquoi pas pour autoalimenter notre bâtiment ». Enfin, l’association n’a pas abandonné l’idée de créer d’autres antennes ailleurs en France, en plus de celle de Lyon : les co-fondateurs ont notamment évoqué dans une interview à Sud Ouest en 2017 les communes d’Hendaye, de Pau ou encore du bassin d’Arcachon à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine. Sur la métropole, Lucie assure que la plupart des clients des détritivores ne sont pas bordelais : Blanquefort ou Pessac disposent d’un nombre assez important de point de collecte et l’association réfléchit à y installer des plateformes de compostage. « Bègles souhaite aussi qu’on s’engage sur la collecte de leurs écoles, mais ils veulent aussi qu’il y ait du compostage de proximité sur leur territoire. Une plateforme de compostage coûte environ 10 000 euros, sans prendre en compte le foncier. À Bègles, ça reste encore à trouver. Même si on a visité quelques terrains, ça prend un peu plus de temps que prévu, politiquement il y a des discussions… Mais globalement, on peut dire qu’il manque un soutien politique. Il y a des enjeux très proches, on a toujours senti qu’on était un peu lésés alors qu’on est très soutenus par les citoyens », termine Lucie Ouvrard. À quelques centaines de kilomètres de là, le sentiment de Vincent Dujardin est assez similaire, quelque part « entre optimisme et désespoir. On voit que la société civile bouge, des gens prennent conscience des enjeux, mais c’est une part très faible de l’ensemble. La prise de conscience n’est pas généralisée, il n’y a pas d’acte fort de la part du gouvernement. De mon côté, je ne voulais pas rester statique, je voulais agir. J’ai quand même l’impression d’être un pansement, mais j’espère lancer des vocations, militer pour montrer qu’une économie différente est possible. Quand je sauve une tonne par jour de l’incinération, c’est plus significatif que d’acheter mes courses dans un Biocoop en vrac. Avec ce que je fais aux détritivores et chez moi, je pense que mon bilan est plutôt positif. Enfin, j’espère ». Alors, les détritivores, un caillou dans la chaussure des métropoles frileuses ? On se gardera bien d’y mettre un point final, mais n’oublions pas qu’à la fin de l’histoire originale, c’est avec un caillou lancé à l’aide d’une fronde que le jeune fils de berger finit par triompher du géant…

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