Le passé négrier de Bordeaux sort péniblement de l’ombre


L'inauguration dimanche 10 mai par Alain Juppé des nouvelles salles du musée d'Aquitaine consacrées à la traite négrière est un pas important vers la reconnaissance de son passé par la cité portuaire. Pour le maire de Bordeaux, qui a souligné le trav

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 10/05/2009 PAR Vincent Goulet

Si la prise de conscience du caractère négrier du port de Bordeaux a été si tardive c’est « parce que la société bordelaise n’était pas assez mûre», estime Alain Juppé.Alors que Nantes, premier port négrier de France, commence dès le début des années 1990 son « travail de mémoire », à Bordeaux, il faut attendre 2003 pour que la question de l’esclavage soit officiellement débattue. Il aura fallu, pour la faire mûrir, la pression d’associations comme Diverscités ou le vote en 2001 de la loi Taubira qui reconnait dans la traite négrière et l’esclavage des « crimes contre l’humanité ».
En 2005, Hugues Martin, alors maire, met en place un comité de réflexion et de propositions présidé par Denis Tillinac. Malgré sa prudence, sa volonté de ne pas heurter les bordelais ni de stigmatiser le nom de quelques grandes familles d’armateurs, le rapport du comité semble plaider pour la construction d’un mémorial ou, pour le moins, d’un « lieu fixe qui permettrait de coordonner les activités des associations désireuses de promouvoir ce travail mémorial ». Quatre ans plus tard, il n’est plus question de mémorial mais, plus modestement, de salles permanentes intégrées au Musée d’Aquitaine (voir l’article d’aqui.fr du 07/05/09). L’évocation muséale est-elle suffisante ?

Une certaine relativisation de la traite négrière bordelaise
Bien loin derrière les Portugais et les Britanniques, les Français ont pris une part active à la déportation des 12 millions de noirs d’Afrique vers les Amériques. Nantes est sans contexte le premier port français qui a pratiqué le commerce triangulaire, avec 1714 expéditions, contre 419 pour Bordeaux, soit « seulement » 150 000 personnes déportées. Ces éléments permettent à l’exposition du Musée d’Aquitaine de minimiser quelque peu la traite négrière bordelaise, en l’intègrant dans un ensemble plus vaste consacré au commerce avec les Antilles et en insistant sur le commerce « en droiture » : moins risqué que le commerce triangulaire, il n’en était pas moins basé sur le sucre, le tabac ou le café, produits par les esclaves antillais. Venus plus tardivement au commerce massif des esclaves, les armateurs bordelais deviennent, à la fin du XVIII° siècle, des concurrents sérieux des Nantais, allant jusqu’à la dépasser au début du XIX° quand Napoléon Ier rétablit l’esclavage un temps aboli par la Révolution.

L’abolition a aussi été l’oeuvre des esclaves eux-mêmes
Autre reproche que l’on peut faire à l’exposition, l’accent est principalement mis sur les abolitionnistes français alors que cette abolition a également été le résultat dela lutte des esclaves eux-mêmes. Comme le constate Halidané Bacar, responsable de l’association « Regards d’Afrique », les « captifs » usaient de tous les moyens pour échapper à leur sort : mutineries sur les navires, suicides, fuites (« le marronage ») ou encore révoltes collectives. La vie des Antilles est émaillée de ces rébellions, comme celle de 1791 à Saint-Domingue qui réussit et entraina la fin de l’esclavage pour un demi-million de Noirs.

Malgré ses qualités, en particulier une muséographie de qualité, les nouvelles salles du Musée d’Aquitaine ne saurait remplacer un centre permanent sur la traite négrière, à l’image de celui que Nantes est en train de construire pour 2011. S’il n’est « pas question de payer pour ses ancêtres », insiste Raoul Gagnety, un des responsables de Diverscités, il faut que la ville assume pleinement son passé à travers un « lieu vivant, pas un lieu enfermé dans un musée ». Pour l’association présidée par Karfa Diallo, le projet de mémorial reste d’actualité. Mais Diverscités compte désormais plus sur les Bordelais que sur les élus politiques. L’avenir dira si le travail pédagogique initié en 2005et continué par l’ouverture de ces salles portera ses fruits. Sans verser dans une repentance stérile, Bordeaux ne devra-t-elle pas faire un pas de plus ?

Vincent Goulet

Le Scérén-CRDP d’Aquitaine vient de publier sur le sujet une synthèse très complète, sous la direction de Silvia Marzagali : « Comprendre la traite négrière atlantique » – 19 € 90.

Photo : Andréa Schmitz.

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