Entretien : Thierry Blandinières, Président de Delpeyrat ou l’histoire du mariage réussi entre le Jambon de Bayonne et le foie gras


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 02/12/2011 PAR Solène MÉRIC

@qui! : Comment et pourquoi Delpeyrat, historiquement rattaché au foie gras, en est venu à élaborer une stratégie sur le Jambon de Bayonne ?

Thierry Blandinières: Tout a commencé en 2007-2008, lorsque nous avons mené une analyse stratégique pour savoir où en était la marque Delpeyrat. Parce que si le foie gras marche fort en fin d’année, il ne marche fort qu’en fin d’année…De cette analyse, il en est ressorti qu’au-delà du Foie gras, on avait un potentiel plus large ; on pouvait être porteur d’une image de gastronomie du Sud Ouest. Or nous avons constaté que chez nos concurrents, il n’existait pas de marque alimentaire qui pouvait se revendiquer comme étant « LA » référence gastronomie du Sud Ouest.
Quand on interroge les gens sur les produits selon eux représentatifs du Sud Ouest, ils placent en première position le foie gras, et en seconde le jambon de Bayonne.

 » Il n’ y avait pas de marque locomotive pour le jambon de Bayonne »

Il se trouve que dans le cadre de cette analyse stratégique, coté Jambon de Bayonne, on s’est aperçu que dans le secteur, il n’y avait pas de marque emblématique du produit. Il y avait un IGP qui a bien fait son travail, en faisantévoluer le produit entre Jambon de pays et le territoire ; mais, s’il existait des marques comme Montagne noire ou Chevallier, et aussi beaucoup de marques de distributeurs, type Reflets de France pour les magasins Carrefour, il n’y avait pas de marque référence, pas de vraie locomotive. Après une série de tests auprès de consommateurs, il en ressortait que Delpeyrat pouvait développer une gamme Jambon de Bayonne, grâce à son rattachement Sud ouest, mais seulement si le produit était développé par la marque avec une réelle dimension gastronomique. Grâce au foie gras, et à un travail sur le marketing du type jambon italien, une belle présentation et de grande tranche, ça a permis au jambon de Bayonne de monter en gamme, grâce aussi à un marketing du type du jambon italien.

@! : Concrètement quelles ont été les étapes permettant de passer de la stratégie sur le papier à sa mise en pratique ?


T.B. :
Donc si on reprend, d’un côté nous avions la volonté d’élargir notre marque, et d’un autre il y avait un produit d’origine sud-ouest qui cherchait un leader ! A partir de là nous nous sommes mis en recherche d’entreprises à racheter. Là encore, les choses « tombaient bien » puisque Montagne noire, filiale du groupe espagnol « Campo Frio » était à vendre.Montagne Noire faisait à la fois du Jambon de Bayonne et du saucisson; nous n’étions pas intéressés par la partie saucisson, car peu compatible avec la dimension gastronomique que nous voulions développer. Mais notre proposition de ne racheter que l’activité jambon n’a pas été acceptée par le groupe espagnol, donc nous avons tout racheté,sans assimiler le saucisson à Delpeyrat et en continuant de le commercialiser sous le nom Montagne Noire.
Pour le Jambon de Bayonne nous avons lancé le produit « grande tranche », soutenu par une démarche marquetée. On a investi dans des moules pour grandes tranches qui permettent donne des tranches de 25 g mais plus fine, ce qui allait bien avec la dimension gastronomique puisque le jambon sec est meilleur lorsqu’il est tranché plus fin.
En 2008, on rachète Chevallier. On a substitué Delpeyrat, ce qui a permis d’accélérer le développement de la marque en grande distribution. Chevallier proposait déjà des grandes tranches, plus grandes que les nôtres, mais en contrepartie elles sont 20% plus chères…. L’intérêt d’avoir une gamme prémium, c’est que ça nous permet de financer l’innovation, la communication et la force de vente autour de nos produits et ainsi de continuer à tirer Delpeyrat vers le haut.

« Innover et segmenter l’offre »

Témoin de l'innovation développée par Delpeyrat, une vitrine de quelques produits de la marque, trone dans le bureau de son Président
@! : On le constate la démarche a été la bonne, leJambon de Bayonne prend sa place dans les supermarchés; où en est aujourd’hui le Jambon de Bayonne Delpeyrat et quels sont les nouveaux objectifs pour le Jambon de Bayonne?

T.B. : Nous avons eu un bon succès en trois ans. Nous sommes à cinq points de part de marché sur le jambon sec, là où le leader est à 12 points. Notre objectif désormais est de doubler notre part de marché. Et, nous avons quelques marges de manœuvres puisque nous ne sommes pas encore présents dans tous les supermarchés. Il nous faut être encore mieux distribués et segmenter l’offre. L’idée est de montrer aux consommateurs qu’il y a plusieurs façons de consommer le jambon de Bayonne. Outre le produit grandes tranches, nous avons développé une chiffonnade de jambon de Bayonne, un « plateau festif » avec7-8 tranches, le « cœur de jambon », sans gras, ou encore une déclinaison au piment d’Espelette. C’est étonnant d’ailleurs, personne n’avait pensé à le faire… Jusque-là le Jambon de Bayonne avait une logique d’origine, pas de marque… Désormais il faut imposer un marché du Jambon de Bayonne sur le marché du jambon sec, mais pour ça il faut que les distributeurs jouent le jeu.
Il faut bien comprendre que se lancer dans le jambon de Bayonne, c’était un vrai pari. Nous n’avions aucune expérience sur ce produit. Avec le recul ça paraît simple et facile, mais on était beaucoup moins rassuré il y a quatre ou cinq lorsqu’on a décidé des rachats. C’était une vraie prise de risque pour Delpeyrat que de vouloir imposer une marque, un concept jambon gastronomique et un certain nombre d’innovations autour de ce produit.

@! : Avez-vous des projets à l’international ?


T.B. :
Oui, et dans un premier temps, on cible l’Europe du Nord et le Japon. En Europe du Nord, ces pays ont une culture du jambon sec grâce aux jambons italiens et espagnols. On veut s’imposer sur le marché du jambon sec, commela « troisième version », à côté du Parme et du Serrano. Désormais en Grande Bretagne les étals des magasins Mark and Spencer, présentent le Serrano, le Parme et le Jambon de Bayonne ! Maintenant, il faut que les autres distributeurs achètent la démarche de proposer les trois versions du jambon.
Au Japon on capitalise sur l’image du Foie gras. Le Bayonne monte grâce aux clients foie gras de Delpeyrat, et à notre ambassadeur sur ce pays : le Chef Guy Martin. Ses apparitions, télé notamment, accentuent plus encore la dimension gastronomique pour les japonais.
Nous sommes aussi présents au Canada avec le Foie gras et le Jambon de Bayonne marche bien, c’est par là qu’on espère entrer aux Etats-Unis. Sur le jambon, Chevallier avait déjà ouvert le marché quand nous l’avons racheté.
Ca fait deux ans que nous travaillons en direction de l’Europe du Nord et le Japon. D’ailleurs, nous avons pu financer ces développements grâce à la vente de la branche saucisson sec hérité de Chevallier, qui nous a permis de récupérer des moyens et des ressources sur le Jambon de Bayonne.

450M euros de chiffre d’affaire : 75M pour le Bayonne et 300M pour le foie gras

Nous avons également acquis l’an dernier « Salaisons Pyrénéennes », qui conserve une grand autonomie, et représente aussi pour nous une marque de terroir complémentaire, puisqu’en plus du jambon de Bayonne, ils produisent aussi les fameux « Noirs de Bigorre ».La marque est destiné au circuit traditionnel, au rayon coupe, grossiste et restauration, ce qui permet l’élargir la gamme de nos produits et le périmètre… Périmètre par ailleurs de nouveau élargi, cette année, par le rachat de Comtesse du Barry, spécialisé dans les plats préparés, en épicerie fine. Au total, Delpeyrat possède désormais70 % des parts de marché sur les Jambons de Bayonne. Delpeyrat et Comtesse du Barry représentent ensemble un chiffre d’affaire de 450 M€ dont 75 M€ sur le jambon et 300 M€ pour le foie gras. Et oui… le foie gras reste notre premier métier!

@! : Justement, ce « premier métier » du foie gras, n’est pas complémentdéconnecté de l’activité jambon de Bayonne… Ne peut-il pas être un instrument pour lisser le phénomène de saisonnalité du foie gras que vous évoquiez au début de l’interview ?


T.B. :
C’est une bonne analyse. En été on communique surtout sur les Jambons mais on parle aussi foie gras. En hiver c’est la tendance inverse, parce que traditionnellement on mange davantage de foie gras pendant les fêtes que dans le reste de l’année. Mais, le jambon de Bayonne, peut aussi faire figure de produit festif en entrée de repas. Pour l’occasion nous travaillons des packagings différents qui mettent en valeur l’aspect festif. Toute l’année on essaie de faire rentrer dans les étals davantage de références foie gras et canard. Nous avons, par exemple, crée des chiffonnades de magret séchée qui sont commercialisées en libre-service juste à côté du jambon. Ici l’innovation c’est d’avoir changé le sens de la coupe, le magret séché est finement coupé dans le sens de la longueur…. Nous mettons également en place des produits pour mieux distribuer le foie gras hors saison festive, en créant par exemple un duo de foie gras au plus petit grammage  – pour deux, trois ou quatre personnes – qui permet de réduire le prix pour l’acheteur. Ces produits existent mais la distribution est frileuse.Cela dit, désormais, nous avons le flux logistique du Jambon qui se fait tout au long de l’année. C’est donc plus facile d’y glisser un carton de foie gras. Dans la même logique, nos vendeurs rendent plus régulièrement visite au chef de rayon, ce qui crée la proximité qui permet de petites avancées sur le foie gras. Désaisonnaliser le foie gras, fait bel et bien partie de nos objectifs; le jambon de Bayonne pourra nous y aider, même si on sait que ça prendra du temps.
Au total sur le jambon, on crée différentes recettes pour mettre en place différents instants de consommation, on procède à une montée en puissance de la communication télé, on développe notre force de vente pour diffuser la marque,y compris à l’international et on fait le lien avec le foie gras.

Photos: Aqui.fr

Propos recueillis par Solène Méric

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