Interview : Christian Broucaret, président de la Fnaut Aquitaine : « 18,5 allers-retours directs vers Paris, ce n’est pas un luxe »


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 21/04/2016 PAR Romain Béteille

@qui! – Le projet de LGV entre Poitiers et Limoges vient d’être retoqué par le Conseil d’État. C’est la preuve d’un désavoeu pour vous ?
Christian Broucaret, président de la Fnaut Aquitaine
– Dans l’imaginaire des politiques, la LGV résout tout. Or, c’est faux parce que ça s’inscrit dans une démarche plus complète d’aménagement du territoire. Cet imaginaire, nous n’y adhérons pas. Dans une ville comme Bordeaux, c’est vrai que ça va être un choc. Ca l’est déjà. Parce que ça va concurrencer l’avion. Mais il ne faut pas penser que Limoges va devenir le centre de la France parce qu’il y aura un TGV.  

@qui! – L’annonce du nombre de dessertes fait par la SNCF la semaine dernière vous satisfait-elle ?
C.B
– Ce n’est pas un luxe. Rennes, qui a moitié moins de population que la métropole bordelaise, en a beaucoup plus que nous. Dans le contrat entre RFF et Lisea, il était prévu 19 circulations pour que Lisea amortisse les travaux. Concernant les usagers, il faut voir l’effet d’entraînement que la LGV vers Paris va avoir. Il faut que ceux qui prenaient l’avion puissent avoir la possibilité de prendre le train facilement. Ce qui signifie qu’ils doivent avoir de l’offre. Cette offre doit précéder la demande. Si l’usager a cinq horaires au lieu de trois, il y a plus de chance qu’il se tourne vers le train. C’est comme au poker : si vous ne mettez pas un peu d’argent sur la table, vous n’allez jamais gagner… La SNCF était extrêmement frileuse et ne voulait pas prendre de risques. Dans les résultats de la négociation avec son médiateur, Jean Auroux, on était arrivé à 13,5 allers-retours directs. C’est la lettre d’Alain Juppé, d’Alain Rousset et de la CCI signée aussi par la Fnaut, qui en a proposé 19. 

Prenons le cas des péages : entre Tours et Bordeaux, le péage va à Lisea (entreprise privée). Entre Paris et Tours, il va à SNCF Réseaux. Entre Paris et Tours vont passer les TGV vers le Sud-Ouest et vers l’Ouest, qui quitteront la LGV à peu près à moitié chemin. Donc ces TGV supplémentaires vont payer des péages. L’usure de la voie est certes proportionnelle au nombre de trains qui passent, mais ça ne passe pas du simple au double. SNCF Réseaux peut donc se permettre de baisser le prix des péages entre Paris et Tours sur la LGV Atlantique parce qu’ils en profitent vers la Bretagne et dans le Sud Ouest. Enfin, ça peut compenser les péages qui sont un peu plus chers chez LISEA. L’intérêt pour l’exploitant, c’est qu’il passe le plus de trains possibles parce que plus on prend d’argent, plus on en a pour entretenir. 

@qui!La SNCF justifie ses chances d’attirer près de 2,3 millions de voyageurs d’ici 2019 par l’éventuel report modal qui pourrait être fait par rapport aux utilisateurs de l’avion. Y croyez-vous ?
C.B
– Certes, il faut du volume, mais il faut aussi de la fréquence. Il est évident que ce n’est pas en mettant un train toutes les deux heures que l’on va résoudre le problème. A l’absurde, leur raisonnement, c’était de couvrir tous les besoins en mettant un train capacitaire de 75 000 places. Certes, le train à la demi-heure en heure de pointe et un toutes les heures en heures creuses, c’est correct. Mais c’est vraiment le minimum. Ce qu’il faut espérer, c’est que du fait de l’afflux, ils soient obligés d’en mettre plus. De plus en plus, SNCF Réseaux va vers des TGV Duplex. Avec un train plus capacitaire et un mécanicien, on met plus de monde dedans et un Duplex ne paye pas deux fois le péage d’un TGV simple. 

@qui! – La SNCF reste encore assez discrète sur les prix des billets du TGV entre Bordeaux et Paris mais assure que quel qu’il soit, son déficit sera tout de même supérieur à 100 millions d’euros par an. On peut s’attendre à des billets plus chers ?
C.B
– Cette histoire des 100 millions de déficit par an est un faux problème. Les comptes de la SNCF sont de toute façon tellement opaques qu’on ne peut pas vraiment savoir ce qu’ils vont perdre. D’après les estimations qu’on a fait et qui ont été corroborées par les calculs du Conseil régional, on considère qu’ils seront à l’équilibre et même bénéficiaires. Parce que plus vous mettez de trains, plus vous aurez la chance de les remplir. Il y aura un effet d’entraînement. Aujourd’hui, sur Strasbourg, Air France rabat les gens sur le train. Ca pourrait très bien arriver qu’il y ait demain des trains affrétés par Air France de façon à ce que les gens qui arrivent de l’international à Bordeaux fassent la partie nationale en train.

Les frais ne sont pas linéaires. Une augmentation de 20 à 30% sur le prix du billet est peut-être acceptable pour les usagers, mais elle ne va pas être beaucoup plus importante que ça. On doit rester dans les mêmes prix. La politique du Yield Management (tarification en temps réel) doit aussi jouer à plein. Il paraît normal que les gens qui n’ont pas de contraintes horaires payent leur billet moins cher. Un premier prix sur Paris-Bordeaux aujourd’hui, c’est trente euros. Le prix « plein pot » est à plus de 100 euros. Entre ce yield management et le volume capacitaire plus important dans le train, il y a quand même moyen d’arriver à une hausse de billet raisonnable. Aujourd’hui, dans la tête des gens, le TGV est cher, il faut que cette idée passe. Si l’on déclare d’utilité publique les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax au mois de juin, il va falloir que les gens voient l’intérêt de ces lignes nouvelles. Ils comprennent assez difficilement que ces nouvelles lignes vont arranger les trains du quotidien et les sorties de Bordeaux. Ca va dégager des sillons, notamment dans la tranchée de Talence qui est engorgée. Enfin, on peut comprendre le souci des vignerons du sauternais mais il y a quand même eu trois ans de concertations, des réunions à n’en plus finir et pas vraiment d’opposition des corps constitués… Les agriculteurs du sauternais ont une autoroute qui passe au milieu du vignoble depuis 1975, ça ne les a jamais dérangés…

@qui! – Dans un article paru ce mardi dans la presse régionale, on voit bien que Bordeaux-Nantes sert de preuve supplémentaire pour dénoncer la vêtusté des lignes Intercités. Le coup de semonce de la région par rapport à la suppression de 24 TER par la SNCF pour cause de manque de conducteurs prouve également les dysfonctionnements au niveau régional. Les TER et les Intercités sont-ils les grands sacrifiés de la LGV ?
C.B –
L’explication est simple. La seule responsabilité qu’SNCF Mobilité a sur les trains, c’est sur les TGV parce qu’ils leur appartiennent. Le déficit des Intercités appartient à l’État et celui des TER aux régions. Ils se fichent donc que les TER et les Intercités ne marchent pas parce que ça ne leur sort pas de la poche et ça occupe leur personnel. Sur Bordeaux-Nantes, ils ont intérêt que les gens se rabattent sur le TGV pour n’utiliser que les trains SNCF Réseaux. Ils font un compromis en proposant des temps de trajets corrects entre Bordeaux et Nantes. Mais ce n’est pas en descendant la vitesse et en ne faisant pas des travaux sur le réseau qu’on va arranger les choses… 

Vu la difficulté de la formation des conducteurs, il n’est pas évident que tout le monde soit habilité d’ici l’été. La SNCF avait prévu que les régions laissent tomber certaines lignes comme Bayonne-Saint-Jean Pied de Port, Pau-Oloron, Périgueux-Agen et le Médoc afin de les remplacer par des bus de manière à recruter moins de conducteurs. Cette imprévision sur les effectifs des conducteurs est la même sur les aiguilleurs et les mainteneurs. 

Pour ce qui est de la menace financière de la région, sachez qu’elle est impuissante auprès de la SNCF. Quand vous n’avez qu’un seul fournisseur, pas le choix, il faut faire avec. La SNCF a prévu les pénalités que met la région dans le contrat, cela ne les dérange pas plus que ça. Pendant ce temps là, les usagers passent par le co-voiturage dès qu’il y a des dysfonctionnements sur une ligne. Ils se tournent vers ce qu’ils peuvent… 

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