« Silence fluo » : un projet pédagogique pour pacifier un conflit entre une école et Réseau Ferré de France


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 05/06/2013 PAR Elodie Souslikoff

Lorsque l’on pénètre dans la cour de récréation de l’école Maumey de Cenon, ce que l’on remarque, outre les cris assourdissants des enfants, c’est le drôle de décor accolé au grillage : grue, gravats de pierres, engins de chantier, et de temps en temps, le passage de petits bonhommes casqués munis de gilets fluorescents. Depuis septembre et la destruction de l’école maternelle, l’école primaire a en effet un nouveau voisin : le chantier de la suppression du bouchon ferroviaire de Bordeaux, visant à créer deux nouvelles voies ferroviaires au niveau de Cenon, géré par RFF (Réseau Ferré de France).

Tensions sonores

Un voisin étonnamment proche d’une école, et surout bruyant. Les relations de voisinage dérapent ainsi en novembre, période durant laquelle des pics sonores inquiètent enseignants et parents d’élèves. « Le niveau sonore ne dépassait pas les seuils dans les classes, mais des vibrations très fortes gênaient la concentration des élèves » se souviennent Audrey Mouligné, institutrice et Séverine Mio, enseignante Clis (classe pour l’inclusion scolaire). Corinne Beaujean, responsable de la communication de RFF Aquitaine Poitou-Charente reconnaît d’ailleurs que le chantier a été plus bruyant que prévu : « malgré les études, on s’est rendu compte que les sols étaient très fragiles, ce qui nous a contraints à construire des fondations plus profondes que prévu, et donc des travaux plus bruyants ». De l’inquiétude, les parents d’élèves passent à la colère, RFF refusant de déplacer le chantier le week-end ou pendant les vacances scolaires, pour des raisons de calendrier et de budget. Les classes seront toutefois délocalisées dans le haut-Cenon durant une semaine.

Un projet artistique de 25 000 euros financé par RFF

Le conflit n’est pour autant pas clos, puisque le chantier n’est toutefois pas fini. Les réunions entre RFF, les parents d’élèves et le personnel enseignant s’enchaînent. Et c’est lors de l’une d’entre elles que l’idée d’un projet pédagogique est évoqué par un groupe de parents d’élèves. Plusieurs pistes sont proposées lors d’un brainstorming entre plusieurs mamans, dont Candice Petrillo, qui, en plus d’être parent d’élève, se trouve être la directrice de l’association Zebra 3, spécialisée dans la création de projets artistiques.

L’idée? Donner une autre vision du chantier aux élèves, car s’il « défigure » -selon les dires d’une enseignante- l’environnement des enfants, il ne peut être arrêté et fait partie du quotidien de ces petits habitants cenonnais. Les différents projets sont soumis aux enseignants, « on ne voulait rien faire sans eux » glisse Candice Petrillo, et ils choisissent le projet de court-métrage, « le plus ambitieux » selon la jeune femme. Soumis en décembre à RFF, l’établissement public donne son feu vert en janvier et débloque un budget de 25 000 euros. Une course contre la montre commence alors pour trouver les intervenants et monter le projet.

Heureusement, l’association Zebra3 dispose d’un réseau de contacts plutôt fourni dans le milieu artistique. C’est ainsi que des artistes de divers horizons seront recrutés. Elie Hay, danseur interprète chez Gisèle Vienne, s’occupe ainsi des ateliers d’expression corporelle, Guillaume Castagné  et Sylvain Quément, du groupe Gangpol & Mit, du graphisme et de la musique du film, Juan Aizpitarte du scénario et Sébastien Farges du tournage. En plus de travailler avec des professionnels, les élèves ont découvert l’univers artistique à travers des sorties culturelles.

Le burlesque pour dédramatiser la situation

Le scénario du court-métrage s’articule autour d’une intéraction entre les élèves et le chantier : alors qu’ils ont perdu leur ballon sur le chantier qui jouxte la cour de récréation, les élèves s’introduisent dans le chantier pour le récupérer et en profitent pour dérober une télécommande d’un engin de chantier. Le directeur réussit toutefois à s’emparer de la télécommande qu’il va « tester » sur les enfants. En appuyant sur l’un des boutons, le directeur -qui joue son propre rôle- va ainsi maîtriser la gestuelle des élèves, qui tracent en groupe des grands mouvements (voir la photo). A la fin, « tout part en vrille » sourit Candice Petrillo.

Pour Juan Aizpitarte, le réalisateur, le court-métrage est avant tout « un outil pédagogique et thérapeutique ». « Ils ont choisi un projet visuel car ils se sentaient invisibles » avance-t-il, expliquant vouloir « construire un scénario de fiction  qui colle à leur réalité ». S’il admet que « on ne pourra pas arrêter le chantier de la LGV », il poursuit en avançant que « on peut changer le regard que l’on porte sur ce projet ».

Une vraie « respiration » pour l’école

Et le projet thérapeutique semble porter ses fruits. Audrey Mouligné et Séverine Mio, les deux enseignantes, reconnaissent qu’il a permis une « vraie respiration » dans l’école, classée en ZEP ‘zone d’éducation prioritaire). Elles confient ainsi que la plupart des élèves n’ont pas « un accès simple à la culture », qu’ils ont « besoin d’être valorisés ». « Le train n’est pas synonyme de voyage pour eux », précisent-elles, ajoutant que « les nuisances sonores et visuelles vont faire partie de leur quotidien et c’est compliqué après de valoriser l’école ». Elles reconnaissent également que la vision des élèves sur le chantier a bel et bien changé, le projet l’ayant rendu attractif et moins négatif. Elles avouent cependant qu’elles souhaitent « reparler du chantier l’an prochain [aux élèves], que ce ne soit pas une action ponctuelle ». Idéalement, les porteurs du projet auraient en effet souhaité qu’il dure trois ans, le temps que le chantier se termine. Corinne Beaujean reste cependant évasive sur la poursuite du partenariat et sa nature : « nous sommes ouverts au dialogue, et puis on s’est attaché à cette école. Mais il ne s’agira peut-être pas d’un projet à l’identique » précise-t-elle.

En attendant, la projection du film est prévue le 2 juillet au Rocher Palmer de Cenon.

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