TER : le « tour de vis » régional


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 17/05/2019 PAR Romain Béteille

Ce vendredi 17 mai, le Président de la SNCF, a signé officiellement, après d’âpres mois de négociations, la version officielle et définitive de la nouvelle convention d’exploitation 2019-2024 entre le Conseil régional et SNCF Mobilités sur l’exploitation des TER. Cette dernière est ambitieuse et a pour but d’améliorer le réseau ferroviaire régional, autant en termes de ponctualité que de fiabilité. Des objectifs chiffrés ont ainsi été définis pour une flotte assurant 700 circulations quotidiennes et qui accueille chaque jour 60 000 voyageurs. La SNCF s’est ainsi vu imposer des contraintes : diviser par deux le nombre de trains en retard (l’objectif de régularité a bondi à 95% en 2014 contre 91% depuis la régionalisation en 2002). Sur ce point, si l’indice de régularité tournait autour des 89 à 90%, les premiers résultats de la convention régionale, lancée en réalité depuis janvier, sont plutôt encourageants : 94,3% de régularité et 1,2% de trains supprimés (pour un objectif de 1,8% sur 2019). La convention a également acté la volonté de créer une « remise à plat » des horaires sur les cinq zones de Nouvelle-Aquitaine, avec une offre adaptée à chaque territoire.

Concrètement, cela se traduit par l’incitation à créer une soixantaine de nouveaux trains par jour, avec une pénalisation de 1,50 euros par train et par kilomètre non réalisé sur chaque étoile ferroviaire « si l’offre n’augmente pas de 5% ». En plus d’un engagement à maintenir le même niveau de service, la SNCF s’est engagée à ne pas réduire le nombre de gares ou de guichets et à ne pas étendre les trains sans contrôleurs après la polémique suscitée de la part des usagers sur la ligne Bordeaux-Arcachon en 2018. Un « fonds de garantie voyage » pour les abonnés annuels promet également une indemnisation en cas de « dégradation trop importante du service ». Le tout s’inscrit dans un budget de fonctionnement 2019 de 296 millions d’euros, incluant une baisse des charges de 8%. En gros, SNCF Mobilités devra augmenter ses recettes de 24% entre 2018 et 2024 (entre 3 et 4% par an), le tout sans augmenter le prix des billets. Elle sera également soumise à un bonus/malus pouvant monter jusqu’à 3,2 millions d’euros par an, sans compter les éventuelles pénalisations « sans plafonnement de pénalités et sans franchise » en cas de grève notamment. Les efforts régionaux effectués depuis 2002 (+ de 3,5 milliards d’euros en fonctionnement), ont visiblement porté leurs fruits : la fréquentation sur 2017 a augmenté de 9,8% (contre 4,3% au niveau national), et le nombre d’abonnés de plus d’un tiers à la rentrée 2018 par rapport à 2017. 

« Colonne vertébrale »

Ce nouveau tour de vis régional, le président de la Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, ne s’en est pas caché : « le sens que nous voulons lui donner, c’est de faciliter la vie quotidienne. Nous sommes dans un moment de transition et face à un défi important. Nous avons dû synthétiser les trois conventions passées auparavant par les trois anciennes régions, établir une synthèse en tenant compte des attentes de chacun. Faire en sorte que les trains partent à l’heure de Bordeaux, c’est enclencher dans toute la région une mécanique de régularité implacable. Un succès commercial suppose un service commercial performant, autant au niveau de l’information donnée aux usagers qu’à celui des lieux de distribution. Nous avons encore trop l’impression de ne pas participer au choix des horaires, c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place OptimTER, pour réviser l’organisation des cinq lots ferroviaires régionaux tous les six mois et pouvoir revoir les horaires et les fréquences, avec l’objectif clair de faire rouler plus de trains », a ainsi déclaré l’élu. « Notre troisième défi, c’est maintenant de sauver les lignes. Cette convention permettra à la Région de dégager des moyens sur les infrastructures, nous voulons les multiplier par deux. Cela suppose qu’SNCF Réseaux se réforme. La France est encore trop frileuse sur l’investissement mis dans ses infrastructures ferroviaires par rapport à nos voisins européens ». 

Guillaume Pépy, de son côté, ne s’est pas montré plus rassurant sur l’état du chantier qu’il reste encore à mener sur le plan de la compétitivité, le tout sans se priver non plus de faire de multiples allusions à l’ouverture du rail à la concurrence envisagée pour 2023. « C’est une région sur laquelle le ferroviaire est absolument indispensable puisque sa taille et la présence de la LGV font que c’est une colonne vertébrale. On était devant une qualité de service médiocre, on n’avait pas le potentiel de clients qu’on doit avoir aujourd’hui. C’est un sacré défi. C’est la convention la plus ambitieuse de France à bien des égards et sa mise en œuvre va nécessiter au sein de la SNCF une véritable révolution interne. La négociation a été difficile. On avait beaucoup de contentieux, du mal à se parler, il a fallu purger tout ça. Ce qui nous a paru fondamental, c’est de jouer le « train gagnant » dans la Région. Nous partageons le fait que le chiffre de 60 000 voyageurs par jour n’est pas en rapport avec le potentiel de service public et que si l’on veut vraiment inverser le rôle négatif de la mobilité sur la planète (responsable de 27% des émissions de gaz à effet de serre), il faut se donner des objectifs de recomposition et de fréquentation très ambitieux. Un voyageur TER qui fait un kilomètre dans cette région, c’est moins de dix grammes de CO2 par kilomètre. Un automobiliste seul dans sa voiture, c’est vingt fois plus. Le mécanisme choisi est vertueux : si la SNCF fait son job, elle a de grandes chances d’être choisie et retenue. Sinon, la mise en concurrence sera le levier qui permettra à la Région d’atteindre ses objectifs. Ça nous met le ballon dans les pieds et c’est à nous de jouer », a ainsi jugé le patron de la SNCF. 

« Concernant l’objectif de la qualité de service, nous allons le jouer en partenariat avec Réseaux, nous pensons que nous sommes capables de le relever. Nous étions à 88% de régularité il y a trois ans, on est aujourd’hui à 94% depuis le début de l’année. Je ne connais pas de Région qui ait fait ce score en trois ans, maintenant il faut consolider. Sur l’attractivité, il y a un énorme potentiel, il faut qu’on travaille une multimodalité effective et pratique » (peut-être via le billet unique actuellement en discussion via Modalis et la création du syndicat mixte intermodal de Nouvelle-Aquitaine en juillet dernier). « Sur la performance économique, enfin, on a accepté la baisse de prix de 10% en euros constants sur la période. Ca suppose une révolution industrielle et des organisations à l’intérieur de l’entreprise. Il y a 2500 hommes et femmes cheminots qui travaillent dans cette région sur les TER. C’est dans cette région que l’évolution des métiers, des organisations, des parcours professionnels, vont être les plus durs à réaliser. On a fait une gestion prévisionnelle, c’est clairement la plus ambitieuse de France, on ne la réussira qu’en s’occupant individuellement de ces personnes. Les organisations syndicales nous l’ont dit, de grands changements seront nécessaires pour atteindre cet objectif ». 

« Combien et quand »

Du côté des usagers, on a globalement salué l’ambition. Christian Broucaret, régional de l’étape à la FNAUT (Fédération Nationale des Associations des Usagers du Trains), l’a rappelé : la Nouvelle-Aquitaine a été récompensée ce jeudi 16 mai à Paris lors de la cérémonie des « Grands prix des Régions » du magazine Ville, Rail & Transports pour son dispositif de concertation « connectée » dans le cadre des comités de lignes TER, organisés chaque année. « La région continue les comités de lignes alors que de nombreuses régions en France les ont purement supprimés. C’est un endroit où les usagers et les corps intermédiaires disent ce qu’ils ont à dire. Il faut à certains moments les écouter. Certes, c’est parfois un peu des enfants gâtés qui demandent beaucoup de choses au Père Noël, mais c’est le principe et les élus qui ont la légitimité du vote sont là pour trancher ». Toujours prêt pour les petits rappels, Christian Broucaret a rajouté : « ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’on a un réseau qui est assez dégradé. Il est bien aussi que SNCF Réseaux soit impliqué, ça évite le renvoi de balle. Les choses vont mieux depuis le début de l’année, ça remonte dans les comités de lignes. La prochaine chose qu’on demandera, c’est le billet unique. C’est un problème technique qu’on arrivera, je pense, à résoudre assez facilement (…) Un usager des transports, c’est un client. Il a deux préoccupations, c’est combien et quand. Le combien est respecté puisque le client ne paye que 20%. Le quand pèche encore. Il faut que la SNCF se réforme et n’ait pas peur d’être transparente et de dire les choses. Elle n’a pas à avoir peur de l’ouverture à la concurrence. En Europe, dans tous les monopoles ouverts à la concurrence, l’opérateur historique a de toute façon gardé la plus grande partie du marché. C’est une marge de progrès : on constate que la DB Netz en Allemagne fait maintenant plus de trains qu’elle n’en faisait quand elle avait le monopole » (des voix discordantes parlent aussi d’une baisse importante des salaires…). « On voit une marge de progrès, on peut donc être optimiste… ». 

Des trains plus verts à l’étude

L’élève perfectible attend donc le prochain conseil de classe pour savoir si le redoublement est effectif ou pas. En plus de l’ombre d’incertitude que fait planer la concurrence, il va également falloir composer avec des objectifs non moins ambitieux concernant le verdissement de la flotte. Dans un rapport publié en novembre 2018, le député Benoît Simian met les choses au clair sur les ambitions du verdissement du matériel roulant, précisant que « si 80 % des circulations sont réalisées par des matériels roulants à traction électrique, les 20 % restant correspondent à des trains fonctionnant au diesel, dont la plupart circulent en zone urbaine ». Ce rapport précise également que la Nouvelle-Aquitaine, qui dispose aujourd’hui de 158 matériels roulants à moteur Diesel sur 204 rames, réfléchit déjà (via une association chiffrée à trois millions d’euros avec les régions Grand-Est et Occitanie) à un projet de développement de TER Hybride, et a identifié plusieurs lignes sur lesquelles ce nouveau système pourrait être déployé (à proximité des centres de maintenance) : Angoulême-Saintes-Royan, Bordeaux-Bergerac-Sarlat, Bordeaux-Périgueux-Limoges et Bordeaux-Le Verdon. À l’entendre, Guillaume Pépy compte bien suivre la marche : « nous sommes engagés à constituer des prototypes et nous voudrions signer un accord dès cet été pour pouvoir disposer de prototypes dans les 18 mois, même si cela implique un gros chantier de rénovation des infrastructures ». Interrogé, Benoît Simian ironise : « on ne peut pas demander à nos concitoyens de laisser leur diesel au garage et continuer à faire rouler des trains au diesel. Il y a plusieurs solutions : les trains hybrides à batteries, à hydrogènes ou électriques/hydrogène. Nous sommes en capacité, avec Alstom, de gagner ce défi là et d’avoir le premier hybride électrique à hydrogène au Monde. Un certain nombre de lignes dans la Région ont tous les prérequis pour développer ce type de technologies. Je me bats pour réaffecter les crédits budgétaires des électrifications de ces lignes pour acheter du nouveau matériel ferroviaire. Sur la ligne Bordeaux-Soulac sur Mer, par exemple, la caténaire est à bout de souffle et l’hydrogène serait une bouffée d’oxygène ». Si même les calembours s’y mettent…

Lors de cette signature officielle, on a aussi appris que pour le vice-président de la Région en charge des transports, le débat et les échanges sur le verdissement de la flotte étaient déjà ouverts, non sans certaines conditions, notamment un contrôle accru de la collectivité sur le type de trains qu’elle fera rouler demain. « On est en train de regarder cette question, non pas sous le prisme d’une seule technologie mais sur plusieurs. Des rendez-vous auront lieu dans les jours qui viennent avec des constructeurs qui ne sont pas forcément dans les radars aujourd’hui. On a acheté à Bombardier et Alstom, mais c’est la SNCF qui fait les appels d’offre. Nous, on paye. Demain, on souhaite lancer nous-mêmes les appels d’offre, d’où ces rencontres avec les opérateurs qui vont nous proposer des trains avec des rechargements électriques beaucoup plus simples que les caténairs, des trains hybrides ou encore des trains à hydrogène. On a la proposition d’Alstom sur le train à hydrogène sur la table, mais on ne va pas commander des trains à l’avance alors qu’on ne sait absolument pas si le prototype va marcher, quel hydrogène on va utiliser, à quel endroit il y aura des stations de rechargement, ect. On regarde toutes les possibilités avant de prendre une décision ». Ce ne sont pas nos voisins d’Occitanie dénoncant « une piètre qualité du service » de la SNCF ou les perturbations entre Lyon et Saint-Étienne qui vont nous démentir : le chemin de la rédemption sera long. Mais maintenant que les sillons sont tracés, plus qu’à faire rouler tout ça…

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