Bordeaux accueille le vélo en libre-service


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 05/02/2018 PAR Romain Béteille

Une affaire qui roule ? 

Aux dernières nouvelles, ils étaient trois opérateurs à émettre le souhait, en janvier dernier, d’installer une offre de « free floating » (ou vélos en libre service sans bornes, contrairement aux Vcub) sur Bordeaux. Le premier à dégainer s’appelle Indigo Weel (anciennement Vinci Park) et il voit plutôt l’ouverture de ce nouveau marché avec enthousiasme, comme l’a confié ce lundi Jean Gadrat, directeur du développement de la société. Le discours officiel fait des 1160 kilomètres de pistes cyclables bordelaises et du deuxième plan vélo métropolitain récemment voté des atouts de choix pour cet opérateur privé, qui cherche, après Metz en décembre et Tours il y a deux semaines, à développer sa flotte dans une grande métropole. Pas question, en revanche, de s’attaquer à Paris : en avril 2017, sa filiale Smovengo a remporté l’appel d’offre pour le nouveau Vélib’Métropole du Grand Paris, qui s’est un peu pris les pieds dans les pédales à son lancement… Pour éviter de mélanger le savon et l’eau du bain, c’est donc à Bordeaux qu’Indigo déploie ses vélos (montés en Pologne à partir de pièces fabriquées en grande partie en Chine, nous souffle-t-on) à partir de février. 

Concrètement, comment ça roule ? Ça ressemble à un vélo ordinaire, à quelques détails près. En plus d’être, évidemment, homologué par une norme iso et de bénéficier de feux de signalisation, il dispose d’une chaîne sans vitesses et d’un cadenas « renforcé » et géolocalisé, le tout évidemment dans l’objectif louable qu’il ne finisse pas au fond d’un fleuve (même si c’est déjà arrivé). Si on veut l’utiliser, on télécharge une application sur son smartphone et on s’inscrit. À chaque utilisation, le vélo est géolocalisé et dévérouillé à l’aide de l’application. Quand on a les jambes un peu trop brûlantes ou qu’on est arrivé à destination, on peut poser son vélo « dans un espace désigné par l’application ». Ça coûte cinquante centimes par location (sauf pour les étudiants qui bénéficieront d’une réduction) pour trente minutes d’utilisation avec une caution spéciale de cinq euros, soit la même somme à débourser que si l’on veut louer le vélo pendant 24h. En abonnement, on tourne plutôt à 79 euros par an (soit six euros cinquante par mois) et 59 euros pour six mois, sur la grande mode du tarif préférentiel si la durée de l’abonnement est plus longue. Indigo compte déployer 500 premlers vélos dès cette semaine et arriver à un parc de 1000 vélos à la fin du mois. Voilà, ça, c’était la partie purement factuelle. Dans les faits, le déploiement d’une offre en libre-service par des entreprises privées pilotables via une application, à Bordeaux, n’a pas été sans poser quelques soucis l’an dernier. Les deux roues à louer seront-ils mieux assaisonnés que les plats livrés par les coursiers uberisés ? Pas sûr.

Équation à plusieurs inconnues

Le premier inconnu, vous l’avez sans doute déjà remarqué, c’est le prix. Là où les Vcub sont proposés, au travers de 178 stations en libre service, à trente euros par an (et vingt euros pour les abonnés au réseau TBM), l’offre de cette nouvelle concurrence paraît difficilement compétitive. Le système de location à la demi-heure est évidemment là pour séduire les sceptiques de l’abonnement, d’autant que pour des questions de pure rentabilité et de l’aveu même du responsable local, « il faut qu’un vélo (qui coûte 280 euros) soit utilisé au moins quatre fois dans la même journée pendant trente minutes, le service n’étant pas subventionné ». La deuxième inconnue est, elle, de taille : la sécurité et la lutte contre le vol et la détérioration du parc de vélos. Les derniers exemples en date en France montrent que les vélos en libre service sont loin d’être les mieux traités : parties cassées, pièces détachées volées… L’entreprise Gobee.bike en a déjà fait les frais : elle a du laisser tomber le marché à Lille, Reims et Bruxelles en raison de la facture beaucoup trop salée de ces incivilités. À plus vaste échelle, le marché, naissant et pas encore formellement encadré, a déjà connu quelques déboires en Chine d’où il est originaire. Surtout qu’en théorie, on peut donc garer son vélo sans passer par une borne. « On peut les garer dans la zone de couverture. Mais on ne peut pas les poser n’importe où : si on le met sur un trottoir étroit, les piétons seront gênés », précise Jean Gadrat. Sauf que rien, dans la législation actuelle, n’interdit les utilisateurs de se garer où ils veulent, y compris à des endroits qui pourraient « gêner » qui que ce soit.  

Mais pas question de laisser tomber pour la mairie de Bordeaux, qui voit l’arrivée de cette nouvelle offre d’un oeil à la fois « bienveillant et vigilant », selon les mots de Brigitte Terraza, maire de Bruges et vice-présidente de Bordeaux Métropole en charge des mobilités. L’élue socialiste de Bruges, sans s’en cacher, y voit même des économies potentielles. « On a envisagé, dans le deuxième plan vélo, de développer d’autres stations Vcub notamment dans l’intra-boulevards. Peut-être que si ce service là fonctionne bien, nous n’aurons pas besoin de le faire. L’important, c’est que l’offre de vélo existe sur la métropole, et cet argent peut sans doute être mis sur d’autres aspects comme l’aide à l’achat de vélos à assistance électrique (+de 700 demandes éigibles en 2017) ». Sans nier que des ajustements seront sans doute à prévoir après une phase de test dont il n’a pas précisé la durée, Jean Gadrat tempère : « il va y avoir une phase où usagers et exploitants vont s’appréhender. Il faudra qu’on explique les règles, on aura une période de test où des efforts de communication seront à réaliser pour comprendre comment ça fonctionne ». Et pour tenter de réduire les incivilités, quoi de mieux qu’une indémodable carotte, qu’on appelle ici plus ludiquement « gamification » ? Le service bénéficiera donc d’un système de bonus/malus : s’il se sert correctement de son vélo et le gare dans des espaces adaptés, l’utilisateur recevra des points lui permettant de bénéficier d’éventuelles offres tarifaires où de « goodies » comme des bracelets de sécurité ou des casques; « toujours en rapport avec le vélo », précise toutefois Jean Gadrat. Et pour ceux qui ne respecteraient pas les règles ? Il pourraient être « blacklistés » de l’application, mais le conditionnel est d’usage, le service n’ayant pas encore mis ce système en place.

Un flou juridique

L’entreprise ne semble pas freinée par ces obstacles : elle prévoit déjà 2000 vélos potentiellement déployables au printemps prochain et souhaite s’étendre là où l’offre pourrait être la plus rentable pour elle. « Aujourd’hui, le lot de mille vélos qui nous a été autorisé par la mairie nous permet de couvrir le centre de Bordeaux, Caudéran et Saint-Augustin. Par la suite, on est intéressés pour s’étendre vers Talence, là où il y a les logements universitaires, parce que c’est notre clientèle phare (30% des utilisateurs ont moins de trente ans). On comprend qu’on doit compléter le réseau de Vcub, qui existe mais ne va pas avoir notre souplesse de développement. Pour le reste, il n’y a pas de limite communale, c’est plutôt le tissu urbain qui va nous aider à suivre notre développement ». Pourtant, la métropole et la ville ne tiennent visiblement pas à faire n’importe quoi avec le patrimoine local. Indigo est le bienvenu, oui, mais pas partout. Pour Jean-Louis David, adjoint à la mairie de Bordeaux en charge de la « vie urbaine », « il y a quelques endroits emblématiques à Bordeaux que l’on souhaite préserver, et depuis longtemps. La Place de la Bourse ou le miroir d’eau, par exemple, sont privés de toute manifestation publique, de toute pose de mobilier urbain parce qu’architecturellement parlant, ils ont été conçus pour être épurés. Seul le maire déroge quand il y a une manifestation particulière. Il y a aussi des axes privilégiés : la Place de la Comédie, le Cours de l’Intendance en font partie, on ne veut pas qu’il y ait un amas de vélos où de scooters. On a installés 600 arceaux à vélo en 2017 et on travaille à en installer d’autres, mais on est confrontés à des problématiques très matérielles ». Plus clairement : déjà que la grogne monte depuis quelques semaines sur la politique de stationnement municipal, enlever des places (qui ont déjà tendance à manquer) pour mettre des arceaux risquerait de tordre quelques guidons… 

Reste qu’en étant les premiers à se lancer dans l’arène bordelaise, Indigo bénéficie d’un relatif flou juridique quant-à une éventuelle règlementation d’occupation de l’espace public. Même sans appel d’offre, DSP ou financements public, la grande inconnue reste toujours le conventionnement de la dite occupation. Sur ce point là, Jean-Louis David fournit quelques réponses. « Il y a un règlement que le conseil municipal de Bordeaux vote tous les ans qui donne une tarification de redevance de l’occupation du domaine public sur l’espace public en lui-même. On considère que ce n’est pas applicable à ces flottes de vélos parce que ce serait excessif de les faire payer au même titre qu’un restaurateur pour son mètre carré de terasse (entre vingt et trente euros au mètre carré selon le type d’occupation). Aujourd’hui, on travaille avec les autres villes de France mais on n’a pas d’à-prioris. C’est une innovation intéressante, il ne s’agit pas de la casser économiquement. Par contre, on peut observer très précisément l’équité entre ceux qui utilisent le domaine public ».

Le maire de Bordeaux est d’ailleurs entré en discussion avec ceux de Lille et Paris pour l’élaboration d’une charte « commune et concertée » qui pourrait apporter une première garantie et tenter de diminuer le coût potentiel d’entretien que les vélos déteriorés ou posés n’importe où engage pour les collectivités dans lesquelles ce type de service est implanté. La question de la redevance se pose donc, même si les premières pistes parisiennes n’ont pas vraiment abouti à ce jour. En attendant, c’est une charge financière en moins pour Indigo qui peut librement tester son service sans être redevable d’une quelconque taxe. Si elle voit le jour, elle pourrait être implantée aussi à Bordeaux, « mais attention », prévient l’élu municipal, « quand on le fait pour les uns, on le fait aussi pour les autres ». C’est que d’autres oeufs lorgnent déjà sur le même panier : ces derniers mois, oBike et Ofobike ont aussi émis le souhait de prendre leurs quartiers bordelais. Indigo, elle, n’a pas que la carte du vélo dans sa manche : au travers d’une offre de services plus étendue, elle propose aussi le stationnement « tout en un » (OpnGo) des courses de taxis « partagées » (Faxi) ou Watt Mobile, des scooters ou des voitures électriques en auto-partage. Si un premier opérateur a émis le souhait de proposer des deux-roues en libre service à Bordeaux en janvier, la mairie paraît beaucoup plus réservée sur la question. Contrairement aux scooters,  la métropole s’est en effet fixée un objectif de part modale pour les vélos (15% en 2020 contre 9% aujourd’hui), logique donc qu’elle accueille toute initiative souhaitant renforcer les quelques 2000 Vcub déjà disponibles, soumis eux à une délégation de service public jusqu’en 2022. Et même si le « floating » est « free », c’est bien celui qui sortira sa carte bleue qui sera seul juge du sens dans lequel il veut pédaler… 

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