Bordeaux Métropole : nouveaux visages pour la Ferme de Baugé


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 03/03/2020 PAR Romain Béteille

Quelques jours avant la grande ouverture de la Ferme de Baugé, nous avons rencontré l’éleveuse dans son nouveau petit paradis, une opportunité qu’elle a saisi au moment où la municipalité a lancé les candidatures pour trouver un repreneur, et qu’elle vit aujourd’hui comme une chance presque inespérée de faire partie de la (toute petite) famille de l’agriculture périurbaine sur la métropole bordelaise. Avant de vous expliquer ce qu’on va pouvoir trouver dans le magasin dont elle a repris les clés, il faut vous raconter une petite histoire : la sienne. Celle d’une passion de longue date, et d’un nouveau départ. 

« Date limite »

Fille de jockey, originaire de Mont-de-Marsan, elle a grandi « bercée par le monde des courses hippiques ». Elle a donc grandi entourée d’animaux, allant jusqu’à obtenir un Brevet d’études professionnelles agricoles option lad jockey. « J’ai toujours gardé dans un coin de ma tête le souhait d’ouvrir une ferme pédagogique. On peut dire que les animaux ont été mon exutoire pendant toute ma carrière professionnelle ». Sa carrière, justement, elle l’a menée loin des chevreaux dont elle s’occupe aujourd’hui à temps plein : soignante dans un hôpital public jusqu’au 31 janvier dernier, elle a bénéficié en 2018 d’une formation à l’IFZ, l’Institut Français de Zoothérapie de Velanne, qui forme chaque année une centaine de personnes à la médiation par l’animal auprès de personnes âgées, en situation de handicap ou des enfants et adolescents en « inadaptation sociale ». « Je suis rentrée et j’ai repris mon poste à l’hôpital, j’ai vu que ce serait compliqué de mettre ça en place dans un service, alors j’ai dit à mon mari que je voulais m’installer et porter un projet de ferme pédagogique », continue Myriam, en évoquant cet épisode perchée au milieu des montagnes comme un déclic. « Deux mois après ce stage, en février 2018, j’ai acheté mes premières chèvres, des alpines ». 

Formée grâce à un Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BP REA) et épaulée par des techniciens de la chambre d’agriculture, elle a mis les chances de son côté en réalisant plusieurs formations spécifiques à l’élevage de chevrettes, au traitement contre les maladies ou encore à la transformation fromagère et un stage de 13 semaines à la ferme de Baugé. Et on peut dire que le moment est bien tombé. « C’est quand je suis venue en stage ici qu’ils m’ont annoncé qu’ils allaient partir. C’était ma dernière année pour pouvoir m’installer en jeune agricultrice, j’ai eu 40 ans en septembre, je devais être diplômées et avoir bouclé mes dossiers pour bénéficier d’aides de l’État. En effet, le montant des crédits d’État dédié aux jeunes agriculteurs sont plus importants (30,8 millions d’euros) que pour l’AITA, programme ouvert aux plus de 40 ans (13,3 millions d’euros). Un décret d’octobre 2001 a en effet repoussé à 40 ans la limite d’âge pour l’accès aux aides à l’installation, sous la condition d’un engagement à exercer dans un délai d’un an (au lieu de cinq auparavant) « en qualité de chef d’exploitation ». 

C’était donc le moment où jamais pour Myriam. Questionnée sur la reprise suite au départ des deux précédents locataires, elle affirme ne pas s’être inquiétée outre mesure. « Je savais très bien que c’était une structure économiquement viable pour avoir eu les bilans comptables entre les mains. On avait acheté une bergerie à Aubiac, un petit terrain d’un hectare, pour se lancer. Ce sera pour nos vieux jours, maintenant, le terrain est à aménager entièrement. Financièrement, on n’avait pas les reins, je ne sais même pas si la banque m’aurait suivi ou pas. Dans tous les cas, je me serais installée. Le foncier agricole en Gironde est quasiment inaccessible aujourd’hui. En dehors d’une reprise dans le cadre familial, allez trouver seize hectares aujourd’hui… C’était une vraie chance. Tant que des gens protègeront l’agriculture, même si elle est au niveau urbain, on arrivera à être acteur de notre consommation et responsable de ce qu’on mange sans que ça coûte plus cher ». Pour l’instant, la ferme de Baugé est donc entièrement dédiée à la production. En reprenant le matériel des deux anciens éleveurs (salle de traite, une partie du cheptel, magasin, matériel de fromagerie) et en y rajoutant l’achat d’un tracteur d’occasion et d’une yaourtière (un peu plus de 80 000 euros en tout) et avec un loyer du bâtiment d’exploitation fixé à 4000 euros par an, Myriam et Emmanuel seront les deux principaux employés pour faire tourner le domaine, avec un petit coup de main ponctuel de sa mère pour tenir la boutique en statut d’aide familiale. « Il a bénéficié d’horaires aménagés dans son travail (il est policier) pour s’occuper de la traite avec moi. Il fallait qu’il garde son travail parce que j’ai quitté le mien, on n’a aucune autre source de revenus. La priorité, c’est l’exploitation ».

Elle compte aujourd’hui une trentaine de chèvres, des Saanen et des poitevines et, bien sûr, des petits chevreaux. « À échéance de trois ou quatre ans, on aimerait avoir un cheptel d’environ 65 têtes, une moitié de chaque. On va remettre un bouc poitevin cette année, maintenant que c’est notre job à temps plein ». Côté production, on trouvera essentiellement des fromages lactiques (crottin, pyramide, bûches, cœurs fourrés au miel ou à la confiture), du yaourt de chèvre et du lait en bouteille. « Pour l’instant, on n’a que du frais, ça fait une semaine qu’on a commencé ». On y trouvera aussi du miel et du vin (Château Dumon, propriété en Saint-Émilion). On trouvera Myriam à la fabrication des produits et Emmanuel à la gestion des animaux. « La fromagerie, c’est mon dada perso. J’aime bien faire de petites expériences, je m’amuse à au petit chimiste dans ma fromagerie, ça m’éclate. C’est mon outil de production et ce qui va me permettre de pouvoir vivre ». Quant à l’idée de la ferme pédagogique, elle l’a toujours en tête, mais elle devrait venir plus tard, avec d’autres animaux, pourquoi pas un âne. « Une ferme pédagogique, sans outil d’élevage au milieu en production réelle, je ne pense pas que ce soit viable et que ça fasse vivre une famille. Il faudra d’autres budgets, d’autres subventions, il faut d’abord que l’entreprise tourne (…) Je crois à tout ça, sinon je serai encore en service à l’hôpital. Je prends un risque puisque j’emmène ma famille avec moi, mais si je n’étais pas motivée et que je ne pensais pas que ça pouvait marcher, je n’en serai pas là. C’est un changement pour tout le monde, j’espère que c’est pour du mieux ».

Maillage territorial

En termes d’exploitation agricole, ils sont encore peu à sauter le pas de l’installation sur la métropole bordelaise. En 2016, l’A’Urba a réalisé une étude sur la question de l’agriculture urbaine sur la métropole bordelaise en replaçant le tout dans un contexte élargi. On y découvre que seuls 27% des installations se font en dehors du cadre familial, phénomène « encore accentué en ville :  la plupart des personnes sont sans héritage agricole et parfois sans qualification particulière dans le domaine. La plupart des acteurs identifiés dans les exemples analyses sont issus de milieux socioprofessionnels très divers (horticulteur, designer, paysagiste, ingénieur, développeur…). Ce sont des autoentrepreneurs issus de la ville, qui se forment souvent au fur et à̀ mesure que leur projet se développe. Les difficultés techniques, commerciales rencontrées et surmontées sont souvent méconnues. En ce sens, ils sont pionniers dans un domaine où l’opinion publique est encore à̀ sensibiliser. Il leur revient donc de convaincre les acteurs institutionnels et/ou financiers des avantages de leurs projets et de l’intérêt de l’agriculture urbaine ». L’étude va plus loin localement : elle précise que l’agriculture « ne concerne que 0,4% des emplois et 10% du territoire de Bordeaux Métropole ; soit près de 5500 hectares. Même si la métropole ne représente que 14 % des emplois agricoles de l’aire urbaine bordelaise, cette dernière est bien placée face aux autres agglomérations : l’emploi dans l’agriculture y est de 2,4 % contrairement à̀ Toulouse (1 %) ou Lyon (0,6 %) ». À l’échelle de Bordeaux, l’étude avait recensé 33,12 hectares de surface agricole, « principalement des grandes cultures présentes à Bordeaux-nord » : 32% de prairies cultivées, 5% de surfaces exploitées en maraîchage… et un élevage très peu présent. « Même s’il est extrêmement difficile d’établir une situation fiable en termes d’effectif pour certains cheptels, on compte 30 élevages bovins viande, 3 élevages bovins lait, 2 élevages ovins spécialisés et 76 élevages de doubles actifs possédant des troupeaux relativement conséquents, aucun élevage caprin spécialisé́ et effectif très faible, 1 élevage de volaille, 9 exploitations équines dont une destinée à la boucherie et 3 apiculteurs professionnels ».

Isabelle Maillet, adjointe à la mairie de la commune voisine de Blanquefort déléguée à l’agriculture et au sport, connaît bien le sujet : c’est elle qui, en 2016, a supervisé le lancement de l’éleveur Julien Sarres dans le nouveau site de La Vacherie, une « ferme à vocation culturelle » dans laquelle il a installé ses brebis. Elle l’affirme, il y a « de plus en plus de fermes urbaines et d’installations en agriculture » sur l’agglomération. « C’est une bonne nouvelle parce que c’est une activité recherchée, ça montre une dynamique. On ne vise pas l’autonomie alimentaire mais on peut faire de la production locale ». La responsable cite notamment les travaux du Haillan sur le maraîchage, la Vacherie de Blanquefort, les jardins partagés et la couvée de maraîchères en auto-alimentation pour des particuliers à Pessac, la ferme urbaine de Darwin à Bordeaux ou encore le travail de Saint-Aubin-de-Médoc avec le Conservatoire des races. De plus en plus de projets voient en effet le jour dans le secteur, à l’image de la ferme aquaponique à Cenon. À Villenave, elle évoque un deuxième projet d’installation, qui pourrait être une exploitation en ovin viande, même si le terme final de la production n’est pas encore fixé. « On recherche de la diversité, pas juste avoir une seule production. À termes, ici, il devrait y avoir des œufs et un travail avec les producteurs locaux pour un maillage local de la vente. Il pourrait aussi y avoir une relation avec la Vacherie pour échanger des fromages. Le but, c’est que les fermes urbaines du territoire soient en relation, qu’elles travaillent ensembles ». En attendant le futur, le présent de Myriam et d’Emmanuel, accompagnés de leur enfants et de leurs quatre bergers australiens, est déjà bien chargé : la ferme et la boutique seront ouvertes tous les mercredis, vendredis, samedis et dimanches de 8h à 12h et de 16h30 à 18h30, le jeudi étant réservé aux visites. 

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