Entretien : Pierrick Poirier, DG Keolis Bordeaux Métropole, le réseau urbain ou « la nécessité de s’adapter »


P.P
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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 04/02/2021 PAR Mélanie Philips

@qui! : Vous êtes arrivé au coeur de la crise, comment, personnellement, on gère ça ?

Pierrick Poirier : Ça va. Dans le sens où avant mon arrivée, l’entreprise avait quand même mis en place une grande majorité des adaptations. C’est dans l’urgence au début de la crise qu’il a fallu adapter l’ensemble des protocoles sanitaires pour protéger les salariés et les clients. Il a fallu aussi modifier à plusieurs reprises l’offre de transport. Quand je suis arrivé, l’ensemble de ces dispositifs étaient en place, on les a simplement ajusté en fonction de l’évolution de la situation. Mais ce qu’on peut dire effectivement, près d’un an après, c’est que l’entreprise est complètement adaptée à cette situation. Ça passe par le nettoyage des bus et tramways par nébulisation la nuit, l’installation des distributeurs de gel dans tous les trams et bus articulés. Les gens se sont habitués, aujourd’hui dans les transports ils portent le masque. Mais la plus grosse décision a été prise dès le début, en maintenant quasiment à son niveau l’offre de transport. On est aujourd’hui à 90 % d’offres versus 60 % de trafic. Les règles sanitaires sont respectées que ce soit en station ou dans les véhicules.

@! : Et pour les salariés, par quoi est passée l’adaptation aux règles sanitaires ? 

P.P : Nous avons effectivement une partie du personnel, administratif en particulier, qui est en mesure de télétravailler et donc nous l’avons mis en place pour environ 400 personnes sur les 2800. Parce qu’effectivement, la particularité de notre métier, c’est qu’on ne va pas demander à un conducteur ou un mécanicien de télétravailler, sinon ça va beaucoup moins bien marcher :rire:.

Une baisse de mobilité, pas une perte de clients

@! : Vous dites être à 60% de trafic, quelles observations vous avez pu faire en matière de fréquentation ? 

P.P : En septembre le niveau de trafic était remonté à 70 % environ, par rapport à la même période un an avant. Avec un couvre feu à 18h et une partie de l’activité qui n’est pas présente, – les étudiants représentent une partie de notre clientèle -, aujourd’hui on est à 60 % de niveau de fréquentation oui. Ce qui est important d’avoir en tête, c’est qu’on est plutôt sur une baisse de mobilité de nos clients, plutôt qu’une perte de clients. C’est-à-dire que quand on se compare par rapport à l’année dernière, on a aujourd’hui 90 % des gens qui prenaient les transports, qui les prennent toujours. On est sur une baisse de mobilité, mais les usagers sont toujours là, ce qui est moins grave que si on les avait perdu. Parce que cette mobilité, on va la retrouver dans l’avenir. On suit évidemment cette évolution là pour voir quelles sont les tendances. 

On est dans une période intermédiaire et on sait qu’il nous faudra plusieurs mois voire plusieurs années pour retrouver le niveau de trafic préalable. Tout cela entraine des mutations profondes sur le comportement de la population. Le télétravail, les personnes qui vont souhaitez déménager et s’installer hors des centres urbains… tout cela va modifier les habitudes de déplacement. On aura aussi probablement une exigence de la part de notre clientèle, concernant le confort et la sécurité, plus importante. Cette exigence fait partie des sujets auxquels on va devoir répondre.

@! : Comment on peut s’adapter pour qu’il y ait moins de monde sur le réseau en heure de pointe ?

P.P : La première chose que l’on peut faire, c’est la promotion de la marche à pied pour les déplacements courts. Parce qu’il y a des usagers qui, par facilité, vont prendre le tramway pour une station. On peut aussi travailler à l’étalement des heures de pointe. Parce que finalement on a des pics notamment liés au campus sur la ligne B. Donc si on pouvait décaler une partie des heures d’entrée de 15 minutes, à titre d’exemple, on pourrait fortement étaler les heures de pointe et éviter la congestion. Donc ça fait partie des solutions qui ne reposent pas que sur des moyens supplémentaires. 

@! : Est-ce que vous avez constaté une augmentation de l’utilisation des vélos ?

P.P : Sur le réseau, tous les modes de transport ont baissé , y compris le vélo en libre-service puisque globalement la mobilité a baissé. Mais sur l’ensemble des déplacements, il y a eu une forme de repli sur la voiture. Donc là ce qui va être important c’est l’accompagnement des politiques publiques, des choix d’orientation qui sont faits. Et Bordeaux fait plutôt le choix de promouvoir dans le centre-ville les modes doux: marche à pied, vélo et transport urbain.

@! : Est-ce que ces changements d’habitudes ne vous font pas peur quant à l’impact sur l’utilisation des trams et des bus ?

P.P : Peur, non. Parce qu’une métropole comme Bordeaux a besoin d’un réseau qu’il soit performant. C’est une métropole qui reste en progression de population. Aujourd’hui c’est 800 000 habitants et les projections en 2030 c’est 900 000 habitants. Donc les besoins de transports collectifs ne vont faire que croître. Par contre ce qu’il faut que l’on intègre, c’est les attentes de la population. Elle va peut être davantage se répartir sur les différentes solutions et exiger de notre part des normes de confort qui seront peut-être différentes de celles qui préexistent. Donc ce n’est pas une crainte, c’est simplement la nécessité de s’adapter.

« On est un dégât collatéral d’une situation de sécurité qui se dégrade à Bordeaux »

@! : Quels impacts la crise sanitaire a eu sur l’entreprise, que ce soit au niveau des ressources humaines que des finances ?

P.P : Il y a un impact financier qui est évident, puisqu’il y a eu une baisse des recettes de trafic en 2020 d’environ 30 millions d’euros. Ce qui est très significatif. Le montant prévu était de 90 millions d’euros, ce qui représente un tiers de perte de recettes, qui correspond à la baisse de trafic. Et puis la métropole a été aussi touchée par la baisse du versement mobilité, notamment dûe à la baisse des activités économiques et au chômage partiel. Au niveau RH, l’impact principal a été une augmentation de l’absentéisme. Un taux supérieur de 2 points par rapport aux années précédentes. Ceci étant, il y a toujours eu la continuité d’activité. Il n’y a pas eu de baisse d’activité parce que le personnel n’aurait pas été là ou pas suffisamment nombreux pour pouvoir effectuer le service. L’entreprise a assuré sa mission de service public pendant toute la période.

@! : Toujours concernant vos salariés, avec une question d’actualité : on a vu une montée des incivilités. Comment on gère et comment on essaye d’apaiser la situation ? 

P.P : On a eu en 2020 un triplement du nombre d’interventions pour des faits d’insécurité, essentiellement pour des incivilités – état d’ivresse, injures etc.- plus que pour des faits graves. En revanche les agressions n’ont pas augmenté, elles ont même un peu baissé. On a aussi subi plus de jets de projectiles, c’est une réalité, notamment les mortiers. Donc une année compliquée en matière de sûreté, de nombre d’événements, même si encore une fois les faits graves, heureusement, n’ont pas été en progression. 

L’entreprise est déjà organisée en termes de sûreté puisqu’on a un poste de commandement où on est en liaison radio et vidéo avec l’ensemble du réseau. On a au sein de ce poste de commande un PC sûreté spécifiquement dédié qui traite tous les appels d’urgence. Avec des équipes d’intervention qui sont capables d’intervenir à pied, en vélo, en moto, en voiture. Nous avons tous les modes d’intervention pour aller au plus vite au devant de la personne. En 2020, en moyenne on est intervenu dans les 10 minutes. Et ce temps d’intervention s’est amélioré de deux minutes par rapport à l’année précédente. On y arrive grâce à une augmentation de nos moyens et aussi à un meilleur positionnement de nos agents sur le réseau pour être au plus près des zones en difficulté.

@! : Par quels moyens, vous faites face à cela? Comment protégez-vous davantage vos agents ? 

P.P : Pour faire face à ça, il y a plusieurs choses. D’abord, c’est la formation de nos équipes de contrôle et de sûreté. Parce qu’on est face à des comportements qui sont plus violents et plus agressifs qu’avant. Pour préserver nos équipes, il faut les doter de compétences supplémentaires pour leur apprendre à gérer un groupe, à bien se positionner, à bien interagir avec une personne qui se montre agressive pour être capable d’éviter que les choses ne dégénèrent mais aussi pour être capable de se préserver. Cette formation est délivrée par la police nationale. Il y a aussi un renforcement du partenariat avec les forces de police et de justice. Parce que ce que l’on subit, les bordelais le subissent. On n’est pas une exception, on est un dégât collatéral d’une situation de sécurité qui se dégrade à Bordeaux. Bordeaux est une grande métropole qui a les avantages et les inconvénients d’une grande métropole. 

Keolis candidat pour la DSP 2022

@! : On l’a vu le contexte est plutôt difficile en cette fin de DSP avec la Métropole…. Allez-vous candidater à la prochaine ?

P.P : La phase de candidature est terminée, donc les candidats ont été retenus et Keolis est candidat bien entendu, pour le prochain contrat. Keolis va répondre pour rester l’exploitant du réseau de transport pour les huit ans à venir. Mais il y aura des concurrents et c’est normal.  

@! : Selon une étude de l’Union des transports publics (UTP), 31 % des voyageurs comptent délaisser partiellement ou totalement le transport public, en favorisant davantage la marche ou le vélo, et pour 16%, la voiture sera toujours le meilleur moyen de déplacement. Comment vous réagissez face à ces chiffres ? 

P.P : On va voir une partie de la population effectivement qui va se comporter différemment et une partie de la population qui va maintenir ses habitudes. Ce qu’on peut dire c’est qu’on a une exigence de confort et de sécurité qui va augmenter et à laquelle il faut que nous puissions répondre. Au-delà de ça, Bordeaux a des enjeux de progression de la population en passant à 900 000 habitants et il faut que le réseau puisse répondre aussi. Faciliter la liaison entre les deux rives reste un sujet évidemment récurrent et les liaisons de périphérie à périphérie aussi. Et il faut donner accès à tous les modes à la population. Effectivement il y a une baisse conjoncturelle de la fréquentation, mais les enjeux restent des enjeux de développement et il faut accompagner différemment ce développement, pas comme on l’a fait jusqu’à présent.

@! : Parmi les enjeux forts sur la métropole, il y a le désengorgement : quel regard portez-vous, en tant qu’expert de la mobilité, sur les projets en discussion tels que le téléphérique ?

P.P : Le téléphérique urbain fait partie des solutions de transports urbains pour répondre à des problématiques de franchissement, et elles se multiplient un peu partout. Elles ont le mérite d’être moins cher qu’un mode lourd, plus rapide dans sa mise en œuvre pour les travaux. À Bordeaux il y a une problématique de franchissements des fleuves et c’est normal que Bordeaux Métropole l’envisage. Et nous sommes en capacité de l’exploiter, puisque l’idée c’est bien de faire en sorte que ce soit l’exploitant du réseau qui l’intègre dans son mode de fonctionnement. Ça doit s’intégrer dans la chaîne des déplacements offerte à la population du réseau.

@! : Avant le lancement de la nouvelle délégation, il y encore 2 ans devant vous pour terminer celle qui est en cours. Quelles sont les nouveautés à venir sur le réseau ? 

P.P : En ce qui concerne l’offre de transport, la prochaine échéance c’est l’extension de la ligne A jusqu’à l’aéroport de Mérignac qui est prévue pour l’automne de l’année prochaine. Les autres projets de tramway ont été pour l’instant suspendus. Je dirais que dans les deux ans qui viennent l’évolution importante c’est celle-ci et donc la réorganisation du réseau autour de cette prolongation. Les échéances suivantes ça sera la ligne de BHNS (Bus à haut niveau de service). La première étant celle qui ira à Saint-Aubin-de-Médoc, qui correspond grosso modo à l’itinéraire de la ligne 3, qui sera évidemment prolongé. 

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