La Gironde dénonce une métropolisation imposée


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Temps de lecture 11 min

Publication PUBLIÉ LE 04/10/2018 PAR Romain Béteille

Un consensus (?)

Les relations se tendent. Quelques jours après la rencontre, le 1er octobre, entre Emmanuel Macron et cinq présidents de métropoles (Christian Estrosi à Nice, Jean-Luc Moudenc à Toulouse, Daniel Castelain à Lille, Johanna Rolland à Nantes et Alain Juppé à Bordeaux) pour reparler d’un dossier déjà évoqué lors de deux réunions précédentes (en novembre et en août) à savoir la fusion potentielles entre les métropoles et les départements, le ton monte du côté de ces derniers. Le projet de Macron reste le même : suivre l’exemple du Grand Lyon au sein duquel le rapprochement entre les deux collectivités a été décidé en 2014, et l’appliquer dans un « schéma-cible » pour lequel l’Elysée a assuré qu’un « consensus » s’était « dégagé ». Le département deviendrait donc résiduel en dehors des murs de la métropole, le président des collectivités fusionnées serait élu au suffrage universel direct en même temps que le maire (mais pas avant 2026). Et l’Elysée de rassurer en affirmant que »le gouvernement n’engagera cette réforme qu’avec la volonté explicite des élus d’y aller ». Le problème, c’est que le consensus est (très) loin d’être trouvé.

La présidente socialiste et maire de la ville de Nantes, Johanna Roland, a été la première a se désolidariser de la démarche, pour, dit-elle, « faire entendre la singularité nantaise ». Côté bordelais, Alain Juppé (interviewé par Sud Ouest) a affirmé ne rien avoir contre l’idée mais n’avoir « rien demandé ». Selon lui, la réforme pourrait « simplifier l’organisation territoriale et dynamiser encore plus les métropoles qui sont les locomotives du territoire ». Il pose cependant des conditions à cette possible fusion, notamment le paiement par l’Etat du RSA et des prestations sociales (réunies sous la bannière des Allocations Individuelles de Solidarité ou AIS) et la préservation de la liberté des communes composant la métropole « par une série de mesures ». Pour le maire de Bordeaux, pas de raison de faire planer un risque d’appauvrissement des départements, et ce même si ces derniers perdaient leurs droits de mutation (taxes portant notamment sur la vente de biens immobiliers). « La réforme prévoit que la capacité de financement des Départements restera la même qu’avant grâce à un mécanisme de compensation », a même assuré Alain Juppé.

Le modèle Girondin

Ce matin, c’était au tour du président socialiste du département de la Gironde de s’exprimer à ce sujet lors de sa conférence de presse de rentrée. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que son avis ne rejoint pas celui du président de Bordeaux Métropole. Jean-Luc Gleyze, accompagné de Georges Méric (Haute-Garonne), Charles-Ange Ginesy (Alpes-Maritimes), Philippe Grosvalet (Loire-Atlantique) et Jean-René Lecerf (Nord) avaient signé le 10 septembre une lettre commune au Président de la République, à laquelle aucune réponse n’a été donnée à ce jour. Ce lundi, l’élu PS a été plus loin encore. « C’est assez étonnant que l’on prétende aujourd’hui développer ce modèle lyonnais surtout avec la méthode retenue. C’est quand même le modèle d’un consentement entre deux collectivités. Aujourd’hui, nous avons une imposition descendante du gouvernement qui négocie avec des présidents de métropoles mais qui évite soigneusement de convoquer les présidents des départements. Je ne veux pas être gaulois réfractaire, mais j’ai tendance à être girondin farouche », a formulé Jean-Luc Gleyze, jugeant « inadmissible que la négociation s’opère avec une partie des intéressés et pas avec l’autre ».

Mais les inquiétudes départementales vont plus loin qu’un simple « lui et pas moi ». Le temps relativement court dans lequel cette fusion pourrait être mis en place (2020 ?) inquiète la majorité départementale, pour qui le modèle lyonnais, ayant « mis plusieurs années avant d’aboutir », est tout sauf comparable avec le girondin. « Ca veut dire qu’on envisage de bouleverser l’organisation territoriale du pays, engager l’avenir des territoires périurbains et ruraux, remettre en question les services publics qu’assurent les départements à près de huit millions d’habitants et tout cela en neuf mois. Le Premier Ministre s’était engagé, lors de la précédente Conférence Nationale des Territoires à ce qu’aucune réforme territoriale ne se fasse sans y associer les territoires concernés. C’est donc une remise en cause de ses propos pour considérer aujourd’hui qu’ils ne valent plus ». La grande question est donc : pourquoi, selon la majorité départementale, ces deux modèles sont incompatibles et que le premier n’est pas transposable au second ? « La métropole lyonnaise représente les trois quarts des rhodaniens alors qu’en Gironde, la métropole représente 49% de la population pour 51% situés à l’extérieur de la métropole. Contrairement au Rhône, Lyon occupait une partie sud assez homogène dans le département. Ici, nous avons une métropole qui est au centre », souligne Jean-Luc Gleyze. Son vice-président adjoint aux finances, Jean-Marie Darmian, développe encore. « Le modèle lyonnais avait des difficultés. Le département du Rhône était en situation très délicate sur le plan financier puisqu’il avait fait des emprunts toxiques. En absorbant le département, on l’a sauvé de la faillite puisque les emprunts étaient de l’ordre de 880 millions d’euros, dont plus de 60% étaient toxiques. La situation de la Gironde est saine sur le plan financier, on n’a pas de difficultés et on peut faire face à toutes les dépenses sur la métropole sans problème ». 

Le noeud fiscal

Le socialiste girondin n’est pas le seul à être vent debout contre cette idée de fusion. Pour l’Assemblée des Départements de France présidée par Dominique Bussereau, « les services publics assurés par les départements et les métropoles ne sont pas de même nature » : au département de se charger du rôle social, à la métropole celui de l’innovation. Bien qu’un peu manichéen, l’avis de l’ADF souligne surtout deux oppositions : l’une réelle entre les métropoles et les territoires ruraux, l’autre artificielle entre deux collectivités qui, pour les signataires de la lettre adressée à Emmanuel Macron, ne ferait qu’accentuer les inégalités territoriales. C’est là que le spectre, très politicien, de la « Gironde à deux vitesses », ressurgit.


« La métropolisation accentuerait les fractures territoriales et donc sociales. La métropole est le coeur battant de la Gironde, elle a un dynamisme démographique et économique très important. Mais l’intérêt dans cette affaire, c’est bien de redistribuer vers ceux qui ont moins de chance de ce côté là », continue Jean-Luc Gleyze. « Financièrement, il y a aussi une réforme fiscale qui s’annonce. Le sujet, c’est aussi de priver les départements de ses ressources dynamiques : les droits de mutation  dont une partie serait captée sur la métropole; le foncier bâti qui pourrait être attribué aux communes; la CVAE (Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises)… tout cela pour compenser par une taxe nationale qui nous serait reversée et qui nous placerait pleinement sous perfusion de l’Etat à l’encontre même du principe de libre souveraineté des collectivités locales; ça veut dire que la seule variable d’ajustement serait la réduction des investissements ». 

C’est là que le sujet devient un peu sensible. Au moment d’aborder l’aspect financier de cette potentielle future loi (rendant, de fait, la métropolisation des départements obligatoire, au moins pour ces cinq là), on se perd un peu en conjecture, notamment quand on parle du mode de calcul de cette fameuse « taxe nationale ». Jean-Marie Darmian explique : « on prend le budget de l’année N-2 duquel on extrait toutes les dépenses effectuées par le département, tant en fonctionnement qu’en investissement, ainsi que les emprunts sur la période précédente sur une durée de cinq ans. On fait une moyenne et ces moyens là seraient transférés à la métropole. Par exemple, pour le RSA, on tient compte du nombre de gens sur la métropole et des dépenses que cela augure et on donne à la métropole les ressources qui y correspondent. Restera à la Gironde un budget sur le reste du département. Il faudra ensuite effectuer la répartition des recettes.  La métropole pourrait conserver, comme c’est le cas dans le Rhône, la totalité des recettes et rétrocéder au département une part discutée annuellement avec une compensation qui est, dans le Rhône, de 75 millions, rendant ainsi le département autonome sur ce budget. Le problème chez nous, c’est qu’il y a une absurdité : la métropole représente 49% des habitants mais 60% des dépenses de l’action sociale. Pour l’instant, on compense avec la rentrée globale des droits de mutation permettant d’équilibrer l’augmentation des AIS. Si la métropole garde tous les droits de mutation pour compenser les AIS, il manquera au reste du département cent millions d’euros. Il faudra une discussion totalement surréaliste parce qu’on appliquera un quota de prix par habitant. C’est très concret : si je prends l’Apa (Allocation personnalisée d’autonomie), les frais de déplacement sont pris en compte dans le département mais pas en métropole. Pour le Rhône, il a fallu vingt cabinets spécialisés pour arriver à déterminer le partage des finances. On aura vraiment une Gironde à deux vitesses avec des recettes importantes qui seront nécessaires pour compenser des dépenses elles aussi importantes, et pour le reste on devra se débrouiller ».

Le fond et la forme

Car c’est bien ce voile de l’inégalité territoriale qu’agitent les présidents des départements. « Ce serait, de fait, la fin de la péréquation et de la solidarité entre le département et la métropole, pour qui la pertinence du projet va aussi se poser. La question du reste à charge des Allocations Individuelles de Solidarité n’est toujours pas traitée. Alain Juppé l’a bien compris puisqu’il le pose en principe de cette métropolisation. En 2017, l’Etat ne compense pas 248,9 millions d’euros au titre des AIS, soit 160 euros par habitant. Bien évidemment, cette compensation devrait s’assurer sur des crédits métropolitains, voilà pourquoi il voudrait que ce soit réglé au niveau national ». Les élus craignent aussi des doublons sur des services comme le SDIS (Service Départemental d’Incendie et de Secours), les maisons pour personnes handicapées ou encore les CEDEF (Centre Départemental de L’Enfance et de la Famille), qui ne plaide forcément pas en faveur d’une politique plus économique, dans un contexte de baisse des dotations nationales aux collectivités territoriales. « Plus grave : ca peut entraîner un traitement différencié des girondins entre ceux qui sont sur la métropole et ceux qui sont à l’extérieur. Nous réalisons cette péréquation. Considérer que la métropole est hors sol par rapport au reste du département n’a pas de sens. Les modes de vie y sont pleinement poreux avec le reste du territoire. La question de la continuité des services ou de la vie associative au regard des modes de vie va se poser. Nous allons vers une complexification pour les usagers, un questionnement sur l’efficacité des services publics et une hausse de son coût. Ce qui est bon, c’est le modèle alternatif : celui de ne pas opposer la métropole au reste du territoire. Nous avons essayé de traiter des accords entre les deux collectivités via la loi NOTRe. Ca s’est plutôt bien passé et Alain Juppé était plutôt pour puisqu’il n’a pas été maximaliste dans les transferts de compétences en nous laissant le volet social. Nous avons signé une convention territoriale d’exercice concerté, elle est mise en place et permet de définir la répartition des rôles et ça fonctionne plutôt bien. Pourquoi vouloir séparer alors que nous pouvons compléter ? », questionne enfin Jean-Luc Gleyze.

Dernier point de friction, et non des moindres : qui dit fusion dit recentralisation. Au niveau national, Francois Baroin (LR), président de l’AMF (Association des Maires de France) a annoncé vouloir « relancer la décentralisation » : l’AMF devrait lancer un appel le 26 septembre à Marseille. Pour Jean-Luc Gleyze, « il faut faire attention à ce que l’on puisse articuler le local et le global. Ce qui intéresse nos concitoyens, c’est l’action de proximité. Plus on grossit, plus on globalise et plus on éloigne. Je ne compte pas lâcher le morceau ». Il a annoncé un appel à manifester, moins contre la métropolisation que pour la décentralisation, le 13 octobre prochain à 11h dans le hall de l’immeuble Gironde à Bordeaux, avec quelques soutiens à l’appui : le président de la région Nouvelle Aquitaine Alain Rousset (sans grande surprise puisque ce dernier avait été signataire d’une tribune commune publiée dans Le Monde en avril qui appellait Emmanuel Macron à « plus de décentralisation »), Daniel Barde (association des maires ruraux de Gironde), Dominique Bussereau (assemblée des départements de France) et plusieurs présidents de départements voisins. Du côté de la métropole, le président du groupe socialiste Alain Anziani (qui a réagi sur les réseaux sociaux) devrait se joindre au banc. A droite, le président du Sénat Gérard Larcher pourrait s’y associer et celui du groupe Gironde Avenir, Jacques Breillat, est déjà enrôlé. Ce dernier est d’ailleurs davantage opposé à la méthode qu’à l’éventualité d’une fusion : « on n’est pas dans une logique de soutien à des démarches qui sont imposées par le haut. On défend les départements dans les relations tumultueuses avec l’Etat. Ca fait un moment que tout le monde joue avec le feu. Jean-Luc Gleyze a soutenu la loi Maptam en 2014, qui affirmait l’ambition de développer les métropoles et prévoyait les transferts de compétences, la loi NOTRe qui les organise, le discours de Valls qui prévoyait la disparition des départements. Cette réforme n’est pas le projet d’Alain Juppé, la métropole n’a pas encore digéré sa propre mutualisation. On peut aussi agiter des chiffons comme la Gironde à deux vitesses pour faire peur à tout le monde, mais c’est surtout la méthode qui est problématique. Si c’est une logique d’action publique et de lisibilité, c’est vrai que parfois le fait qu’il y ait plusieurs échelons peut complexifier la compréhension des citoyens, notamment dans la façon dont on gère les politiques publiques localement. La fusion pourrait donc être un changement de modèle à discuter, mais à condition qu’on ne nous impose pas un modèle plaqué ».

L’opposition régionale est elle aussi contre l’idée d’une métropolisation, comme en témoigne Yves d’Amécourt, élu régional maire de Sauveterre de Guyenne et ancien candidat à la tête de la fédération girondine des Républicains. Pour lui, « Bordeaux et la Gironde sont indissociables et je ne vois pas un département qui ferait le tour de Bordeaux avec une métropole départementalisée, ça pose beaucoup de risques. Alain Juppé dit que la métropole est la locomotive de la région mais aujourd’hui, elle roule toute seule et elle n’a pas accroché les wagons. Certains disent que la métropole est le coeur économique de la région mais ce dernier n’a ni artère ni veines : il y a une thrombose permanente. Si on lui donne les compétences du département alors qu’elle vit aujourd’hui à-côté, on va simplement appauvrir un peu plus le département. Découper en deux le territoire, c’est risquer des liens encore moins nombreux. Il y a urgence à investir dans des infrastructures, dans les transports en communs mais rien ne se fait. Personnellement, il me faut 1h45 pour atteindre le centre-ville de Bordeaux. Peut-être que dans quinze ou vingt ans ce schéma sera possible mais aujourd’hui il ne l’est pas ». Il y préfèrerait visiblement une potentielle fusion « des départements et des régions, mais pas à la région Nouvelle Aquitaine de six millions d’habitants, plutôt à l’échelle départementale que régionale. C’était le projet de Michel Debré après-guerre, il avait imaginé entre trente et quarante départements de la taille de la Gironde, je trouve que ce serait très opérationnel, efficace, avec un nombre d’élus réduit qui pourraient débattre ». Mais à en croire Jean-Luc Gleyze, cette mobilisation du 13 octobre, qui suivrait donc le modèle de l’appel marseillais, ne serait pas uniquement « un problème d’élus entre eux. Cela concerne aussi les citoyens qui bénéficient des services de proximité, et les quelques 2000 associations que nous subventionnons pour ne citer qu’elles ». Il ne reste plus qu’à voir si cet appel sera entendu.

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