Le Grand Entretien – Jean-Pierre Turon, maire de Bassens


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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 08/10/2019 PAR Romain Béteille et Joël Aubert

@qui.fr – En janvier dernier, vous avez annoncé au cours d’une cérémonie de vœux aux habitants de Bassens que vous ne vous représenteriez pas aux prochaines municipales. Vous avez également donné le nom de votre actuel conseiller municipal délégué aux affaires numériques et au développement durable, Alexandre Rubio, comme éventuel successeur. Pourquoi ces choix ?

Jean-Pierre Turon, maire de Bassens – La réponse, c’est mon âge. J’ai 77 ans et, bien que je sois toujours tourné vers l’avenir, je ne souhaitais pas faire le « mandat de trop » (retraité de l’enseignement, il est maire de Bassens depuis 2001). Cela dit, j’envisageais déjà d’arrêter en 2014, et j’avais 72 ans. Le problème, c’est qu’à ce moment-là il y avait un avis de tempête sur le plan fiscal des collectivités avec la loi NOTRe qui approchait. Je ne voulais pas laisser le bateau couler alors que je n’avais pas encore devant moi quelqu’un qui me paraissait suffisamment solide pour l’affronter. C’est pour ça que je suis reparti. Entre temps, la têmpête a bien eu lieu : Bassens est passée en dotations de l’État de 950 000 euros à zéro. On a été l’une des communes les plus touchées, il n’y a plus aucune dotation depuis l’an dernier. Ça signifie des efforts considérables mais la commune est saine et prête à franchir un nouveau pas. Entre temps, j’ai découvert quelqu’un que je juge personnellement apte à poursuivre et à qui je puisse confier la barre. Avant d’en faire une annonce officielle, je l’avais fait pré-valider par le conseil municipal. Alexandre Rubio est arrivé très jeune, ce futur mandat serait son deuxième…

@qui.fr – Vous avez un parcours politique particulier et un rapport étroit avec la ville dont vous êtes devenu maire puisque vous en avez été conseiller municipal pendant 25 ans. Quels souvenirs gardez-vous de vos premières armes en politique ?

J.P.T – J’ai fait mes classes à partir de 1977. En tout, j’ai cumulé 42 ans d’engagements municipal à tous les niveaux. Ma spécialité de formation, c’était l’aménagement du territoire, la géographie des transports et de l’industrie. J’ai fait quasiment toutes mes études supérieures en étant enseignant. À l’époque, la rive droite avait mauvaise image, les premières tours étaient en train de sortir. Je m’y suis installé avec la famille que j’étais en train de monter. En 1974, j’ai obtenu mon agrégation avec le soutien de Jean Dumas, membre éminent de la CODER (Commission de Développement Économique Régional). C »était l’année de la campagne électorale entre Mitterrand et Giscard, je me suis engagé dans la section locale du parti et en 1977, j’ai contribué à faire passer une équipe qui se présentait contre la municipalité. À cette période, le divorce de la gauche entre les socialistes et les communistes était total mais je faisais parti du nouveau conseil, j’ai été élu en illustre inconnu. J’avais décroché un poste pour y effectuer l’analyse du territoire, ce qui correspondait bien à ma formation initiale.

Même à l’intérieur du parti (socialiste), je me suis toujours senti à part, disons rarement dans la tendance dominante. Ce qui comptait, c’était les valeurs réelles. J’ai conduit des équipes ou les encartés du PS étaient largement minoritaires, je n’ai jamais rien fait pour que l’un de ceux-là rentrent au conseil. Au sein de la section, j’ai essayé de ne pas jouer de rôle dans l’exécutif, je laissais les choses se dérouler. Je voulais un territoire dynamique, équilibré. Mon premier mandat de maire s’est fait avec une alliance des forces de gauche et à la surprise générale, on a fonctionné très bien avec certains avec qui on avait passé des années à s’affronter…

Métropole, cogestion et GPV

@qui.fr – Aujourd’hui, le visage de la métropole, et singulièrement celui de la rive droite, s’est complètement transformé par rapport à vos premières années en poste, avec notamment une métropole qui a enclenché en 2016 un processus de mutualisation des compétences avec les 27 communes composant sa géographie. Vous vous êtes engagés dans le processus dans les domaines de la voierie, des espaces verts de la propreté. Au moment de laisser la place et à l’aube d’un renouvellement du conseil métropolitain dans lequel on reparle de la cogestion comme d’une « exception bordelaise », regrettez-vous ce choix ?

J.P.T – Les problématiques des communes doivent se voir ensemble. Ce serait un gâchis dramatique si on ne coordonnait pas les politiques. Je suis un adepte fort d’une cogestion bien préparée, et si possible, comme ça avait été fait en 2014 par Alain Juppé, avant même l’élection. Elle doit être suffisamment équilibrée pour que la mise en œuvre des politiques se passe correctement. S’il venait à y avoir un déséquilibre parmi les élus, il y aurait une tentation vers une gestion un peu plus déséquilibrée. Concernant la mutualisation, il y a des lois au niveau national qui ne vont pas dans le bon sens puisqu’elles visent à renforcer les gros et à éliminer les petits. Elles induisent une évolution dans le fonctionnement qui ne vont pas vers une gestion de proximité. Pour moi, la mutualisation « à la carte » choisie par la métropole est une version plus compliquée mais préférable à celle qui pourrait être imposée mais à une condition : que les résultats soient là. Cette notion d’équilibre d’adaptation est souvent perdue. Ceux qui n’avaient rien ou des services qui ne fonctionnaient pas très bien y ont trouvé un intérêt, mais je ne vois pas pourquoi on devrait mutualiser des services qui fonctionnent déjà bien tout seuls. On a fait partie des premières communes à avoir fait partie du groupement de commandes, notamment pour grouper l’achat de produits alimentaires. Chaque fois qu’il y a un intérêt local à faire quelque chose de groupé, très bien, mais il ne faut pas que la réponse nous apparaisse comme étant trop lointaine. Si je devais donner un exemple parlant, ce serait sûrement la question sanitaire. Sur la question des moustiques, par exemple, l’État ne veut s’occuper que du moustique tigre. On va donc participer à une mission à la métropole, mais toutes les communes ne vont pas participer financièrement. Or, s’il y a bien un sujet qui me paraît concerner tout le monde, c’est bien le sanitaire…


@qui.fr – L’une des transformations majeures de la rive droite, c’est le Grand Projet de Villes. 50 sites en France ont été labellisés au début des années 2000 pour tenter de « transformer l’image des quartiers les plus en difficulté ». Or, au départ, Bassens n’avait pas vraiment sa place à la table des négociations…

J.P.T – C’est vrai. Jusqu’en 2000, les trois communes de Floirac, Cenon et Lormont, parce qu’elles avaient des ZUP (zone à urbaniser en priorité), avaient un certain nombre de problématiques communes. Pour Bassens, c’était particulier. On était une plus petite commune qui n’avait pas de ZUP. Pendant leur construction, il y avait toute une série de cités (Beauval, Le Moura) qui allaient se créer. Entre 1962 et 1975, la population a Bassens a presque doublé sans que rien ne soit prévu. Les slogans de l’époque prônaient un « stop au collectif », un arrêt des grands programmes et le retour à une forme d’accession au logement individuel. Le résultat, c’est que durant les années 80 à 2000, on n’a pratiquement pas construit de collectif. On a donné au Mourat une première réhabilitation dans les années 90 avec un début d’opération de renouvellement urbain mais sans que l’État n’intervienne, au moment où commençaient pourtant à naître les « politiques de la ville ». En 1998-1999, on a vu naître la nécessité au niveau national de mener des actions fortes par rapport au modèle des ZUP, qui arrivait à bout de souffle. On n’en avait pas mais on avait les mêmes problèmes : une population vieillissante et des cités qui étaient devenues des ghettos sociaux. Il a fallu une réunion à Lormont pour que Jean Priol (maire de Bassens de 1988 à 2001) monte au créneau pour que Bassens soit prise en compte dans le GPV, alors en réflexion. Notre aventure a commencé en 2001. Etienne Parin (directeur du GPV) a donné une nouvelle dimension au projet, il nous a fait comprendre l’intérêt de travailler collectivement avec chacun ses propres spécificités et le besoin d’avoir un projet qui réfléchisse à donner une autre image du territoire. Les réflexions sur l’arrivée du tramway sur la rive droite avaient lieu en même temps. On a décidé d’axer ce GPV sur plusieurs points majeurs : d’abord la culture et la nécessité de créer de grands évènements, puis des lieux, qui allaient attirer l’attention. Mais il fallait qu’on ait envie de venir, pas forcément juste pour participer à des évènements. L’un des fondements, c’est la naissance du concept du Parc des Coteaux. Cet ourlet vert qui se voyait depuis la rive gauche, c’était notre point commun, il y avait un projet important pour relier tout ça. Ça allait être un élément structurant pour ouvrir la rive droite à la gauche, et ça continue aujourd’hui avec PanOramas ou la transhumance

@qui.fr – En janvier 2019 a été publiée dans le Journal Officiel la liste des « quartiers prioritaires de la politique de la ville présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants et visés à titres complémentaire par le nouveau programme national de renouvellement urbain ». Vous figurez sur cette liste, mais le nouveau programme de l’ANRU ne vous finance plus aucun programme. Pourtant, Bassens est encore en train de se transformer avec de nouveaux quartiers qui voient le jour (notamment le quartier de l’Avenir, financé par la ville et la métropole)…

J.P. T Lorsque Jean-Louis Borloo est venu en créateur de l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) en 2001, avec les craintes que l’on pouvait avoir, il a affirmé qu’on n’était pas assez ambitieux et donc que l’État ne financerait pas. Il était facile de retravailler sur les équipements publics pour revoir les ambitions par la suite. L’astuce qui conditionnait cette aide à la participation des autres collectivités allait tout changer. La région, le département, la métropole étaient timides au départ. La participation de l’État a fait que chacun a vu l’intérêt de financer la transformation des écoles, des équipements sportifs et culturels. L’Europe nous a aussi beaucoup aidé, ce complément allait permettre beaucoup de choses.

On est maintenant dans une période différente. On fait toujours partie des quartiers prioritaires sauf que la nouvelle ANRU ne nous finance rien, on n’a pas été retenus. On a quand même tenu à être sur la liste, parce que ça nous permet d’être labellisé « opération de renouvellement urbain » par toutes les instances et de pouvoir bénéficier des aides et des dispositifs mis en place par la métropole, qui désormais a pris la compétence de la politique de la ville. Ça a un sens que cette politique soit partagée avec les communes, c’est un bon exemple d’équilibre. L’opération de renouvellement urbain du nord de la commune (quartier de l’Avenir et territoire voisin) est majeur. La commune, à l’horizon 2025, passera de 7300 à 9000 ou 9500 habitants. Les permis sont presque tous délivrés, beaucoup de choses sont en train d’être lancées, la manière de tout coordonner et mettre en œuvre sera déterminante pour savoir si on aura bien ou mal fait les choses. C’est le gros projet qui devra être mené dans la prochaine mandature…

L’enjeu des transports

@qui.fr – Après plusieurs années économiquement très compliquées et un abandon en 2018 de la compagnie MSC, le port de Bordeaux a entamé un renouveau avec une nouvelle stratégie portée par Jean-Frédéric Laurent, arrivé le 13 mars au poste de directeur de GPMB (Grand port Maritime de Bordeaux). Quelle place compte jouer le port de Bassens dans cette nouvelle donne ?

J.P.T – Le port de Bordeaux a son histoire, être au fond d’un estuaire était un aspect positif pendant plusieurs siècles. C’est devenu comme partout un handicap avec la création des avant-ports. La question qui se pose toujours, et qui peut expliquer d’après moi une partie de la source des difficultés, c’est : que faire du port ? Trois possibilités se dessinent : soit l’ancien port n’est plus un port (ou alors de plaisance), soit le port est le fond de l’estuaire et le reste est secondaire, soit il faut avoir un vrai avant-port et voir de quelle façon il nourrit l’estuaire, en particulier Bordeaux qui se trouve au fond. Bordeaux a cette particularité : l’hinterland et les grands axes de communication sont à Bordeaux, au fond de l’estuaire. L’histoire avec le port depuis les années 70, ça a été l’incertitude sur les choix et la tentation du Verdon, depuis les rêves de l’industrialisation et le plan chimie (projet d’une plateforme pétrochimique). Les tentatives d’avoir un port méthanier ont échoué (en 2009 à la création du port, le projet de terminal méthanier au Verdon a pris du plomb dans l’aile…). Lorsque j’étais premier adjoint, j’avais fait tout un travail sur l’évolution du trafic de containers entre Bassens et Le Verdon. On a jonglé plusieurs fois entre les deux jusqu’à ce qu’arrive le plan stratégique (2015-2020).

Je ne suis au port dans les instances que depuis 2001 en tant que représentant de Bordeaux Métropole, pas en tant que maire de Bassens… En 2001, le rapport de force politique de la Cub ayant bougé, Juppé a consenti qu’un certain nombre de représentants ne soient pas à sa majorité. Une pré-étude sur le trafic de containers sur la région a montré qu’il y avait un potentiel énorme et que si Le Verdon était structuré pour être un grand port container, tout allait arriver…  C’est ce qui a fait qu’on a tout parié sur Le Verdon en 2014. Je n’ai pas voté contre ce plan stratégique pour ne pas apparaître comme étant d’arrière-garde. Pour de multiples raisons, il a échoué lamentablement. Mon diagnostic est toujours que le « tout Verdon » pour les containers n’est pas réaliste. En axant une stratégie « tout Verdon, tout fer, tout Bruges », on oublie le fleuve, or s’il y a un problème identitaire par rapport à Bordeaux, c’est celui-là.

Pour revenir sur la nouvelle stratégie, j’ai eu un entretien récemment avec le nouveau directeur, je lui ai fait part de mes analyses. Logiquement, l’évolution du plan stratégique est qu’il devrait normalement y avoir, après la mise en place du conseil de surveillance, des investissements faits à Bassens par rapport aux containers pour au moins satisfaire le groupe industriel encore présent. On va s’orienter à conforter Bassens dans la perspective que la stratégie ne soit ni tout Le Verdon, ni le tout fer. Il faudra un jour que l’on se réapproprie le fleuve un peu plus, pas simplement pour des moments festifs. La plaisance va repartir dans les Bassins à Flots, mais il faudra faire plus…

@qui.fr – L’un des grands chantiers qui attend votre successeur, c’est celui de la mobilité. En août dernier, on a appris que la Corol 31, censée relier la rive droite au domaine universitaire, aurait deux mois de retard (causé principalement par les besoins en chauffeurs suite à l’incendie du parking des Salinières, à Bordeaux). On peut dire que ça commence mal…

J.P.T – Ça commence trop petits bras, mais il faut bien que ça commence. On a mis le pied dans la porte. En 2023, ce sera bien, même si mon sentiment c’est qu’on ne créé pas, en tout cas dans le premier tronçon, toutes les conditions pour que ce soit une réussite d’emblée. On verra courant novembre si le tir est rectifié mais on sait ce qu’il faut faire pour améliorer les choses et pour que la Corol 31 aille jusqu’à la gare ou la presqu’île.

On est en train de livrer un autre match, en particulier avec Michel Héritié (maire d’Ambarès-et-Lagrave), Alain Turby (maire de Carbon Blanc) et d’autres maires de la Presqu’île, c’est la revitalisation de nos gares avec le projet de RER métropolitain. On a avancé à grands pas depuis un an, il reste à franchir très rapidement un autre pas. On a rencontré Alain Rousset (le président de la région Nouvelle-Aquitaine) il y a peu de temps; courant octobre nous aurons la visite de l’un des responsables TER régionaux. Sur Ambarès, on travaille pour qu’il y ait plus d’arrêts. Il y a onze arrêts dans chaque sens, on sait qu’il en faudrait cinq ou six de plus pour que ça fonctionne bien. Il y a tout un travail d’argumentation auprès des responsables, on sait qu’il y aura des améliorations dès l’an prochain. Je pense qu’en 2023, du côté de Bassens-Campus comme des gares, des étapes importantes devraient avoir été franchies. J’ai aussi demandé qu’un téléphérique depuis Bassens soit étudié et que dans le cadre du contrat de co-développement avec la métropole soit envisagée la possibilité d’une piste cyclable et piétonne tout le long des quais de Bassens, pour que les vélos puissent aller sur la presqu’île. L’étude a été lancée. On se préoccupe aussi des piétons dans ces secteurs, notamment pour les entreprises. Il faudra aussi que nos techniciens travaillent à revoir le stationnement des voitures afin qu’il y ait suffisamment de places pour qu’elles puissent se garer en dehors des trottoirs.

La métropole risque de souffrir en termes économique dans les prochaines années à cause de ces soucis de mobilité. Ici, l’industrie se développe fortement notamment vers le recyclage, le renouvelable et la création d’énergie. Pour ce qui est du financement du RER métropolitain (pas encore tout à fait calé), les sommes ne sont pas si importantes, surtout lorsqu’on est capables d’imaginer un métro à 1,4 milliards d’euros… Qu’un jour ça devienne indispensable, de même qu’un autre pont, pourquoi pas, mais il y a déjà un potentiel très important qui doit permettre d’améliorer l’existant pour attendre des solutions plus structurantes ensuite. Faisons d’abord ça…

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