Portrait – Marie Kerouedan, l’écolo du crackers


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 01/08/2018 PAR Romain Béteille

Entre boulot et conscience

Il existe mille et une façons de devenir militant. Des idées issues d’un héritage familial, un déclic face à un drame personnel, ou simplement une envie, à son niveau, de changer les choses. Pourtant, lier un paquet de crackers à l’engagement écologique de leur créatrice ne semble pas, au premier abord, l’exercice le plus facile à faire. C’est qu’avant d’arriver dans leur paquet, ces recettes très particulières confectionnées à partir de drêches de brasserie (des résidus de céréales obtenues lors de la fabrication de la bière), façonnées dans un marketing simple comme une « recette des faims heureuses » ont bien dû arriver à maturité. Marie Kerouedan, bordelaise d’origine bretonne, mère de deux enfants, est plutôt stricte lorsqu’il s’agit de l’écologie : chez elle, vous ne trouverez que très peu de plastique, vous la croiserez plus souvent en vélo qu’en voiture, et pour aller dans une épicerie bio plutôt que dans le Carrefour (même bio) du coin. « Le militantisme, ça se construit sur du long terme, c’est un cheminement personnel. Il y a encore plein de choses à améliorer dans ma vie pour aller vers plus d’engagement écologique », avoue-t-elle. Sa petite société de crackers, elle l’a montée en janvier 2016, certainement parce qu’elle a jugé l’idée prometteuse. Mais avant de se lancer dans cet artisanat très particulier, elle a un peu vadrouillé, jouant parfois le rôle de quelqu’un d’autre dans des mises en scène plutôt surprenante.


Le lobbying pour la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs après son master en Sciences Politiques, elle a connu. Et elle en est revenue : « j’ai rapidement démissionné parce que c’était intenable en termes de position. C’est par ce prisme que j’ai découvert le monde agricole et je me suis dit que quelque chose n’allait pas. C’était quand même très orienté pro-pesticide, pro OGM. Intuitivement, ça ne collait pas ». Elle a aussi eu sa phase « voyage » : l’Amérique latine où, en free-lance, elle fait plusieurs reportages et commence à écrire et à donner des lettres de noblesse toujours plus affirmées à son militantisme écologique. En découvrant les ravages de la culture du soja, la déforestation, le business de l’huile de palme, elle se construit une opinion très personnelle de l’assiette mondialisée. Vous avouerez que pour une ancienne étudiante en école de commerce, ça détonne. Quelques posts de blog plus tard (des récits de voyage et des recettes, puis des articles plus engagés sur des « systèmes alimentaires plus durables »), cette fan de cuisine se découvre une vocation sur le tard en rédigeant un premier essai sur les concepts alimentaires contemporains : ses pages sont remplies de bio, de local et de commerce équitable, entre « plaisir et conscience alimentaire ».

Touche personnelle
Le chapitre suivant est plus naturellement logique que les débuts. Marie monte un bureau d’étude en conseil, formation, gestion et montage de projets dans la filière durable dans une coopérative d’activité et d’emploi. Elle y rencontre celle qui deviendra plus tard son associée du crackers, alors conseillère en communication culinaire. Ensemble, elles tâtonnent un peu avant de trouver leur pré carré. « Avant Résurrection, on a commencé à travailler sur différents sujets ensemble : on a répondu à des appels d’offre, on a monté une marque sur des ateliers d’intelligence culinaire zéro déchets. Quand on a découvert les drêches à l’occasion d’un stage en brassage, on s’est dit qu’il fallait qu’on en fasse quelque chose ». Sans doute est-ce venu d’une impression d’avoir entre les mains un produit censé servir à l’alimentation animale ou à la méthanisation, pas à être mis dans un petit bol et servi à l’apéritif. Mais avant de fourrer un peu plus notre nez dans ce petit paquet en papier cartonné, il faut préciser une dernière chose : entre temps, Marie est devenue une diplômée en anthropologie, spécialisée en alimentation. Dans un second bouquin écrit en 2012 (« Magrets and Co – quelques réalités alimentaires contemporaines du Sud Ouest »), elle a « essayé de comprendre, par le prismes de recettes très classiques, limite stéréotypées comme le magret de canard, la morue ou les pruneaux à l’armagnac, ce qui s’exprimait derrière en termes de discours, de représentation et de construction sociale ». Surprenant de voir de l’anthropologie dans un morceau de viande, encore plus pour une végétarienne, non ? Attendez la suite.

« Je n’ai pas de culture militante, mes parents n’étaient pas du tout tournés vers le bio mais j’ai converti une partie de ma famille. C’est venu au gré des apprentissages et de la découverte », confirme donc Marie, qui nous dévoile par ailleurs que c’est en fabriquant sa propre bière qu’elle en a appris un peu plus sur ces fameux résidus de fabrication dans lesquels elle a senti à la fois des odeurs de « tartine grillée, de caramel et de torréfaction. Je suis repartie avec un sac de déchets sur l’épaule. J’ai fait des tests en cuisine le soir même. (…) Ce n’est pas intéressant juste parce que c’est un déchet, c’est un bon produit, c’est ce qu’on a découvert quand on a commencé à le travailler ». Les drêches, c’est le petit secret de ces crackers au goût très prononcé de céréales. Pour 1000 litres de bière fabriquée, on obtient 300 kilos de malt avec lesquels la jeune SAS Intelligence Culinaire, pour l’instant installée au sein de la pépinière de Darwin, à Bordeaux, produit 400 kilos de crackers. « En sachant que Les Brasseurs de la Lune produisent environ une tonne de drêches par semaine, il y a du potentiel ». La singularité du produit final (il y a bien une société californienne qui incorpore des drêches dans ses barres de céréales, mais à des doses bien moins importantes) n’a d’égal que l’engagement de ses méthodes de fabrication : « de l’artisanat à grande échelle ».

Ma petite entreprise
Quand un industriel du crackers produit quatre à cinq cent kilos de biscuit par heure, la petite ligne de production « faite main » et certifiée sans machines de Noisy Le Sec (pour des biscuits apéro, ça ne s’invente pas…) en conçoit entre cinquante et cent kilos par jour. Mais le fait de les vendre dans des épiceries fines, des magasins bio, des cavistes ou des brasseries comme un biscuit haut-de-gamme n’est pas uniquement dû à cette capacité de production réduite (en cours d’augmentation puisque la jeune société veut en produire une tonne par mois d’ici la fin de l’année, contre une demi-tonne actuellement) : les ingrédients justifient une bonne part du prix final (entre 5 euros 40 et six euros le paquet de cent grammes). « On est très exigeantes sur le sourcing de matières premières, d’autant qu’on est le premier produit agro-alimentaire fabriqué à partir de déchets certifiés bio. On essaie d’aller chercher les matières premières le plus près possible : notre graine de courge est européenne et pas chinoise, notre farine de châtaigne est fabriquée en France. Notre huile d’olive est espagnole, pas tunisienne. On met le prix en termes de matières premières pour avoir le meilleur produit possible. On essaie d’être jusqu’au-boutiste, c’est principalement ce qui nous positionne sur du haut-de-gamme ».

Résurrection a bien essayé la sous-traitance, mais s’y est un peu cassée les dents. Le processus de fabrication est totalement internalisé, et bientôt, il deviendra local. En effet, dans le courant de l’année 2019, Intelligence Culinaire va ouvrir un nouveau site de production en Nouvelle-Aquitaine, à une date et dans un lieu encore inconnus. Elle va y développer une nouvelle gamme de recettes, dont une sans gluten, notamment à partir de drêches mais aussi d’autres produits transformés pour leur trouver une « seconde vie ». Le fabricant local de crackers bio et sains est aujourd’hui identifié : soutenu par la Région, l’ADI, la BPI mais aussi des donateurs privés (en juillet 2017, la société de Marie Kerouedan et Nathalie Golliet a récolté un peu plus de 19 000 euros via une campagne de financement participatif sur Ulule), Intelligence Culinaire s’apprête, dans les mois qui viennent, à organiser une levée de fonds pour accompagner son développement. Et, peut-être, renforcer leur présence sur les étals ? Car si l’on trouve leurs produits dans une soixantaine de boutiques en France (dans les lieux déjà cités mais aussi des endroits plus insolites comme l’Abbaye de Saint-Vendry en Seine Maritime où hors de France comme à Lisbonne, à la Réunion où en Angleterre), il faut encore les chercher pour les connaître, et inversement. Là aussi, c’est un choix délibéré. « On a refusé plusieurs grandes chaînes de grande distribution. On va chercher de beaux ingrédients, ce n’est pas pour être référencé dans un linéaire de Carrefour ou de Monoprix. Aujourd’hui, ça n’aurait pas de sens pour nous ».

Quant à leur processus de fabrication, « Il restera artisanal, mais à quel niveau, on ne sait pas encore. Il y a des tâches qui sont pénibles à certains moments : c’est répétitif, il y a un process très rigoureux. Quand on aura les moyens d’automatiser une partie pour réduire la pénibilité du travail, augmenter les rendements et baisser les coûts de production, on n’aura pas d’états d’âme à le faire ». En attendant, Marie est toujours végétarienne, milite pour le zéro déchets, a le souhait de développer sa nouvelle activité et circule le plus possible à vélo, on l’a dit. Elle semble pourtant croire très fort en son projet et ne regrette, à coup sûr, pas une seconde d’avoir posé sa petite casquette de lobbyiste agricole dans un carton au fond du grenier. Elle est en tout cas, de notre point de vue, la preuve par A+B qu’un engagement militant, ça se construit parfois avec pas grand-chose et qu’il y a mille et une façons de le faire fructifier. Bref, son truc à elle, c’est les crackers. Et le vôtre ?

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