Start-up à succès : Displayce, l’affichage industrialisé


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 26/11/2017 PAR Romain Béteille

Acteur local, marché global

« Est-ce que vous préférez avoir une publicité sur ce que vous avez regardé il y a deux jours où sur quelque chose qui ne vous concerne pas du tout » ? Pour se positionner sur le ciblage publicitaire, Laure Malergue, fondatrice de Displayce, n’hésite pas une seconde. Pourtant, la publicité ciblée et personnalisée est un sujet de société ô combien clivant : espionnage à grande échelle pour les uns, meilleur moyen de toucher des clients réellement intéressés par l’offre des annonceurs pour les autres, il fait en tout cas beaucoup parler. Une étude parue en octobre rédigée par des chercheurs de l’université de Washington affirme même que les technologies sont aujourd’hui suffisamment précises pour « suivre » les déplacements d’une personne au fil de la journée où savoir si elle utilise tel type d’application. Pire : les chercheurs démontrent qu’il ne faut plus forcément s’appeler NSA pour exploiter des données personnelles sur les internautes. Loin des théories du complot et des fantasmes à la Big Brother, nous avons tenté de comprendre ce qui se cachait derrière les DSP (Demand Side Platforms), ces « entre-deux » situés aujourd’hui entre l’offre d’inventaires publicitaires et la demande des annonceurs. Les exemples de ce nouveau type de société sont légion : Adconion, Valueclik, Advertising.com sont chargés de trouver l’inventaire le plus qualitatif possible, aux services des agences au sein desquelles sont regroupées les marques. Et ces acteurs sont parfois locaux : en novembre 2014, Laure Malergue a fondé Displayce, une start-up basée sur une technologie de plateforme publicitaire se définissant comme le tout premier DSP dédié à l’affichage digital ou DOOH (Digital Out of Home pour les intimes). Avec Laure, PDG de cette jeune entreprise désormais installée au Village aquitain des start-ups du Crédit Agricole à Bordeaux (et auparavant hébergée au sein de l’école supérieure de cognitique de Talence), nous avons tenté d’analyser un business qui, bien qu’appartenant à un marché de niche, est en train de sérieusement se démocratiser.

Et à vitesse grand V. Selon des chiffres fournis en 2016 par l’Institut de Recherches et d’Études Publicitaires, le marché français du DOOH a subi une évolution de +19,1% (60 millions d’euros de recettes en 2015, soit 7,65% de l’ensemble des recettes OOH (ou publicité extérieure) contre 71 millions en 2016, soit 8,63% du total). Sur le 1er semestre 2017, il est même en hausse de +12% et réprésente pour la première fois plus de 10% (10,2) du total de la publicité extérieure. Bien qu’en augmentation, ce pourcentage reste bien inférieur à celui d’autres pays. Au Royaume-Uni, par exemple, on est plus proche de 45% des budgets publicitaires et 25% des espaces d’affichage pour le DOOH. Mais l’affichage digital n’est pas, comme on l’imagine parfois, qu’au bord des routes. On le retrouve un peu partout : salles de gyms, bars, restaurants, hôtels, campings, stations essence, supermarchés, salles d’attentes des médecins ou pharmacies. Autant de secteurs différents que souhaite couvrir Laure Malergue avec Displayce. Question publicité, elle connaît ses dossiers : après un Master 2 à la Kedge Business School et huit ans chez CDiscount (elle a notamment eu la responsabilité de l’acquisition de trafic auprès des agences et a été le lien entre les achats sur le web et les ventes physiques), elle flaire l’opportunité des panneaux d’affichage digitaux et décide de se jeter dans l’océan. 

L’industrialisation d’un business

Sauf que son angle d’attaque, ce n’est pas tellement le nombre de panneaux à couvrir (40 000 en 2016, +50% en un an) que de changer la manière dont les agences ou les trading desks (en gros, une structure prenant en charge l’achat des espaces publicitaires pour le compte des annonceurs par un système d’achat en enchères automatisé), principaux clients de Displayce, achètent et planifient la diffusion et le contenu de leurs campagnes. « Ça n’allait pas assez vite et ça n’était pas assez ciblé, où alors ça coûtait très cher puisqu’on devait faire au cas par cas ». Alors Displayce tente de faire ses preuves, via quelques fonds propres (50 000 euros) mais surtout, une première bourse French Tech qui lui permet d’apporter la preuve que le concept commercial fonctionne. Pendant quelques mois, les premières campagnes servent de bêta à la start up, histoire de prouver à tous les acteurs du digital qu’acheter de la pub en offline, ça marchait aussi bien et c’était aussi rapide et réactif qu’une publicité sur internet. « Les premiers clients étaient là pour montrer que le projet avait une viabilité commerciale. C’était les stations essence, points presse et les écrans de caisses des supermarchés. Ca nous a permis d’avoir un premier réseau d’écrans et d’aller vendre à des Pure Player digitaux des espaces qu’ils n’achetaient jamais d’habitude ». Si vous pensiez que chaque campagne s’achetait encore par une seule transaction entre le vendeur et l’acheteur, alors vous êtes loin du compte. Les algorithmes et logiciels (réunis dans ce que l’on appelle désormais le marketing « programmatique ») ont représenté, pour la première fois en 2016, plus de la moitié (53%) du volume total d’achat en marketing digital. Cette vaste place de marché en temps réels suit même les codes de la bourse et a ses traders dédiés. Pour des sociétés comme Displayce, le nerf de la guerre se situe donc dans le nombre de clients potentiels qu’elle va toucher et convaincre.

Car la plateforme a plusieurs particularités bien à elle. D’abord, elle achète et réutilise des données collectées par d’autres sociétés (par exemple, elle a signé un partenariat en mars dernier avec Adsquare, société spécialisée dans la récolte de données d’audience mobile). Mais la fondatrice de Displayce s’exclut du triste modèle illustré par le reportage de Cash Investigation en 2015, qui accusait des associations caritatives de revendre leurs fichiers de donateurs au groupe La Poste. Chez Displayce, affirme-t-elle, les annonceurs savent où ils mettent les pieds. Les clients de Displayce choisissent les données qu’ils veulent : géolocalisation via les coordonnées GPS des panneaux pour désigner, par exemple, ceux qui sont les plus susceptibles d’être visibles par leur emplacement (Displayce affirme pouvoir couvrir 85% du parc national) ou ciblage d’audience, pour permettre de savoir quel type de population passe devant un panneau donné. « On est transparents sur nos fournisseurs de données, on vend des espaces publicitaires et des données pour pouvoir mieux cibler. Tout est industrialisable et automatique ».

Le tout à grande échelle, en s’adaptant aux dernières innovations comme l’IMP Multiply (qui, vulguairement, permet d’adapter les protocoles d’achat automatisés pour calculer aussi l’audience des panneaux digitaux. Encore plus simplement : derrière un panneau d’affichage il y a plusieurs personnes tandis qu’on est seul derrière son écran de mobile; le rôle de cette nouvelle norme étant de prendre en compte cette spécificité). Avec, tout de même, quelques limites. Si une société comme Displayce, en proposant des données déjà acquises ailleurs, échappe en théorie à la surveillance de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) qui surveille plutôt les agences où les gros récolteurs de data, elle se protège quand même. « On est moins une régie publicitaire qu’une technologie mise à disposition des agences pour faire leurs campagnes. Tous les nouveaux ciblages, une fois qu’ils sont vérifiés commercialement, doivent être développés techniquement pour que la plateforme leur permette de faire ça tous seuls (…) Aujourd’hui, on n’est pas capables de savoir qu’une personne est passée devant deux panneaux différents. Ce qu’on a à la fin, c’est plutôt des profils, des tranches d’âge, ect. Même si on ne récolte pas de données, on vérifie que celle fournie par d’autres n’est pas de la donnée personnelle où que, si ça en est, elle a bien été approuvée par le consommateur et qu’on regroupe bien des profils ensembles qui ne nous permettent pas d’identifier une personne ». Si, au départ, Laure et Marie rentraient elles-mêmes ces données, elles ont depuis trouvé un moyen de l’ouvrir en « self-service » à leurs clients. Contextualisation et automatisation, autant de promesses qui permettent à Displayce de fonctionner sur le (désormais traditionnel) modèle de la commission sur les budgets publicitaires investis par leurs clients.

De grandes ambitions

Dans la réalité, ces arguments de vente se traduisent par des publicités digitales qui correspondent de plus en plus au type de population qui passe autour des panneaux, ce qui a un intérêt évident pour les grosses agences. « Les gens qui achetaient déjà de l’affichage vont utiliser notre outil pour aller plus vite et faire de nouveaux ciblages d’audiences, ceux qui achetaient du mobile et du web avec ces plateformes pour ajouter un nouvel outil et un inventaire qu’ils n’avaient pas », résume Laure Malergue. Et pour cause : le marché de la publicité sur internet se porte très bien. L’an dernier, pour la première fois, le chiffre d’affaires (1,6 milliards d’euros) de la pub sur la toile a dépassé celui de la télévision. La start-up ne cesse de grandir et d’avoir de nouvelles ambitions. En octobre 2016, elle a levé 850 000 euros pour accélérer son développement technologique (auprès de fonds mais aussi d’institutions comme la Région Nouvelle Aquitaine ou BPifrance).

Elle qui poursuivait l’ambition de se lancer au niveau européen en 2018, a déjà franchi la Manche depuis septembre, en s’attaquant au marché anglais via une filiale, clairement un plus gros morceau. Il faut dire qu’en France, le choix est relativement limité, d’autant que quelques exemples n’envoient pas forcément de bons signaux aux DSP qui capitalisent sur un parc de panneaux existants. Si Nice a été la première ville de France à installer des panneaux à double face en octobre, à Grenoble on a fait le choix depuis novembre 2014 de retirer 326 panneaux publicitaires de l’espace public et on se bagarre encore sur les contrats et le nombre d’affichages à Paris. Le sujet est aussi éminemment politique depuis qu’un décret d’application de la loi Macron a élargi les obligations de transparence des annonceurs aux publicités numériques et que la très influente WFA (association de défense des intérêts des annonceurs) a émis de sérieuses craintes face à la fraude à la publicité numérique, qui représenterait actuellement entre 10 et 30% de l’investissement publicitaire.

Dans ce contexte très complexe et à six mois de l’arrivée d’un nouveau règlement général sur la protection des données personnelles ou RGPD (qui n’est pas forcément très bien accueilli par les marques, comme le souligne le dernier baromètre du cabinet Converteo), les enjeux futurs pour Displayce sont évidemment de conquérir de nouveaux marchés, autant que d’axer sa recherche et son développement vers de nouvelles solutions. « Dans les années à venir, on va beaucoup investir sur l’augmentation du temps réel sur notre plateforme. Aujourd’hui, on travaille la veille pour le lendemain, globalement on achète à la journée. Le but, c’est de transformer ça, pas forcément en temps réel mais ça pourrait être toutes les cinq minutes. Ca va permettre de contextualiser en fonction d’évènements qui ne sont pas prévisibles à l’avance, par exemple la météo, un stock de magasin… tout ce qui va pouvoir conditionner l’achat et le message », confirme Laure Malergue. Dit plus clairement, on va pouvoir vous vendre de la soupe juste avant une chute soudaine des températures où un imperméable avant que vous vous preniez une averse en pleine tête. On mise aussi sur les formats et des centaines d’autres paramètres socio-démographiques pour vendre le bon produit à la bonne personne.

« On veut aussi essayer d’être encore plus précis sur les flux de population qui passent autour des écrans. « Aujourd’hui, on connaît les catégories de population qui passent devant, on va travailler plutôt sur la modélisation des trajets en fonction des horaires ». Pour Bouygues Télécom, par exemple, la campagne du déploiement de la fibre a permis à des petites villes concernées d’avoir elles aussi leurs panneaux. Mieux : Displayce travaille actuellement avec des indépendants dans le cadre de « missions pour le compte des marques » : ces derniers se géolocalisent, photographient l’écran comme « preuve de campagne » et répondent à diverses questions au travers d’un quizz (pour savoir si, par exemple, le panneau est bien visible où si la pub suivante est adaptée). La société bordelaise dispose donc de nombreuses perspectives de développement futurs, d’autant que, question écologie, des solutions moins énergivores poussent de plus en plus les grosses agences à mettre la main au portefeuille en démocratisant la publicité numérique au détriment des panneaux traditionnels. Même si elle se pose clairement en intermédiaire entre les afficheurs, les agences de pub et les acheteurs d’espaces média, les objectifs semblent les mêmes; moins l’évangélisation d’un modèle (déjà en cours) que des campagnes toujours plus automatisées et ciblées dans un univers toujours plus concurrentiel : tous supports confondus, le marché publicitaire mondial, selon les prévisions d’Interpublic, devrait atteindre 505 milliards de dollars en 2017.  

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