Un soir avec les chasseurs de Pokémon


Joséphine Duteuil
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 26/07/2016 PAR Joséphine Duteuil

Ils s’arrêtent sur le trottoir pour prendre la photo d’une poubelle, et vous inquiètent un peu. En réalité, ces passants figés en pleine rue capturent simplement un Smogogo. Ce qui vous inquiétera peut-être également, mais pour des raisons différentes. Depuis quelques semaines, Pokémon Go sévit partout en France. Une première vague d’utilisateurs a profité des versions pirates de l’application, lancée le 6 juillet aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elle a été submergée par les nouveaux joueurs après la sortie de la version française, dimanche 24 juillet.

En quelques heures, le jeu bat tous les records. Égalant en moins de trois jours le nombre d’utilisateurs de Twitter, déclassant – sans contenus explicites – Tinder et Youporn, le jeu arrache aux champions habituels la place de l’application la plus utilisée. Et dépasse, en moins de vingt-quatre heures, tous les autres jeux pour mobile. Le raz-de-marée étonne souvent, énerve parfois. Des troupes de dresseurs fanatiques aux observateurs exaspérés, en passant par ceux, nombreux, qui ne comprennent tout simplement pas ce qui se passe, Pokémon Go divise. Question de génération ?

Un classique des millenials retapé par Google

Votre exposition au phénomène Pokémon est en grande partie conditionnée par votre âge – et par celui de vos enfants. C’est en 1996 que Nintendo lance le jeu vidéo sur sa Game Boy Color déjà vieillissante. L’engouement pour la création de Satoshi Tajiri, spectaculaire, dépasse rapidement le Japon et devient viral, au point de donner naissance à une poignée d’autres versions, des dessins animés, des cartes à jouer, et une série impressionnante de produits dérivés. En quelques années, Pokémon devient une légende. Chez les jeunes français des années 90 et 2000, son héros Sacha, équivalent jeu vidéo du symbole Harry Potter, est connu de tous.

Nintendo lui apporte aujourd’hui une deuxième jeunesse. Développé par Niantic, une ancienne filiale de Google, l’application mobile Pokémon Go allie l’héritage de la saga japonaise au potentiel des derniers smartphones. Dans cette version 2016, réalité augmentée et géolocalisation permettent de projeter le fan, autrefois collé à sa Gameboy, dans un terrain de jeu grandeur nature.

Randonneurs des temps modernes

Postulat de départ : le monde est peuplé de Pokémon. Des sortes de monstres de poche aux noms fantaisistes (Chétiflor, Rattata, Aéromite), plus ou moins attendrissants selon votre sensibilité. Le joueur, devenu dresseur, sillonne le territoire cartographié par l’application à la recherche des créatures, qu’il tente ensuite de capturer à l’aide d’une boîte ronde à la technologie encore mystérieuse nommée Pokéball. Plus il possède de Pokémon, plus sa puissance augmente – l’enjeu étant, à terme, de se mesurer aux autres dresseurs disponibles dans des arènes.

Autre nouveauté : un bon dresseur est un dresseur qui marche. La chasse aux Pokémon, dont la nature varie selon le milieu « naturel » où ils se trouvent, oblige souvent les plus motivés à enchaîner les kilomètres. Une qualité pour certains, qui soulignent la capacité du jeu à faire sortir les geeks, et à faire faire de l’exercice aux plus inactifs. Pour d’autres, la déferlante de joueurs rivés à leur smartphone dans l’espace public relève plus de l’autisme.

Ramener les gamers dans la ville

Pour Loïck, assis en terrasse du Meltdown avec ses amis, Pokémon est surtout l’occasion d’échanger. Depuis le lancement du jeu, ceux qui ne se parlent pas d’ordinaire n’hésitent pas à s’interpeller et à créer des liens « Il y a une grosse dimension sociale dans le jeu. Et Bordeaux est apparemment l’une des plus grosses communautés de France. Au niveau de l’organisation des joueurs en ligne, et de leur solidarité » S’il joue lui-même la plupart du temps avec parcimonie, ses passages à Bordeaux sont l’occasion de grandes escapades ; 5 heures d’exploration ou plus, de la gare aux bassins à flots. L’occasion de rencontrer des inconnus, d’échanger avec eux des astuces, et de garder contact.

Loïck se souvient par exemple avoir rencontré une joueuse d’une quarantaine d’années, a priori atypique dans le milieu, mais avide de conseils. Son intégration parmi les gamers ne l’empêche pas d’être lucide. Le Meltdown, bar licencié e-sport installé sur le cours d’Albret, offre un rassemblement aux gamers du coin, entre tournois de League Of Legends et cocktails à thème. Malgré tout, ses membres restent ouverts. Comme l’explique Laurent, gérant du bar et fan de Pokémon, « Le jeu n’a rien d’infantilisant, ni de zombifiant. Et ici on a tous les âges, toutes les catégories socioprofessionnelles. Avec Pokémon, il n’y a pas de joueur type » Pour lui, la force du jeu vient de là : gratuit et facile d’accès, il n’exclut personne.

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