Bayonne: la sculpture de la paix qui divise


F.D.
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 09/04/2018 PAR Felix Dufour

Autant un superbe soleil inondait la place Saint-André de Bayonne le 8 avril 2017 pour la célébration spontanée de 20 000 Basques du dépôt des armes d’ETA, que la pluie tombait drue ce dimanche à quelques centaines de mètres de là, sur l’esplanade Roland-Barthes en face de l’antenne du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques pour l’anniversaire de cet événement. En présence d’une chambrée plus confidentielle: 300 personnes.
Il faut être « euskadun » (Basque) ou vivre depuis longtemps au Pays basque pour mesurer la portée du long chemin accompli. L’avoir vécu, en avoir été le témoin, et essayer de comprendre. Des civils, artisans de la paix, avec Michel Berhocoirigoin se lancer, sous le nez des Etats français et espagnol, dans une entreprise de désarmement de l’organisation semblait mission impossible. Elle a été rappelée, pendant deux journées de colloque, ce week-end à Bayonne. Il était organisé par l’association pacifique Bake Bidea (Le chemin de la paix). Celle-là même qui a recueilli les fonds pour que naisse « La vérité de l’arbre », (Arbolaren Egia en euskara) créée par l’artiste basque Koldobika Jauregi. Cette œuvre plutôt monumentale, provisoirement installée entre Nive et Adour était donc inaugurée ce dimanche. Ce geste de reconnaissance vis-à-vis de ce Pays basque français qui, depuis Louhossoa, a écrit une page de l’histoire d’Euskal Herri a fait polémique. Sur le fond comme sur la forme.

Les réserves du Conseil municipal de BayonneBayonne vérité arbre
 

Contestation qui s’est exprimée d’abord au Conseil municipal de Bayonne où son installation mise au vote par le maire de Bayonne et président de la Communauté Pays basque Jean-René Etchegaray, est passée avec justesse, 23 voix sur 43. Vingt élus de la majorité comme de l’opposition ayant décidé de ne pas participer au vote. Mathieu Bergé, Conseiller municipal de gauche et Conseiller régional de Bayonne, n’a pas apprécié en séance d’être accusé par le maire de ne pas soutenir la paix du fait de sa position. « S’il avait été à la hauteur de l’Histoire l’année dernière, je lui ai dit qu’il ne l’était pas cette année », commente-t-il.
« Je suis favorable à une paix durable pour notre territoire et au rapprochement des prisonniers dans le cadre de l’application du droit commun de la détention », exprime cet élu dans un texte. « C’est une position que j’ai toujours assumée publiquement et que j’assume encore aujourd’hui, tout en ayant toujours gardé une expression mesurée.  Il reste de nombreux pas à effectuer de toutes parts, afin que toutes les victimes se sentent entendues. Dans cette démarche je tiens à saluer la table ronde de vendredi, quand Julen Mendoza, maire de Renteria a revendiqué que si sa famille politique (la gauche abertzale) ne peut faire l’économie d’un travail mémoriel, le choix de la coexistence demande des efforts et qu’ils doivent aussi venir de l’autre bord. Je partage totalement cette vision » (…).

 « Nous devons écrire l’histoire ensemble, poursuit Mathieu Bergé, et non la réécrire chacun de notre côté de la frontière ou chacun dans son camp, poursuit-il. J’échange régulièrement avec Gorka Landaburu, (NDLR.- victime d’un attentat d’ETA) qui déteste qu’on le présente comme une victime d’ETA, se revendique journaliste libre, libre lors de toutes les périodes troubles vécues de l’autre côté de la frontière et aujourd’hui encore sur le dossier. Sa position est très mesurée et se rapproche, alors que venant d’une autre histoire de celle de Julen Mendoza. Il souhaite que la politique des petits pas fasse avancer les choses, il souhaite la dissolution rapide d’ETA et nous invite à ne pas écrire des histoires différentes des deux côtés de la frontière. Au moment de nous prononcer sur l’installation d’une œuvre à Bayonne pour commémorer le désarmement, je traduirais son sentiment en disant : « c’est peut-être trop tôt et peut-être pas le bon symbole. », conclut Mathieu Bergé.
 
Le symbôle de la hâche est-il trop lourd et encombrant?
 
public sculpture
 
« La vérité de l’arbre ». Arbolaren Egia. Cette vérité-là est-elle toujours bonne à dire? À partager ? La sculpture en acier de huit mètres de haut, sur un large socle et représentant un arbre qu’un tronc  jailli du sol comme un geyser. Ce tronc est une hache renversée. Un des deux symboles de ETA (avec le serpent qui l’entrelaçait). Renversée , enracinée au sommet de laquelle s’épanouit un feuillage qui illustre la vie, la paix. « Cette paix est un chemin sans retour », insistait Jean-Noël Etcheverry, dit Textx, un de ses artisans.
Lors de l’inauguration, du sculpteur Koldobika Jauregy, (« Il n’est pas rare que l’art s’inspire de la violence »), qui évoque  le Guernika de Pablo Picasso ou « Tres de Mayo » de Francisco Goya, à Michel Berhocoirigoin en passant Harold Good, ce pasteur qui avait contribué au désarmement de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) en passant par Jean-René Etchegaray, chacun a voulu expliquer l’expression de ce geste.
« Le 8 avril 2017 après ce qui s’est passé à Louhossoa, marquera une forme claire d’engagement de l’État français a exprimé ce dernier. Il reste encore beaucoup à faire. La paix n’est pas un acte passif. C »est pour cela que j’ai considéré comme confortant que ce soit à l’hôtel de ville de Bayonne, capitale du Pays basque nord, que cet acte historique pour la résolution du conflit se déroule et pour la même raison d’ailleurs que je participe avec d’autres collègues à cet espace de rencontre qui permet d’ouvrir le dossier des prisonniers au ministère de la Justice ».  Une allusion à la présence, entre autres, du sénateur Les Républicains Max Brisson et du député Modem Vincent Bru.  « Il est important qu’aujourd’hui nous soyons rassemblés sur ce lieu pour inaugurer une sculpture dans ce quartier qui rassemblait déjà, il y a tout juste un an, une manifestation silencieuse de 20 000 personnes, ajoute-t-il. Le geste artistique de Kodobika Jauregi doit être bien compris par chacun et chacune d’entre nous. Cette sculpture se veut être l’apologie de la paix et de la réconciliation à laquelle tout le monde aspire. Le symbole, parti pris artistique du sculpteur doit être entendu comme l’espoir du renouveau. Il l’a dit l’arbre symbolise au Pays basque le rassemblement et la vie. Si l’artiste rappelle ce qu’a été l’histoire de ce conflit, c’est pour mieux le dépasser. A cette commémoration, je peux dire d’une façon très solennelle que les victimes, toutes les victimes sont associées. Rien, je dis bien rien ne justifiera les actes commis de part et d’autre. Mais aujourd’hui l’occasion nous est donnée sans oublier les souffrances du passé de préparer l’avenir du Pays basque… »
 
Légèrement à l’écart se tenaient quelques manifestants venus exprimer leur réprobation. Une désapprobation qui s’est répandue jusqu’outre Bidassoa où le Comité de victimes du terrorisme (Codive) a interpellé le gouvernement espagnol afin qu’il mette la pression sur Jean-René Echegaray pour en interdire l’installation. La route est encore longue.
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