Cédric Villani, ambassadeur de l’intelligence artificielle à l’Université Hommes-Entreprises du Ceca


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 31/08/2018 PAR Romain Béteille

« Au service de l’humain »

Les économistes Erik Orsenna et Nicolas Bouzou, le fondateur de l’Institut d’Etudes anthropologiques Philantropos Nicolas Buttet, le réalisateur Francis Perrin… autant de disciplines et d’invités différents, tous conviés durant deux jours à débattre autour du progrès, des espoirs aux menaces sur l’humanisme que ce dernier implique. C’était donc le programme de la vingt-quatrième édition de l’Université Hommes-Entreprises organisée, qui convoquait plus de 600 participants à Martillac. Mais l’une des séquences les plus attendues était sans conteste l’intervention de Cédric Villani, mathématicien de formation (lauréat du prix Doob en 2014 et de la médaille Fields en 2010), devenu en 2017 député macroniste dans l’Essonne et chargé par le gouvernement d’une mission avec pour principal centre de réflexion l’intelligence artificielle. L’homme à la lavallière y a ainsi effectué une longue intervention pour tenter de répondre à la question « l’IA est-elle au service de l’humain » ?

L’épineux dilemme de l’éthique
Pour resituer un peu le contexte, il convient de préciser que le député est l’auteur d’un rapport, paru en mars dernier, censé « dresser une feuille de route » sur le sujet de l’IA et des défis stratégiques qu’elle impose. Lors de cette conférence, il est également revenu sur un dilemme, « lorsque l’idéal scientifique se retrouve confronté à la réalité humaine, à la réalité humaine et à la destruction », situation à laquelle l’exemple des travaux autour de la bombe atomique étaient un exemple tout trouvé. « Est-ce que le scientifique doit avoir un statut, une responsabilité par rapport à ses travaux où est-ce que tout ça doit être investi dans le pot commun de l’humanité et dépasser sa propre implication. Aucune de ces attitudes n’est moins bonne qu’une autre. N’importe quelle technologie peut-être utilisée pour faire le bien ou le mal, d’où cette ambivalence. L’éthique scientifique est différente de la morale, elle correspond à nos propres valeurs, on tient compte de tout et on en déduit une approche », a notamment affirmé l’élu.

Entre recommandations…
420, c’est le nombre d’experts (de différents domaines) auditionnés par l’équipe de Cédric Villani dans ces 240 pages qui ont déjà fait pas mal parler et duquel sont sorties une série importante de recommandations : la valorisation du travail des chercheurs débutants, la mise en oeuvre de comités éthiques indépendants, la création d’un contexte législatif protecteur et surtout un renforcement de l’ouverture des bases de données, publiques comme privées, à partir desquelles l’intelligence artificielle pourrait fournir des résultats plus pertinents car comparés à un nombre d’exemples démultiplié. « L’étape la plus complexe, ce n’est pas la technologie, c’est l’humain. Le terme IA, s’il a été inventé en 1056, se retrouve exacerbé par de nouveaux enjeux et de nouvelles pratiques scientifiques. C’est un domaine plein d’imprévus dans lequel, à contrario de ce que l’on pensait au départ, ce sont les tâches qui nous semblaient basiques, comme la conduite, qui ne sont pas encore automatisées contrairement aux échecs ou au go que l’on pensait complexe. Il est difficile de prédire les tâches que l’on va réussir à faire ou pas à partir de ces nouvelles méthodes, mais de grands jeux de données seront nécessaires aux calibrages, en particulier dans des domaines où nous ne sommes pas encore capables de reproduire ce qui est dans la nature ». Dans son rapport, Cédric Villani invoquait l’exemple du domaine de la santé, en préconisant notamment la création « d’une plate-forme d’accès et de mutualisation des données pertinentes pour la recherche et l’innovation ». Pour le développement de la recherche, l’objectif n’est pas moins ambitieux : tripler le nombre de personnes formées à l’IA en 2020 et inciter les étudiants à se diriger vers ce secteur, au sein duquel les jeunes chercheurs français sont souvent aspirés par les grandes entreprises de type GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). La multiplication des bourses ou le doublement du salaire des jeunes chercheurs font partie des mesures proposées.

…et mesures
Cédric Villani est ainsi assez largement revenu sur ces questions, jusqu’à ce qu’une intervention dans la salle n’en pose de plus concrètes : après ce rapport, quid de la suite ? Comment la France met en place sa stratégie ? François Hollande avait déjà promis, après un premier rapport sur l’IA (présenté par Axelle Lemaire en 2017) de débloquer 1,5 milliards d’euros sur dix ans. Le 29 mars dernier, Emmanuel Macron a enfoncé le clou en annonçant, lors d’un discours au Collège de France, un « plan intelligence artificielle » à déployer jusqu’en 2022. Parmi les annonces faites par le Président lors de ce discours, certaines suivent les recommandations du rapport Villani (des hubs de recherche pour multiplier les connexions des chercheurs avec les réseaux publics et privés) d’autres non (les salaires des jeunes chercheurs). Le tout représente en tout cas « un effort de près de 1,5 milliards d’euros de crédits publics », dont 400 millions dédiés à des appels à projets.

Mais pour le député LReM, le sujet dépasse largement le simple cadre budgétaire qu’on voudra bien lui imposer. « Ce n’est pas qu’un sujet technique avec des indicateurs à remplir. C’est aussi passionnant parce qu’il y a de l’imprévu, des grands projets et des grandes questions de société derrière. Il y a une question de mise en oeuvre par le politique qui se pose ensuite. Le budget est, par rapport au périmètre annoncé, adapté; mais en ayant bien conscience que ça ne concerne qu’une partie de la stratégie globale. Ca renvoie à plus tard des questionnements considérables liés à la formation, au social, ect. On ne peut pas juste définir une stratégie et mettre en place un Ministère de l’Intelligence artificielle qui s’en occupe, ça n’a pas de sens. Le sujet doit s’inviter dans tous les ministères avec des ordres de grandeur différents ».

Quant aux enjeux diplomatiques, enfin, l’Europe aura, selon lui, un grand rôle à jouer pour espérer concurrencer les deux géants en matière d’IA que sont déjà les Etats-Unis et la Chine. « Le gros enjeu va être que l’IA vienne s’infiltrer dans les politiques environnementales, de santé, de transports et ainsi de suite. La construction d’objectifs au niveau européen va être un enjeu important. On a encore régulièrement des contacts avec nos voisins allemands. Avant-hier, j’avais une rencontre avec le Ministre des finances fédéral sur ce sujet précis. Il y aura encore de nombreuses rencontres qui traiteront de la façon de définir une politique franco-allemande en la matière. Un rapport parlementaire allemand est en cours, l’Allemagne a décidé que 2019 serait classée sous le signe du débat public autour de l’intelligence artificielle avec des millions attribués autour de la communication. Le projet d’un laboratoire franco-allemand sur l’IA fait aussi partie du programme du SPD dans le cadre de la coalition mise en place en Allemagne. Ce n’est que le début d’une stratégie nationale qui passera aussi par une appropriation européenne » a ainsi conclu Cédric Villani, (en pleine « tournée » locale puisqu’il était ce même jour invité à Saint-Christoly-de-Blaye par les députées de Gironde Véronique Hammerer et Christelle Dubos pour parler de l’enjeu des nouvelles technologies dans le monde rural). Voilà qui promet un futur agenda chargé…

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