Européennes : Interview de Gilles Savary : « Ré-incrémenter la démocratie dans les lieux de pouvoir »


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 04/05/2009 PAR Solène MÉRIC

@qui! : En quoi l’Europe et son Parlement européen sont-ils importants pour les citoyens français ?
Gilles Savary. : Le premier élément à souligner c’est que 70% des lois de notre vie quotidienne viennent de l’Europe. Et celade manière directe, par le biais des règlements européens, ou de manière indirecte par l’obligation de transposition des directives européennes. C’est par exemple le cas des réglementations concernant la chasse, la protection des biotopes avec les zones Natura 2000, mais aussi en ce qui concerne les certifications sur les qualités des plages, la qualoté de l’eau du robinet ou encore en ce qui concerne la sécurité des aires de jeux dans les écoles.
D’autre part, les problèmes ne peuvent plus être traités au seul plan national. En effet, l’interdépendance des économies et la réponse à une crise qui a pris sa source aux Etats-Unis fait que, désormais, toute la planète est concernée. Ce n’est pas à Paris mais à l’échelle supra nationale que l’on règlera le problème. Il faut une Europe forte, c’est-à-dire soutenue par ses citoyens, pour peser au plan économique et social mondial.
C’est également un défi pour l’environnement, on ne peut pas être les seuls à décider de moins polluer, ça n’aurait aucun impact. Nous vivons tous dans le même bain d’atmosphère et d’oxygène. Une réponse séparée, serait une réponse impuissante.

L’Europe puissance: une nécessité
Un troisième exemple pouvant démontrer l’importance de l’Europe : la question de la dépendance en énergie. L’Europe est le plus grand centre de consommation énergétique avec les USA, mais elle a très peu de sources d’approvisionnement. Elle dépend de pays Arabes, dont les sociétés sont de plus en plus anti occidentales, et de la Russie qui a déjà par deux fois fait du chantage au gaz, en 2006 et en 2008. On voit bien que sur cette question de la dépendance énergétique, il faut une capacité de négociation planétaire avec un rapport de force puissant. Là encore, les Etats européens pris séparément sont de plus en plus fragile et risquerait de perdre leur indépendance. Nous devons afficher une seule volonté, que l’Europe soit leader du monde.
Sur la question migratoire, l’Afrique est tellement pauvre et malheureuse, qu’il pèse une forte pression migratoire sur l’avenir de l’Europe. Il faut donc là encore une politique migratoire commune tout en posant une politique de l’asile conforme à nos valeurs. En parallèle, il faut mettre en place une politique de co-développement pour faire en sorte que ces gens qui jouent leur vie pour venir jusqu’ici, trouvent les ressources chez eux par l’aide au développement.
La France est trop petite pour garder le « standing » de puissance coloniale qu’elle a eu jusqu’en 1962. Cependant elle reste très privilégiée car elle connaît la paix et la prospérité, pour le reste, il faut jouer collectif. Rester dans les « vertus du colonialisme », si tant est qu’il y en ait eues, ne peut-être suffisant. La France doit retrouver des degrés de puissance en accélérant la construction européenne.

« Un drame démocratique ! »

@! : Quelle est votre réaction face aux prévisions d’abstention et avez-vous des suggestions, notamment sur l’élection en elle-même, pour y remédier ?
G.S : Le Traité de Lisbonne fixe le nombre de députés européen à 732 et on gardera ce chiffre. On ne pourra jamais prétendre à être très visible. En France, on représente environ 700.000 personnes par député européen. On ne peut pas être plus nombreux pour une question de coût et de fonctionnement cohérant de l’Assemblée européenne. Nous serons toujours plus lointains qu’un Maire ou qu’un député national, les efforts doivent donc être faits par le Gouvernement et les médias pour faire vivre l’Europe. Pour être conforme à la réalité des choses, il faudrait que le 20 heures ouvre chaque jour sur une question européenne, car cela nous concerne directement. Il n’y a pas d’espace public européen et on assiste à un rétrécissement national qui est préoccupant pour la démocratie. Les classes politiques n’ont pas envie de laisser la place pour une légitimité européenne qui risquerait de les déclasser. C’est un drame démocratique ! On multiplie les votes au niveau national, auquel pourtant les pouvoirs échappent. Il y a un véritable porte-à-faux entre le lieu du vote et le lieu d’exercice du pouvoir. Il y a de plus en plus besoin de régionalisation au niveau mondial, or celle-ci échappe au pouvoir démocratique. Prenons par exemple le récent G20, qui est un lieu de concertation important pour l’avenir du monde, il n’y a aucune décision du peuple. Une question primordiale aujourd’hui est de savoir comment ré incrémenter la démocratie là où s’est déplacé le pouvoir. Le seul contre exemple à ça, c’est le Parlement européen qui dans un contexte de régionalisation du pouvoir est élu au suffrage universel.
Pour en revenir aux prévisions sur l’abstentionnisme, c’est désolant, mortifiant de voir que cette possibilité de réinstaller la démocratie dans un lieu de pouvoir est totalement laissée en jachère.

« Ne pas confondre le projet européen et la politique européenne »

@! : D’après vous, comment peut-ont expliquer ces « tentations abstentionnistes »?
G.S.: Trois grandes raisons peuvent les expliquer. Tout d’abord, les Français ne comprennent pas les rouages de l’Europe. Dans ce cas, deux possibilités : soit, ils s’estiment sous-qualifiés pour exprimer un vote, ce qui est respectable, soit ils sont détournés du vote par des causes considérées comme nationale et expriment alors un vote exutoire pour le plan national. Ils sont donc hors-sujet, et surtout pour eux même.
Le deuxième élément qui explique l’abstention tient à ce que l’Europe fait le sale boulot des décisions impopulaires que les Etats ne veulent pas ou ne peuvent pas prendre. C’est par exemple le cas sur les mesures concernant la pêche au thon ou au cabillaud. Ce sont des mesures difficiles mais nécessaires ; elles évitent, en quelque sorte, la disparition de deux espèces : les poissons mais aussi les pêcheurs. Le problème, et c’est le troisième vecteur d’abstention, c’est que l’Europe s’inscrit plutôt dans des échéances à longs termes. Les mesures sont donc souvent impopulaires et entrainent l’éviction de la profitabilité immédiate. C’est le cas de la pêche mais aussi par exemple de l’alcool au volant, de la vache folle, de la fièvre aphteuse, d’un certain nombre de normes sanitaires, etc… L’Europe est alors vue comme un empêcheur de tourner en rond…! Ce à quoi se rajoute un aspect très bureaucratique. Cette bureaucratie, il est vrai est parfois inutile. L’Europe fait parfois des erreurs, mais elle est pilotée par des hommes, elle a donc les même défauts et les mêmes qualités que tous les gouvernements du monde. Il ne faut pas confondre le projet européen, qui était une mondialisation pressentie, et la politique européenne en elle-même. C’est la seconde qui fait l’objet d’un vote. Si la politique européenne en cours ne nous convient pas, on change cette politique par le vote, mais il ne faut pas refuser cette chance de s’exprimer.

Solène Méric

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