Fiscalité et Grand Débat : entre révolte(s) et espoir(s)


Grand Débat
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Temps de lecture 10 min

Publication PUBLIÉ LE 07/03/2019 PAR Romain Béteille

Gilets blancs

Les têtes étaient plutôt chenues et les profils bien définis, d’anciens directeurs des impôts aux spécialistes de la fiscalité en passant par les professions libérales ou agents de la fonction publique. Ce mercredi 6 mars, dans une salle du quartier Bordeaux Maritime, la députée de la deuxième circonscription de la Gironde, Catherine Fabre (LREM), a convié les citoyens à un troisième et dernier temps d’échanges dans le cadre du « grand débat national », organisé en parallèle avec la député (LREM) de la première circonscription Dominique David. Après la transition écologique et les questions de démocratie et de citoyenneté, c’est autour du grand chantier de la fiscalité , facilement interprété comme un casse-tête même au sein du gouvernement, que se sont orientés tous les regards. Cette fiscalité et ce sentiment d’inégalité de répartition des richesses et de justice sociale, on s’en souvient, est l’une des raisons principales ayant repeint les samedis nationaux en jaune fluo. « Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ? », avait questionné Emmanuel Macron dans sa lettre aux français le 13 janvier dernier, sans pour autant trancher pour une solution ou pour une autre. Les idées et propositions sorties de ce débat bordelais ont été, comme dans tous les autres débats organisés jusqu’au 15 mars, riches en contributions de toutes sortes, certaines portant sur des domaines précis, d’autres beaucoup moins. Quelques grandes tendances ont tout de même émergé de ce flot aux allures parfois symboliques, comme l’a d’ailleurs aisément souligné la députée au sortir de la séance. « Il y a, c’est vrai, beaucoup de symbolique dans les revendications, qui ont trait aux avantages », a-t-elle notamment reconnu. « Derrière ça , on retrouve l’idée qu’il y a beaucoup d’avantages illégitimes. On a fait une loi sur la moralisation de la vie publique qui, pour une bonne part, enlève ces avantages illégitimes. Il va sans doute falloir prendre quelques mesures symboliques qui vont encore plus loin pour apaiser ce sentiment de défiance ». 

Trancher dans les dépenses

Alors même que des économistes se questionnent sur la manière d’améliorer la progressivité de l’impôt, les questionnements et les réflexions de la salle ce mercredi ont surtout porté sur l’identification claire et précise de leur utilité fondamentale. Bien sûr, cela n’a pas été sans le désir de certain de couper quelques têtes, le Sénat en premier lieu. Dans la loi de finances 2019, les dépenses le concernant se chiffrent à 354 millions d’euros (contre 51,9 millions pour l’Assemblée Nationale), dont 323 millions provenant d’une dotation de l’État. Si l’idée de la suppression de cette institution n’est pas nouvelle, le Président de la République avait questionné indirectement sa légitimité avec des points d’interrogation (« Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil Économique, Social et Environnemental, doivent-elles jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ? »). Le débat bordelais, lui, a été l’occasion d’entendre plusieurs sons de cloche. « Peut-être que cette mesure symbolique frapperait les esprits », a auguré un participant. En face, on oppose à l’idée un besoin de transparence évident. « Il manque une information du citoyen sur ce que représente la dépense publique. On est à 1350 milliards d’euros de dépenses publiques par an, une grande partie de la population n’a aucune idée de ce que représentent les affectations de ces sommes. Quand on additionne le coût des institutions comme le Sénat, l’Assemblée Nationale, le Conseil Constitutionnel, on arrive à un coût d’environ 1,4 milliards d’euros par an, soit 0,1% des dépenses. Quand on met au regard les économies que représenterait la suppression des institutions alors que l’équilibre de la Constitution française a été difficile à trouver et à sortir de crises politiques, il faudrait peut-être d’abord comprendre les proportions », ce à quoi un autre intervenant répond que « le Sénat pourrait avoir son intérêt si on modifiait son mode de scrutin ». Encore une fois, le débat autour de la représentativité n’a pas manqué de s’inviter à la fête.

Derrière ce que Le Point dénonce comme une antienne (à savoir la rémunération des élus), on retrouve surtout l’idée d’une accentuation de la décentralisation des collectivités, mais pas à toutes les échelles. « Il faut se désintoxiquer de l’État, la sphère publique prend des proportions beaucoup trop importantes ». Les parlementaires ? « peut-être y en a-t-il trop mais on enlève pas une assemblée sans que ça ne déséquilibre les institutions. Ce qu’il faudrait davantage regarder, c’est le coût de l’organisation territoriale. En Allemagne, l’équivalent d’une intercommunalité, c’est une commune. J’habite un canton du côté de La Brède, il y a plein de petites communes qui ne peuvent pas vivre. La pertinence, c’est l’intercommunalité. On a mutualisé à Bordeaux Métropole les services de ressources humaines, mais on a créé un poste pour faire l’interface avec les communes… La fraude sociale, c’est 600 millions d’euros par an. La fraude fiscale, c’est 60 milliards d’euros. Il faut savoir où sont les priorités », a-t-on notamment pu entendre. L’ensemble de ce discours, radical aux premiers instants et plus mesuré au fil du déroulé des opinions, n’a pas fait lever la députée de son siège, un choix qui est selon elle délibéré. « J’ai hésité à expliquer des choses notamment sur les frais des députés, par exemple. Je ne l’ai pas fait, c’est un parti-pris qui vaut ce qu’il vaut mais je crois au fait qu’entre pairs on arrive mieux à s’en convaincre que quand quelqu’un d’en haut donne sa propre vérité ». 


 
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Organisation « à revoir »

Ce quelqu’un d’en haut, justement, encore une fois à la symbolique forte, tournait toujours autour de l’organisation territoriale. Alors qu’un récent sondage place les maires en fort indice de confiance de la part des français, les autres fauteuils plus élevés marquent clairement le pas. « Les maires ruraux ont joué un rôle considérable pour relayer le mécontentement des gilets jaunes… Étaient-ils neutres ou défendaient-ils leur paroisse ? L’intercommunalité devrait, par des mutualisations judicieuses, permettre de faire des économies très importantes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui parce que la fonction publique territoriale ne cesse d’augmenter ses effectifs. Quand une métropole s’agrandit, elle recrute, mais les communes qui l’intègrent ne réduisent pas forcément leur personnel », commente un participant. Comme le diable est dans les détails, précisons que selon les derniers chiffres du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) dans sa dernière enquête publiée fin 2018, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 1,1% en 2014 mais, en effet, ce sont dans les structures intercommunales que la hausse est la plus importante (+3,9%), notamment dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération (+5 et +7,5%), tandis que la hausse est bien plus minime (+0,6%) dans les organismes communaux.

Pourtant, cette question du nombre d’élus semble revenir comme un mantra parmi les débatteurs. « Il crève tous les plafonds en France. On peut trouver une convergence européenne et un taux d’élus convenable par habitant qui assure le fonctionnement des institutions et de la démocratie. En créant une région immense comme l’est la Nouvelle-Aquitaine, on a raté une occasion avec la réforme territoriale. On a consolidé l’existence des départements. Il aurait été plus pertinent de garder des régions à taille humaine et de supprimer les départements ». Dans le contexte d’une fusion avortée entre Bordeaux Métropole et le département de la Gironde, non sans la fronde assumée du président du Conseil départemental (PS) et face aux économies d’échelles pas si importantes de la grande région pointées du doigt, l’idée n’est pas surprenante. Pourtant, la question de la réduction du nombre de parlementaires agite les rangs depuis qu’elle a été annoncée par Edouard Philippe dans le cadre d’une réforme institutionnelle qui prend, pour certains, des allures de « grande moisson« . Comme toujours, la question du nombre de parlementaires et celle du nombre d’élus sont deux débats bien distincts. En France, selon les chiffres de la fondation Ifrap (2014), on comptait un élu pour 104 habitants, un électeur sur cent étant conseiller municipal, soit un taux de représentativité plus de quatre fois supérieur à celui des États-Unis. « Si on en diminue pas le nombre, au moins pourrait-on revoir leur rémunération », tranche-t-on dans la salle. Du point de vue des rémunérations des élus et des hauts fonctionnaires, la France se situe au neuvième rang au sein de l’Union Européenne, notamment derrière l’Allemagne ou la Belgique. Si les différentes familles politiques se sont montrées plutôt discrètes sur le sujet ces derniers temps, les propositions pour rendre cette rémunération plus transparente, en revanche ne manque pas (par exemple, celle du directeur général de l’Observatoire de l’éthique publique).


 
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Impôt commun

En dehors de ce symbole fort de représentativité et d’organisation territoriale, les participants au débat ont eu quelques rares occasions de rentrer dans des débats fiscaux plus concrets. Pour un chef d’entreprise, c’est le changement constant de règles qui pose problème. « On a une fiscalité qui évolue tout le temps. On a tous les ans plusieurs lois de finances, directes ou rectificatives. Il faudrait instaurer un principe simple qui serait de geler dans le temps une nouvelle mesure fiscale qui vient d’être votée pour avoir une stabilité sans détricoter tout ce qu’on a fait l’année précédente ». Pas sûr que les grandes orientations pour les entreprises dans la loi de finances 2019 ne le rassurent, ni non plus les positions divergentes au sein du gouvernement (y compris au sujet de l’ISF chez une vingtaine de députés de la majorité), interprêtée ça et là comme une « surenchère »

« On a quatre taux de TVA sur la culture, pareil sur un sandwich. N’est-ce pas un peu trop compliqué ? » questionne-t-on dans la salle. « On devrait pouvoir simplifier ça. « C’est une taxe injuste, un smicard paye la même chose qu’un millionnaire quand il va acheter une baguette de pain », entend-t-on d’un côté. « C’est une des taxes les plus efficaces à imposer et à collecter tant qu’on en respecte les limites, mais il faut plus de moyens pour policer ça », témoigne un autre. Selon les derniers calculs de la Commission européenne, l’État français ne percevrait pas 12% des recettes de TVA chaque année : si elle est l’une des niches fiscales qui rapporte le plus à l’État (154,6 milliards d’euros en 2018), l’écart de TVA représenterait 20,9 milliards d’euros en France, montant plutôt stable depuis 2012, et 147,1 milliards en 2016 au niveau européen. La dernière loi sur la fraude fiscale, votée à l’automne dernier, compte bien y remédier, notamment en créant une police fiscale et un nouvel observatoire chargé de constater de manière plus fine ces données. En tout cas, le ministre de l’Action et des Comptes Publics a réaffirmé que la fraude fiscale était une priorité...

Attendu au tournant

Meilleure connaissance des portefeuilles de financements, représentativité et dépenses des élus, niches et fraude fiscale… Beaucoup de sujets déjà dénoncés autour des ronds-points et dans les manifestations de ces derniers mois ont donc semblé émergé de cette séquence bordelaise de plus de deux heures. Au sortir de ce melting-pot de propositions, Catherine Fabre avoue en avoir retenu environ une vingtaine, dont un très aigu désir de « conscience de la valeur du service public et un questionnement sur la réorganisation des différents niveaux de collectivités ». Pour autant, l’élue, en « fin de séance », est largement interrogée sur l’après : que va-ton faire ? Lors d’un point effectué à la mi-février sur les contributions apportées au grand débat national, on comptabilisait 900 000 contributions dont 650 000 sous format de questions-réponses et 250 000 ouvertes (avec toutefois des disparités entre territoires). Parmi elles, 34% concernaient la fiscalité et les dépenses publiques (contre 25% pour la transition écologique 21% sur l’organisation de l’État et des services publics et 19% sur la démocratie et la citoyenneté). Lors de ce débat à Bordeaux, on l’a dit, pas vraiment de gilets jaunes affichés, plutôt des spécialistes… et plutôt d’anciens actifs.

« J’ai vu chez d’autres collègues parlementaires beaucoup de gilets jaunes, parfois majoritaires dans les débats », répond Catherine Fabre. « Est-ce qu’il va y avoir une décision providentielle ? On veut débattre et prendre part à la décision, je pense que ce serait une erreur que le Président pioche parmi les bonnes réponses. Tout l’engagement qu’on a pris, c’est de respecter cette démarche du collectif. Le débat doit être mis au pot commun, il va continuer à vivre ». En effet, les week-end du 15-16 et 22-23 mars se tiendront dix-huit conférences régionales (dont treize en métropoles) avec une centaine de personnes tirées au sort dans chacune d’entre elles (via des numéros de téléphone générés aléatoirement). Une dernière conférence citoyenne, consacrée aux jeunes, se tiendra en avril. Emmanuel Macron, de son côté, a annoncé vouloir poursuire ses rencontres en région après le 15 mars, jusqu’au début du mois d’avril (selon France Info). La grande phase de synthèse et la manière dont les mesures futures vont être décidées, elles, sont largement redoutées, y compris par la députée bordelaise de la majorité, qui affirme pourtant y croire. « J’en suis convaincue. Ca change l’optique des gens qui viennent participer. Je crois dans le travail participatif. Au début, j’avais peur que tout le monde n’ait pas bien compris l’importance de la crise sociale et la mesure des promesses qu’on a créées avec ce grand débat. Il faut être bien conscient qu’il faudra y aller, avoir des mesures fortes. Je trouve que les premières mesures d’urgences l’ont été, je n’ai pas peur des mesures qui vont sortir de ce grand débat ».  Comme on dit : « y’a plus qu’à ». 

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