Nos Temps Forts de 2015: Alain Lamassoure: « Jamais l’Europe n’a été si peu populaire, jamais elle n’a été aussi necessaire »


Groupe PPE Parlement européen - 2011
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 27/11/2015 PAR Felix Dufour

@aqui – Vous disiez, il n’y a guère « il faut cesser de faire de l’Europe le bouc émissaire de nos problèmes-. Sur ces événements, elle n’a pas été le bouc émissaire. Pire beaucoup l’ont trouvé absente…
Alain Lamassoure – Jamais l’Europe n’a été aussi peu populaire. Jamais elle n’a été aussi nécessaire.Nous n’avancerons pas dans le débat européen tant que nous n’aurons pas compris cette vérité fondamentale : l’EUROPE, C’EST NOUS ! Nous en parlons – et c’est implicite dans votre question – comme si c’était quelqu’un d’autre, un « ailleurs », un acteur extérieur. Et nous nous demandons : « Que fait l’Europe ? » Mais sur les grands sujets, dont vous dites que l’Europe est absente, qui décide à Bruxelles ? Nos chefs d’Etat et de gouvernement. Nos dirigeants nationaux. Ne blâmons pas l’anonyme « Bruxelles », mais ceux qui nous y représentent ! A commencer par le chef de l’Etat. Et quand il n’y a pas de majorité au Parlement de Strasbourg pour adopter un fichier commun des voyageurs aériens (le fameux PNR), n’accusons pas « l’Europe », mais ceux des eurodéputés qui ont voté contre : en pratique une alliance contre nature de la gauche européenne et des eurosceptiques, contre notre famille politique du PPE. Quand un vote contestable a lieu au Palais-Bourbon, on n’accuse pas l’Assemblée nationale comme institution, encore moins la France, on pointe du doigt la majorité parlementaire du moment.

« Aujourd’hui, allons-nous rétablir des contrôles permanents à Biriatou parce qu’il y a une guerre civile en Syrie »

@! – Trouvez-vous normal, dans une zone européenne de libre échange, que chaque état ait gardé pour lui ses renseignements sur ces djihadistes qui circulaient librement sans que leurs fichiers aient été transmis?
A. L. – Non, bien sûr. D’autant que « l’Europe », c’est-à-dire les gouvernements réunis à Bruxelles en accord avec le Parlement européen, a adopté depuis les attentats de Madrid un plan d’action très complet contre le terrorisme, qui rend obligatoire l’échange d’informations, à travers notamment le fichier de Schengen dit SIS II et l’agence Europol. Mais, en pratique, seuls quelques pays alimentent les fichiers européens et les utilisent. Comme sur la politique migratoire, les Etats sabotent l’application des accords qu’ils ont conclus entre eux.

Il en sera ainsi tant que l’Union européenne n’aura pas des services propres : même quand elle a la compétence juridique pour décider, l’application concrète revient aux Etats membres et à leurs administrations. Dès lors, le chauvinisme naturel, présenté parfois sous les habits du souverainisme, reprend le dessus. Ainsi que l’esprit de boutique des bastilles administratives : si en France même les services répugnent à échanger des informations entre eux, on comprend les difficultés de communication avec Europol ou Interpol ! Ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est d’un Parquet européen et d’un FBI européen.

@! – La libre circulation européenne repose la question des frontières et l’accord de Schengen, signé en 1985. Trente ans après le pensez-vous sérieusement  viable?
A. L. – Encore un problème mal posé dans le débat politique. La diabolisation de Schengen fait partie des idées reçues, notamment à droite. Mais qu’est-ce que « Schengen » ? C’est la libre circulation des personnes en Europe. Je m’honore d’avoir été le ministre des Affaires européennes qui a convaincu son gouvernement de l’appliquer en 1995, alors même qu’au Pays basque nous étions dans une des périodes les plus sombres du terrorisme de l’ETA. Nous avons arrêté les terroristes de l’ETA alors même que les frontières s’ouvraient ! Allons-nous aujourd’hui rétablir des contrôles permanents à Biriatou parce qu’il y a une guerre civile en Syrie ?

Intégrés désormais dans le traité européen, les accords de Schengen prévoient toute la souplesse nécessaire pour prendre des mesures exceptionnelles dans des circonstances exceptionnelles : c’est le cas aujourd’hui. Supprimer « Schengen » serait aussi absurde que de rendre permanente la présence de l’armée dans toutes les gares et les aéroports de France : le plan Vigipirate autorise judicieusement cette présence dans les seuls moments de danger extrême. En revanche, en contrepartie de la suppression des contrôles aux frontières internes de l’Union, il faut créer un corps européen de police aux frontières extérieures. Nous le demandons depuis des années. Je me réjouis que la Commission européenne en fasse aujourd’hui la proposition formelle. J’espère que la France la soutiendra activement.

@! – Absence d’Europe encore sur le sujet des migrants: Angel Merkel, ouvre les bras à ceux qui arrivent par déferlantes. Le président Hollande joue la solidarité franco-allemande quand son premier ministre annonce: « on ne peut plus accueillir de migrants ». Une réponse européenne éviterait-elle cette cacophonie supplémentaire?
A. L. – La crise migratoire est un autre exemple de ce double jeu des gouvernements. La mise en place d’une politique commune de l’asile politique et de l’immigration économique faisait partie de notre programme électoral. Président de la Commission, Jean-Claude Juncker l’a proposée dès le printemps dernier, avant même l’exode qui a déferlé cet été. Le Parlement européen l’a soutenu de ses votes. Qu’ont fait les gouvernements ? Ils ont tergiversé. Il a fallu attendre leur troisième Sommet, en septembre, pour qu’ils acceptent le dispositif de maîtrise des flux, de contrôle individuel des réfugiés, et de répartition provisoire entre les Etats membres. Deux mois après, la décision n’est appliquée, ni dans les Etats qui s’y étaient opposés, ni même dans ceux qui l’avaient acceptée d’emblée. C’est Berlin, Paris, Varsovie, Vienne qui n’appliquent pas, et c’est « l’Europe » qu’on blâme !

J’ai proposé une politique migratoire commune reposant sur un double système de quotas : quotas par pays d’origine, pour tenir compte des liens historiques de certains Etats européens avec les autres continents ; et quotas internes, entre pays d’accueil, car les besoins de main d’œuvre de l’Allemagne et de ceux de nos partenaires dont la natalité s’est effondrée sont très différents des nôtres. C’est la solution de bon sens à laquelle tout le monde finira par arriver. Mais combien de temps nos gouvernements seront-ils encore capables de perdre, et combien de nouveaux drames faudra-t-il ?

« Nous ne pouvons plus différer la mise en place d’une politique étrangère et de défense commune »@! – Ne pensez vous pas qu’il faudrait mettre un peu d’ordre dans les transferts Turquie-Grêce, mais aussi l’Italie débordée qui n’effectue plus de contrôles? Où sont les frontières de l’Europe?
A. L. – C’est ce que permettra un corps de garde-frontières européen. Et aussi une politique étrangère commune vis-à-vis de notre voisinage, à commencer par la Turquie et la Russie.

@! – Ces drames ont changé bien des donnes. Beaucoup de Français commencent à admettre que face à un tel ennemi, il faut une Europe solide pour lui riposter. Qui, au nom de l’Europe peut répondre concrètement à leurs attentes? Les élus européens, la Commission européenne? Ne serait-il pas temps de mettre en place une véritable gouvernance européenne, voire militaire, pour sa sécurité?
A. L. – En effet, nous ne pouvons plus différer la mise en place d’une politique étrangère et d’une politique de défense communes. La guerre froide est finie depuis un quart de siècle. Nous nous sommes tous contentés de toucher « les dividendes de la paix », c’est-à-dire de réduire nos budgets militaires, sans prendre le temps d’évaluer les nouvelles menaces de notre temps. Or voilà que se développe le terrorisme islamiste, que la Russie se met à envahir militairement ses voisins, que l’Iran est tentée par l’arme nucléaire, que tout le chaos du monde arabe, du Sahel à Bagdad, fait déferler des millions de malheureux vers le refuge européen. Tandis que les Etats-Unis, derrière lesquels nous avions pris l’habitude de nous abriter, se désintéressent désormais de la sécurité de l’Europe.

La tournée diplomatique entreprise cette semaine par le président Hollande avait un aspect pathétique : il a donné l’impression de mendier l’aide à la sécurité de la France auprès de plus puissants que lui. Quel contresens anachronique ! Bien sûr, en ce XXIe siècle, face à de telles menaces, tant qu’elle reste seule, la France est impuissante, comme l’est le Royaume-Uni, comme l’Allemagne. Mais l’Europe unie est déjà la première puissance économique mondiale, elle a les moyens d’être aussi une puissance politique et militaire ! Depuis de Gaulle, tous les Présidents de la République française l’ont plaidé, chacun à sa manière. Mais aucun n’a jamais fait de proposition concrète. Quand s’en trouvera-t-il un pour passer des paroles à l’acte ?

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