Interview: Nicolas Baverez,  » les réformistes et les populistes « 


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 10/04/2017 PAR Joël AUBERT

@qui! Nicolas Baverez, vous déclariez il y a peu : »la présidentielle de 2017 est la dernière occasion de réformer notre pays de manière pacifique et démocratique, un propos qui fait écho à celui que tenait il ya quelques jours à Bordeaux, Roland Cayrol, à l’invitation des amis d’aqui qui affirme dans son livre  » les raisons de la colère » que cette élection est celle de » la dernière chance »… »Vos itinéraires ne sont pas les mêmes et pourtant vos analyses se rejoignent.

Nicolas Baverez – Cette élection, très particulière, est en effet celle de la dernière chance pour notre pays; c’est aussi une élection très importante pour l’Europe et les démocraties. Pourquoi ? Parce que l’on voit une accélération spectaculaire de la crise française; le déclin économique et social de la France qui date de presque 40 ans s’est beaucoup accéléré: les performances brutes du pays sont tès mauvaises: une croissance qui n’arrive pas à dépasser vraiment 1%, 6 millions de chômeurs, 2,2% du PIB de déficit commercial, 3,3% de déficit public et une dette qui, maintenant, est à 96 % du PIB. Surtout, quand on regarde les indicateurs, dans la durée, en terme de compétitivité, on est au 29° rang mondial; en terme de PIB par habitant, un indicateur très intéressant qui est souvent négligé, on est 28° sur 192 pays. Il est donc tout à fait faux de dire que la France est un pays riche. En terme d’éducation on est 25° ou 26° sur 31 pays de l’OCDE. C’est cela la crise économique et sociale. Mais il y a trois éléments d’accélération: la société bloquée, la violence qui monte et le fait, qu’en dehors des zones de guerre, la France est le troisième pays le plus touché par le terrorisme depuis 2015 . Cette crise a fait du Front National, de l’extrême droite, lors des dernières élections, une manière de premier parti de France… Nous allons voir ce que seront les résultats du premier tour de la présidentielle mais tout cela montre bien l’ampleur de la défiance envers les partis traditionnels et la désintégration du système politque.. Si nous devions avoir un second tour entre Marine le Pen et Emmanuel Macron, c’en serait la démonstration puisque aucun des grands partis de gouvernement ne serait présent. Cette élection est quand même surplombée par Marine Le Pen, pas forcément parce qu’elle semble dominer dans les sondages, mais parce que c’est la seule qui ait une forte probabilité d’être présente au second tour de cette présidentielle. Et parce qu’elle présente un programme de sortie de la zone euro qui signifierait la fin de la monnaie unique et la fin de l’Union Européeenne.

@qui! Avec un risque majeur pour l’économie française?…

N.B – Le retour au franc provoquerait un choc terrible pour la France, avec une chute à terme du PIB de l’ordre de 20%, une dévaluation entre 20 et 40% qui augmenterait mécaniqument la dette. Par ailleurs, il y aurait un défaut français de paiement et un défaut français, sur une dette de 2150 milliards d’euros, c’est systémique ! Je rappelle que la Grèce continue à empoisonner l’Europe et la zone euro; ça a commencé, en 2009, ça fait huit ans que ça dure et la dette grecque c’est 320 milliards d’euros… Le krach de Leman Brothers on en a vu les conséquences c’était 600 milliards de dollars; la dette français c’est 2150 milliards d’euros…

Après le Brexit et l’élection de Donald Trump tout le monde attend que la France soit le troisième domino qui tombe entre les mains des populistes ; Cette élection a, on le voit, une grande importance pour le monde démocratique: si c’est un coup d’arrêt au populisme c’est une très bonne nouvelle, si c’est une accélération avec la victoire de Marine le Pen cela aurait un impact sur l’ensemble des nations libres.

Une élection à huit tours

@qui! –  Quand vous faites ce constat et soulignez, ce qui n’est plus invraisemblable aujourd’hui, l’hypothèse de l’effondrement des deux familles politiques qui gouvernaient le pays depuis 1981, y compris en cohabitation, est ce que ça veut dire que la réponse peut se situer au centre de l’échiquier politique?...

N B – C’est une élection sans précédent. Dabord, parce que c’est la première fois que le président de la république ne peut pas se représenter; c’est aussi la première fois que nous avons une élection à huit tours ! Deux tours de primaire, deux de la droite; deux tours de primaires de la gauche, deux tours de la présidentielle et deux tours des législatives. Surtout, et enfin, ce n’est pas une élection qui se joue sur le clivage droite-gauche mais entre les réformistes et les populistes.

Aujourd’hui, nous avons une sorte d’alignement avec deux candidats réformistes qui sont, si on retient les sondages, Emmanuel Macron et François Fillon. Et deux candidats populistes, Jean Luc Mélenchon et Marine Le Pen, car Benoît Hamon est marginalisé ; en gauchisant le PS il en a fait une annexe de Mélenchon. Nous n’avons jamais connu une aussi grande incertitude car, généralement, à ce stade de l’élection, les choses étaient à peu près cristallisées. On s’aperçoit que le nombre d’indécis ne se réduit pas mais qu’en revanche l’écart entre les candidats se réduit… Nous sommes donc dans une incertitude très grande. Les deux dernières semaines de la campagne vont être très importantes, beaucoup plus que lors des précédentes élections. Quant à la campagne actuelle, il existe un écart énorme entre la qualité du débat public, extrêmement médiocre, et l’importance des enjeux pour notre pays. Le vrai risque, peu souligné, c’est que le risque France survivra à la présidentielle, même si Marine Le Pen n’est pas élue, avec alors la nécessité de réformes rapides et amples, des taux d’intérêt qui montent et la politique souple de Draghi, de plus en plus contestée, la lassitude de l’Allemagne et de l’Europe du Nord vis à vis de la France et de son incapacité à faire des réformes. Qu’est-ce qu’il faut pour faire des réformes? Nous l’avons vu avec le Canada, la Suède dans les années 90, Schroëder en Allemagne en 2002, il faut un leadership politique, une adhésion des citoyens, un mandat clair qui soit donné sur un projet cohérent, une méthode et un calendrier… et l’on voit mal comment cette campagne pourrait accoucher des conditions pour le changement. Il nous faut un président fort et, compte tenu de la manière dont le débat s’est noué, ce sera difficile, et quel que soit l’élu sa légitimité sera contestée.

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