Interview: Philippe Madrelle président du conseil général de la Gironde: on va élire des conseillers territoriaux urbains pour s’occuper du rural!…


Julien PRIVAT | Aqui
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 05/09/2010 PAR Joël AUBERT

@qui! –  Philippe Madrelle, en tant que sénateur d’une part et président du conseil généralde la Gironde d’autre part, comment jugez-vous le projet de réforme territoriale débattu au Parlement et comment, avec vos équipes, réagissez-vous pour trouver des solutions, alors que cette réforme comporte encore bien des incertitudes ?
Philippe Madrelle –
Le texte de loi, une fois sorti du Sénat, est parti en lambeaux. Mais le vieux parlementaire que je suis imagine, malgré tout, que l’Assemblée nationale risque de retricoter ce qui a été détricoté par le Sénat.Car lorsqu’on entend le discours du président de la République, deses plus fidèles supporteurs, du ministre Hortefeux on a tout lieu d’être inquiets. Ce qui a sauté au Sénat par rapport au projet de loi, c’est le retour de la clause générale de compétence qui permet aux départements d’intervenir en dehors de leurs compétences propres et est à la source d’une formidable solidarité à l’égard des communes, des intercommunalités notamment.

@! – Le mode de scrutin, uninominal à un tour, du futur conseiller territorial, version 2014, qui était prévu redeviendrait à deux tours ?
P. M. – 
La volonté du président nous la connaissons. Par expérience, et parce que je vois les sénateurs de droite, dans les couloirs, nous laisser l’impression de nous donner raison puis revenir dans l’hémicycle avec beaucoup plus timidité, je me méfie. Je suis peut être en décalage avec mes amis mais la volonté du président est telle qu’il y a lieu de douter. J’attends de voir. Il semble avoir renoncé au scrutin uninominal à un tour ; il y a renoncé mais au Sénat car les centristes exigent un certain niveau de proportionnelle, il faut d’ailleurs déterminer un pourcentage de celle-ci.

@! – Pour la clausede compétence, sans revenir sur la suppression de la clause de compétence générale, le gouvernement a accepté quelques assouplissements; l’assemblée reviendrait sur celles-ci ?
P. M. –
Oui il y en a eu, en matière de culture, de sport de tourisme, le ministre Hortefeux l’a dit, mais la clause de compétence générale permettait d’aller bien au-delà.En matière d’économie ou d’environnement ; songez aux sommes considérables que le département consacre à la construction des stations d’épuration, à l’assainissement. On nous laisserait ces compétences pour la culture, le sport, le tourisme certes, mais ce n’est vraiment pas ce que nous avons l’habitude de faire. Si, de surcroit, nous n’avons pas les moyens financiers, je me demande à quoi ça nous servira de recouvrer la clause de compétencegénérale.

Saisir le Conseil Constitutionnel

@! – Vous êtes pourtant décidés à ne pas en rester là…
P. M. –
L’entêtement de Nicolas Sarkozy va poser de gros problèmes. Nous, opposition, sommes décidés à tout faire et à saisir le Conseil constitutionnel. Je rappelle que l’article 72 de la Constitution précise qu’aucune collectivité ne peut avoir de tutelle sur l’autre. Le conseiller territorial qu’ils ont imaginé est un élu génétiquement modifié. Comment se pourrait-il que ce conseiller aille d’une assemblée dans l’autre (le département , la régionndlr) sans respecter le fait qu’une assemblée a sa légitimitépropre. On est élu dans une assemblée et pas dans une autre : cela aussi est susceptible d’être retoqué par le Conseil.

@! – Cette réforme a été faite au nom du principe d’économie. Il y aurait trop de niveaux d’administrations dans ce pays, ce fameux « millefeuille » que le gouvernement veut alléger. Alors quelles économies va-t-on faire ?
P. M. –
C’est une supercherie; c’est scandaleux! On peut réduire les dépenses par voie autoritaire. Ce sont des réductions de budget mais pas des économies. Les abandons de compétence, ça peut se décréter mais, à l’heure actuelle, dans un système pareil, les économies ne sont pas possibles. Ne confondons pas les réductions autoritaires de dépenses et les économies, cet amalgame auquel on veut nous contraindre. Cette histoire de millefeuille ne tient pas debout. Non seulement on ne supprime aucune feuille mais encore on ajoute la métropole, un étage administratif supplémentaire. Et puis ce conseiller territorial il seraà plein temps; il va falloir le payer; on va en faire un professionnel de la politique. Moi, j’ai toujours été contre cette orientation, ce n’est pas un métier. C’est une mission .

@! – Est-ce que selon vous on risque de créer une catégorie d’élus plus techniciens qu’élus de terrain ?
P. M. –
Des élus plus dociles selon le mode de scrutin…. Sur le plan technique on va les déconnecter ; le matin le conseiller territorial viendra parler d’un projet de médiathèque au Conseil général et partira à Bayonne, l’après-midi, pour traiter dudossier du port ? C’est de la folie.

On est en train de tuer le rural

@! – S’agissant de la Gironde, combien y aura-t-ilde conseillers territoriaux ?
P. M. –
Soixante dix neuf, c’est à dire plus que de conseillers généraux, 63 aujourd’hui,  On aura 79 conseillers territoriaux élus sur des cantons redessinés. Que va t-il se passer ?Ces cantons vont produire en majorité des élus urbains pour s’occuper d’un département qui est à dominante rurale ! Ona 542 communes en Gironde et il y a bien 480 communes qui le sontet ont besoin de la solidarité. C’est fort de café : on va avoir des élus urbains pour traiter du rural !Tous ces cantons qui ont 6.000 habitants ou moins seront débordés par des cantons urbains.
La mort du département va entrainer la désertification ;les services publics qui sont l’œuvre de la III° et de la IV° République déménagent déjà: la poste, la trésorerie, les gendarmeries dont j’apprends, ici ou là, qu’on les regroupe. Liberté, égalité, fraternité : le tryptique républicain est en pleine régression. On est en train de tuer le rural. Derrière tout cela il yale machiavélisme d’un président qui veut tuer tous les contre-pouvoirs parce que, à ses yeux, ils sont trop à gauche.

Emprunter pour satisfaire à nos obligations…

@! – Revenons sur la question des finances, sur les conséquences de la situation actuelle et les perspectives liées aux transferts de compétences.
P. M. –
Non seulement on a un effet de ciseau entre une situation conjoncturelle dont on est tributaire mais, en plus, on vit dans une périoded’incertitude sur le régime fiscal; on est incapable de pouvoir apprécier objectivement nos ressources. On nous dit messieurs il y aura des compensations ce qui déjà veut dire qu’il ne pourra pas y avoir d’évolution ; or l’inflation est en train de repartir et dans le même temps nos dépensespolitiques transférées par l’Etat croissent, du fait de la conjoncture, de la situation économique et sociale.
A l’heure actuelle, on semble avoir relativement maîtrisé, sur l’exercice en cours, l’accroissement du RSA RMI qu’on nous a transféré mais c’est en train de déraper sur l’APA et sur la PCH (1). Alors que nous observons un accroissement du produit attendu des droits de mutation de l’ordre de 20 millions, dans le même temps on a enregistré une augmentation de…20 millions des charges qui sont partis, entre janvier et juin, dans l’augmentation du RSA. Entre juin et le mois d’octobre, quand on va voter la DM2, la décision modificative, on va avoir 10 millions de plus de recettes issues des droits de mutation qui vont…intégralement partir sur l’APA et la PCH. On ne peut pas faire de budget prévisionnel. Ça nous interdit de prévoir une capacité d’autofinancement ; ça nous freine dans les dépenses à faire sur le patrimoine et sur les investissements des communes et des tiers que l’on aidait jusque là. On ne peutpas s’engager parce qu’on est en complète incertitude. Entre le moment où on décide d’un investissement aidé et le moment où il se réalise il s’écoule deux ans et demi à trois ans. C’est à dire que si on décide, aujourd’hui, au delà de nos possibilités financières du momenton se sait pas ce qui passera dans trois ans. Et cela, déjà, avec des niveaux d’emprunt relevés. Il est vraique ceux ci se font à des taux anormalement bas mais on ne sait pas si on sera en mesure de rembourser …C’est le flou artistique, au-delà du débat politique.

L’autre danger c’est un pari hypocritedu gouvernement… celui de vouloirréduire la dette en contraignant les départements à des budgets defonctionnement restreints. On ne dégage plus de capacitéd’autofinancement et pour satisfaire simplement à nos obligations , lesroutes, les collèges plus le social plus les aides au tiers,désormaisquand on veut investir 100 euros il faut emprunter au moins 72 euros !Ce qui conforte la dette publique de l’Etat . C’est proprementdésarmant.

Le département condamné à la monoculture?

@! – Quel scénario au fond imaginez-vous pour les années à venir? Le Premier ministre a semblé sensible aux difficultés des départements.
P. M. –
De la même façon qu’ils ont réduit les recettes par décision politique, je pense que pour ceux qui bénéficient du social, ils vont réduire les dépenses, également par choix politique. Ils vont revenir sur le droit des personnes, une diminution et un appel aux assurances privées. Quant au Premier ministre, interrogé par l’Association des Départements de France lui demandant comment pense-t-il faire pour compenser les dépenses socialesqui relèvent du dispositif national, il nous renvoie à la future loi sur ladépendance au Parlement qui n’est pas encore programmée. Il nous renvoie à demain.

En réalité, la réforme qui se prépare renvoie les départements vers la monoculture : spécialisation du département sur le financement du social. Si on ne peut plus aider les associations, les communes, l’économie… certes nous ferons des économies budgétaires qui pourront être redéployées sur le financement du social qui pèse lourd et dont l’attribution se fait quasi mécaniquement surdes critères d’équité nationale. Politiquementque deviennent les départements ? Des super conseils d’administration, des super Caf, Caisses d’Allocations familiales, quivont distribuer des aides … Si on va au bout du projet, on élira des élus qui n’auront plus d’autres pouvoirs que celui de superviser la distribution des aides de l’Etat.Il n’y aura plus qu’à mettre un fonctionnaire à la tête du département.

Crier très fort…

@! – Vous évoquez une proposition de loi qui renverrait l’Etat à ses propres responsabilités.
P. M. –
Oui, cette proposition de loi émane d’un groupe de parlementaires, des élus de gauche, PS, PC mais aussi des élus de droite qu’il faut faire sortir du bois.Il faut crier très fort ; il y en a un certain nombre, à droite, qui commencent à emboiter le pas, le président de la Haute-Loire, celui de l’Aube. Cette proposition de loi avec les élus de gauche, un certain nombre d’UMP et de divers droitedoit affirmer que la solidarité nationale doit émaner de la nation ou au moins qu’on ait de véritables compensations.

Je vais d’ailleurs demander à Yves Lecaudey, notre vice-président aux Finances, de faire ce que certains départements font, c’est à dire la Seine Saint Denis, la Meurthe et Moselle ou la Saône et Loire, à savoir établir un budget et une version en parallèle, montrant tout ce qui nous tombe sur le dos et ne le devrait pas. On va se faire retoquer par le préfetqui va envoyer cela à la chambre régionale des comptes mais, au moins, on aura fait connaître aux citoyens pourquoion en est là.

Propos recueillis par Joël Aubert

1.Allocation Personnalisée d’Autonomie et Prestation Compensation du Handicap.

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