Interview – Pierre Camani président du conseil général du Lot et Garonne : la réforme territoriale nous conduit à grande vitesse vers les difficultés.


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 07/06/2010 PAR Joël AUBERT

@qui! – L’assemblée nationale vient de discuter du projet de loi de réforme territoriale; elle levote ce 8 juin. Cetteprésentation au Parlement a soulevé beaucoup de mécontentements, commentvous la ressentez ?
Pierre Camani –
La discussion à l’assemblée résume ce que l’on peut penser de cette réforme territoriale : elle est une régression de la décentralisation et de l’organisation territoriale. Je reprends des propos de Pascal Clément, un élu UMP, ancien président du Conseil général de la Loire qui a dit textuellement : c’est un très mauvais texte, je ne le voterai pas. Et un autre élu, VincentDescoeur,député et président du Conseil général du Cantal, a considéré que les dispositions ne pourront pas résister à l’épreuve des faits. Je prends des élus de droite pour bien montrer qu’il n’ y a pas de consensus sur ce projet. Et, si l’on regarde l’histoire de la décentralisation, hormis les lois de 1981 où il y a eu opposition parlementaire, au début des débats, la droite s’étaitralliée à toute modification de l’organisation territoriale.L’approfondissement de la décentralisation s’est toujours fait dans une concertation importante avec les acteurs locaux ; je me souviens de la loi de 1992 sur l’intercommunalité, de la loi Chevènement de 1998 et même de l’acte II de la décentralisation façon Raffarin. Nous n’en sommes paslà. Au contraire, il y a une volonté manifeste d’affaiblir les départements et les régions, de revenir à une recentralisation du pouvoir, de redonner à l’Etat le pouvoir d’agir sur le local.

Avec la Région nous jouons l’effet de levier

@! – Mais n’y avait-il pas une opportunité de clarifier les compétences, de parvenir à des améliorations ?
P. C. –
Je ne veux pas apparaître comme conservateur dans ce dossier ;il existe un consensus sur la nécessité de modifier notre organisation territoriale, de faire en sorte que l’on obtienne des économies d’échelle, plus d’efficacité et de lisibilité. Par exemple en définissant pour chaque compétences des chefs de file. Je ne peux pas imaginer, par exemple, que sur une compétence comme l’économie, la région soit seule à la porter. Les départementsà travers leurs compétences : réalisation d’infrastructuresroutières, de communication… jouent leur rôle pleinement. Cette proximitéfait qu’avec avec les intercommunalités, les Régions nous pouvons mener des politiques actives et innovantes. Le Lot et Garonne en est un très bon exemple. La réalisation de l’Agropole par mes prédécesseurs le fut. Depuis 2008, et notre arrivée à la tête du département, nous travaillons en partenariat étroit avec la Région avec laquelle nous avons passé des conventions d’objectifs pour faire en sorteque nos politiques économiques soient en conformité totale.Et que l’on joue l’effet de levier.

@! – La création d’un nouvel élu, le conseiller territorial est présentée justement comme l’occasion de faire converger les politiques…
P. C. –
C’est le conseiller territorial qui va représenter à la fois le département et la région. Comment vont se répartir les compétences et les actions; tout cela est concrètement, aujourd’hui, illisible. Et nous ne sommes même pas sûrs que le gouvernement sache exactement où il veut aboutir si ce n’est à l’affaiblissement de nos collectivités.

@! -Cette double casquette ne va pas être facile à porter ?
P. C. – Comment tout cela va s’organiser ? On n’en sait rien… Le président du Conseil régionalva avoir les cinq présidents de départements autour de lui : on dit ça va faciliter la concertation ! Je demande à voir…Il n’ya pas quel’architecture institutionnellemais aussil’aspect financier.Le gouvernementattaque par les deux bouts à la fois : limitation des compétences etcontraintes financières : suppression de la taxe professionnelle mais surtout de l’autonomie financière des collectivités, et c’est plus grave encore. Que l’Etat veuille encadrer et donner des directions stratégiques cela peut se concevoir mais là on serait dans un schéma où il y aurait un respect mutuel…

@! – Que va devenir la représentation du Lot-et-Garonne avec la nouvelle carte territoriale ?
P. C. – On voit bien les tâtonnements de l’Etat sur ce projet de loi. il y a eu des évolutions ; ellessont la conséquence de la mobilisation des élus mais aussi de la constatation parl’exécutif des incohérences de certaines propositions, à la fois financièreset en terme d’organisation. La dernière proposition n’a plus rien à voir avec la proposition initiale. Le département qui a 40 conseillersgénéraux devait avoir au maximum 17 conseillers territoriaux ;aujourd’hui c’est 27, suivant des critères dont je n’ai pas encore réussi à trouver la cohérence et la transparence.Qu’il y ait une réflexion sur une rationalisation de la représentation, notamment en fonction des évolutions démographiques, pourquoi pas ?

Les élus ruraux craignent la désertification

@! – Vous avez été informé, vous, de ce découpage ?
P. C. – Pas du tout.J’ai un chiffre, 27. Quant au découpage on peut supposer toutes les turpitudes. On a voté pour la première fois dans ce paysla constitution d’un conseiller territorial sans en défini les circonscriptions.

Ici, nous sommes dans un département rural ; s’y exprime une crainte majeure des élus ruraux qui voient les services publics abandonner les territoires. Et, maintenant, ils voient les élus de proximité disparaître à travers. Et cette inquiétude me revient, toutes tendances politiques confondues. Les élus ruraux font l’amalgame entre ces deux situations. Ils craignent la désertification des territoires ruraux sous prétexte que les territoires urbains auraient plus de besoins. Certains me disent d’ailleurs que l’absence de services publics dans les banlieues fut une erreur historique. Et ils ajoutent : on commet la même en enlevant des territoires ruraux les services publics et les élus de proximité.


@! – Quant au mode de scrutin le gouvernement a renoncé à son projet initial…
P. C. – C’était tellement gros ce scrutin uninominal à un tour ! Après les élections régionales ils ont changé le fusil d’épaule en se rendant compteque, finalement, ce n’était pas aussi productif politiquement que prévu.

@! – On a donc remis deux tours de scrutin ?
P. C. –
On est revenu à un système plus traditionnel

@! – Et on va peut monter la barre de la représentativitépour être candidat au second tour ?
P. C. –
Oui sans doute à 12,5% des inscrits;on n’a pas osé aller jusqu’au bout c’est a dire éviter de possibles triangulaires au second tour. On voit bien, là aussi , l’incohérence ; il ya six mois c’était scrutin uninominal à un tour avec une dose de proportionnelle, six mois après on revient à un schéma ancien.

Budget: nous allons vers les difficultés à grande vitesse

@! – Parlons finances. Comment faites vous pour construire un budget qui tienne la route ?
P. C. –
Le budget actuel c’est400 millions d’euros, 290 en fonctionnement et 110 en investissement. Noussommes dans une situation délicate, pris en ciseau dans une crise qui a une double conséquence : baisse des recettes fiscales, explosion des dépenses sociales. Le gouvernement , dans le même temps, vient réduire notre autonomie financièreet les dotations de l ‘Etat à un moment où ilnous demande d’assumer pour son compte les trois dépenses majeures pour un départementque sont les dépenses d’action sociale : l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie,la Prestation de compensation du handicap et le RSA, Revenu de solidarité active.
Ce sont des prestations de solidarité nationale !Beaucoup de départements ont été contraints d’augmenter cette annéeleur fiscalité, de baisser leurs dépenses d’investissements et leurs dotations aux collectivités, aux associations. Nous ne sommes pas, ici, dans cette situation car nous avons anticipé, augmenté notre fiscalité l’an dernier.Nous avons voulumaintenir un très haut niveau d’investissements et participer au plan de relance. Nous ne pourrons pas continuer longtemps; nous ne sommes pas en difficulté comme la dizaine de départements qui doivent être aidés mais nous y allons à toute vitesse.

Le contribuable local ne doit pas payer les prestations de solidarité nationale

@! – Vous avez fait, à cet effet, réaliser un audit…
P. C. – Lors du vote du budget nous avons mandaté le cabinet KPMG pour faire un audit de la situation à la fois du passé (nous sommes arrivés en 2008,) et des projections sur l’avenir. Ce cabinet nous dit : si la situation ne change pas le département va être en grave difficulté dès 2012. La Direction Générale des Collectivités Locales a identifié 11 départements en très grande difficulté, cette année et soixante, l’an prochain. C’est un phénomène général. Et c’est une situation intenable car, d’une part, les trois dépenses de solidarité nationale que j’évoquais pèsent d’un poids énorme et croissant tandis que d’autre part l’Etat nous demande, en plus, de participer au financement de réalisations qui ne relèvent pas de nos compétences :LGV, Infrastructures routières comme, ici, la RN21.Demain nous n’aurons pas les moyens de suivre
J’ai demandéau cabinet d’audit d’isoler les trois prestations de solidarité nationale de notre budget ; le problème vient de ces trois dépenses; pour le seul Lot-et-Garonne elles représentent un différentiel de 39 millions d’euros pour 2010. Si l’Etat assumait les charges qu’il nous a transférées,notredépartement n’aurait plus de souci financier pour des années… Un département, la Meurthe et Moselle a fait un budget annexe, cette année, avec ces trois prestations à vocation sociale transférées et les comptes sont excellents. Il y à, là, une contradiction majeure que le gouvernement va devoir assumer. Aujourd’hui, je l’affirme : je n’augmenterai pas la fiscalité départementale pour financer des prestations de solidarité nationale. Ce n’est pas au contribuablelocal de payer des prestations de solidarité nationale.
Le gouvernement sera obligé de prendre des mesures spéciales car il nous place, nous, départements, dans des situations impossibles.

La compétence générale pour pouvoir continuer à innover

@! – Il se dit que le gouvernement, conscient de toutes ces difficultés, pourrait revenir sur son intention de supprimer la clause de compétence générale.
P. C. –
A la suite du mécontentement exprimé par un très grand nombre de députés, toutes tendances politiques confondues, l’Assemblée a voté une série d’amendements ;certains proposés par l’Association des départements de France qui précisent que le tourisme, la culture et le sport continueront à faire l’objet de compétences partagées entre les trois niveaux de collectivité : région, département, communes.L’amendement sur le tourisme -c’est l’amendementde l’ADF- pourrait être remis en cause, lors de la prochaine lecture. Par contre, pour la culturel’amendement a été repris par le gouvernement ; il a bien identifié les conséquences politiques de pareille suppression. C’était la mort des associations, la destruction de la vitalité de ce tissu associatif, qu’il soit culturel ou sportif. Dans les territoires ruraux ou urbains ces associations jouent un rôle très important ; elles sont le dernier lieu du lien social.Elles sont, déjà,en difficulté à cause de l’affaiblissementdu bénévolat ; si en plus on leur coupe le soutien des collectivités c’est proprement catastrophique.
Si nous tenons au maintien de la compétence générale, organisée, avec un chef de file, c’estpour conserver la capacité d’innovation ; si on l’enlève nous ne pourrons pas innover etl’efficacité, l’économie en pâtiront.

Propos recueillis par Joël Aubert


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