Interview : quand Pierre Hurmic « doute un peu de la fibre écologiste de Nicolas Florian »


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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 17/06/2020 PAR Romain Béteille

@qui.fr – Votre campagne pour le second tour se poursuit. Ce mardi 16 juin, vous avez participé à une conférence de presse en présence de têtes de listes écologistes de plusieurs grandes métropoles françaises (Grégory Doucet à Lyon, Antoine Maurice à Toulouse ou Emmanuel Denis à Tours). Quel était le but de cette sortie, qui abordait la notion des alliances entre LR et LREM comme des « coalitions anti-climat » ? 

Pierre Hurmic – Le but, c’était de montrer qu’il y a deux raisons à cette alliance. La première est strictement locale : la mairie de Bordeaux a découvert le 15 mars qu’elle pouvait perdre la ville à 96 voix près. Il fallait qu’ils trouvent de nouveaux alliés. Le deuxième élément est une conjonction plus nationale : on a constaté un rapprochement entre LR et LREM pour s’allier dans toutes les villes où il y a une coalition autour des écologistes qui menacent des bastions LR. Bordeaux est une baronnie (depuis 73 ans) aujourd’hui menacée. L’accord a été imposé, le maire était très demandeur mais le candidat En Marche était, paraît-il, beaucoup plus hostile. Pendant la campagne du premier tour, il n’a pas eu de mots très indulgents pour le maire sortant, arguant qu’ils n’avaient ni le même projet, ni les mêmes convictions, ni les mêmes valeurs. Il a plaidé le caractère incompatible de l’alliance, mais le coup de sifflet a signé la fin de la récré comme à Lyon, à Strasbourg ou à Tours. Je trouve cette attitude très politicienne, c’est la vieille tambouille qui continue à exister. C’est aussi très jacobin, Paris qui vient dire aux candidats de s’entendre, ce qu’ils étaient condamnés à faire.

C’est à peu près le même schéma partout, dans chaque ville on a plutôt une alliance avec une droite assez dure. La droite bordelaise a un spectre politique très large, elle est très traditionnelle et conservatrice. À Lyon, c’est pareil avec Wauquiez. C’est le mariage de la carpe et du lapin. Les retours que j’ai de cet accord, c’est que les électeurs de Cazenave que je rencontre me disent qu’ils ont voté pour lui au premier tour car il semblait être « anti Florian ». Il y a une grosse déception, y compris chez les électeurs de Florian, très militants LR et assez anti-Macron. C’est une alliance attrape-tout pour sauver les meubles et contrer une alliance écologiste qui a des chances de gagner. Je ne suis pas allé chercher des appuis nationaux pendant la campagne, j’ai construit la liste de rassemblement local depuis des mois. Les configurations avec les autres têtes de listes sont similaires.

@qui.fr – Lors des résultats du premier tour, on a pu voir un fort taux d’abstentionnistes chez les jeunes (18/34 ans), alors même qu’EELV est le premier parti dans cette tranche d’âge en France comme on l’a vu lors des dernières élections européennes. Comment contrer ça ? 

P.H – Beaucoup de jeunes croient de moins en moins dans la politique. Le spectacle donné par la politique est souvent affligeant, à l’image de cet accord Florian/Cazenave. Il nous revient de mobiliser cet électorat jeune. On a, en effet, remarqué que les 18/34 ans, plutôt proches de nos idées, avaient été un électorat plutôt défaillant. On se démène et actuellement, on fait une vraie campagne de terrain pour aller à leur rencontre, on est beaucoup plus présents sur les réseaux sociaux que lors du premier tour. Il faut leur parler davantage, le monde pour lequel on se bat c’est le leur. Ont-ils envie de repartir pour un nouveau bail à Bordeaux ou d’être des acteurs du monde nouveau ? On ne peut pas dire que le monde n’ait pas changé ces dernières années, mais Bordeaux reste irrémédiablement enfermée dans ce camp conservateur pantouflard. Ce serait une anomalie que Bordeaux ne change pas. Les contraintes du COVID-19 font qu’on ne peut pas organiser de meetings, mais les jeunes ne viennent pas aux meetings. Il faut vraiment aller vers eux. Le week-end, sur les quais, il y en a beaucoup…

Opportunités

@qui.fr – Votre principal adversaire (devenu bicéphale) se sert de la crise sanitaire et de l’urgence économique comme d’un élément clé pour sa campagne du second tour. Vous semblez moins jouer sur l’immédiateté dans votre programme. Pourquoi ?

P.H – On n’est pas dans la comm’. Ce qu’on a beaucoup reproché à Nicolas Florian pendant la crise, c’est d’en faire beaucoup en tant que maire et en tant que candidat. Il a fait déposer dans toutes les boîtes aux lettres de Bordeaux un publireportage dans lequel il vantait sa politique municipale, en plus dans une période où on recevait peu de courrier. C’est interdit en période de campagne électorale mais lui l’a fait. Il a énormément communiqué, on a l’impression qu’il a été le seul à travailler. Pourtant, le conseil départemental, tout comme le conseil régional, ont aussi travailler sans faire de sur-communication. Je trouve ça d’autant plus critiquable que nous avions décidé de suspendre la campagne pendant la période de confinement. Nicolas Florian a signé une pétition pour que l’élection intervienne le plus rapidement possible afin de pouvoir bénéficier un peu de la prime au sortant. À la sortie du confinement, il avait incontestablement une longueur d’avance sur nous, les gens nous disaient qu’ils ne nous avaient pas beaucoup vus ni entendus. Effectivement, on s’est astreint à une période de suspension. Mais là, on est en campagne, on met les bouchées doubles.

@qui.fr – Vous vous êtes récemment affichés avec Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde, et Alain Rousset, président de la région, comme une « coalition anti-bétonnisation« , exprimant le souhait commun de l’arrêt d’une « politique en silos ». Comment comptez-vous mettre en place une plus forte coopération territoriale ?

P.H – La ville de Bordeaux raisonne, on l’a vu pendant la crise du COVID, comme si elle était toute seule. De notre côté, on considère que ça donne lieu à beaucoup de doublons. Il faut aujourd’hui aider les commerçants et les entreprises bordelaises qui traversent une période effroyable. J’ai vu hier que 20% des enseignes risquent de disparaître, la situation économique est préoccupante. La compétence du développement économique est déléguée à la région, qui n’a pas chômé en mettant au point un fonds de solidarité et de proximité pour venir en aide aux entreprises. Ce fonds couvre 95% de la région Nouvelle-Aquitaine, deux villes ont refusé d’y participer : Pau et Bordeaux. Bordeaux a organisé son propre fonds de soutien avec la métropole, d’un montant de 15 millions d’euros. Ça n’a pas fonctionné, ils en ont dépensé cinq. Je rencontre beaucoup de professionnels et de commerçants et tous me disent la même chose : ce qu’ils veulent, c’est la simplification des démarches et le guichet unique. Ils en ont assez de voir que la mairie a son système et que la région en a un autre. L’engagement que l’on prend, c’est d’arrêter cette espèce de compétition inutile et coûteuse entre les collectivités locales. C’est un peu le sens de la photo avec Alain Rousset et Jean-Luc Gleyze, l’engagement de travailler ensemble. Sur les déplacements, ça s’est déjà enclenché mais on réclame depuis longtemps la dynamique du RER métropolitain, on fera en sorte d’être beaucoup plus opérationnels que ne l’est actuellement la métropole. Ce sera la même chose pour le département et sa solidarité envers les plus démunis, il faudra que la ville travaille main dans la main avec le département. 

On a injecté des mesures économiques nouvelles pour répondre à la situation de l’urgence. On a également prévu des chantiers d’écoles de formation et d’insertion vers les métiers d’avenir. Nous faisons de la rénovation thermique des logements une priorité. Ça représente plusieurs avantages et le premier est économique. Sur Bordeaux, si on prend des ratios nationaux, on doit être aux alentours de 30 000 passoires thermiques, des logements qui ont besoin d’être rénovés rapidement puisque 25% des émissions de CO2 sont dues au logement. Lancer une politique de rénovation, ça fait travailler les entreprises locales, ça diminue les EGS et permet de lutter contre la précarité énergétique (qui concerne 13 000 foyers à Bordeaux). Souvent, les artisans sont partants mais ne trouvent pas toujours de main d’œuvre locale. On veut les aider avec la région qui a la compétence formation pour qu’il y ait une vraie filière de rénovation thermique des logements bordelais. On a mis cette idée un peu plus en lumière qu’auparavant.

Écologie et priorités 

@qui.fr – Les différentes listes, notamment à droite (mais pas uniquement) ont beaucoup évoqué durant cette campagne le fait que l’écologie politique n’était pas la propriété des verts. Avec quelles idées présentes dans le programme du maire de Bordeaux, autre que les idées écologiques, êtes-vous en désaccord ? Sur quelles autres priorités politiques insistez-vous plus particulièrement ? 

P.H – Dans le nouveau programme, qui vient de sortir, Nicolas Florian veut s’engager pleinement pour l’environnement, c’est-à-dire faire tout ce qu’il n’a pas fait ces dernières années. Il parle beaucoup d’écologie, ce qui est plutôt bien parce que plus on sera nombreux à en parler et mieux ce sera. Ce qui compte aussi quand on parle d’écologie, c’est la sincérité et la détermination, on ne devient pas écologiste la veille d’une élection. Je doute un peu de la fibre écologiste de Nicolas Florian, qui jusqu’à présent a accompagné toutes les opérations de bétonisation de la ville. Il n’a pas pris d’engagement très ferme pour mettre un terme à cette politique urbaine.

Au-delà de l’écologie, nous considérons que la priorité à Bordeaux, c’est le logement. Les gens vont de plus en plus habiter à la périphérie, ce qui fait beaucoup de monde sur la rocade et des transports engorgés. On va partir du principe qu’il y a à Bordeaux 11 000 logements vides. Plutôt que de construire de grosses opérations immobilières comme l’horreur du Bassin à Flots et d’autres, on considère qu’il faut d’abord faire une étude pour voir pourquoi il y a ces 11 000 logements vides. Il y a beaucoup de produits d’investissements. Quand vous êtes un investisseur, même un logement vide rapporte de l’argent. Ils les gardent, considérant que demain ça coûtera plus cher. Nous considérons que le rôle de la ville est de les mobiliser. Si on a affaire à ce type d’investisseurs, je pense qu’il ne faut pas avoir peur de réquisitionner, face à des outils spéculatifs contraires à l’intérêt général. La mairie n’en a pas la possibilité, mais peut demander au préfet de le faire. Il faudra établir un rapport de force pour que la mairie de Bordeaux soit davantage écoutée, sur le logement comme sur la sécurité d’ailleurs.

Je suis surtout en désaccord sur tout ce qui n’y figure pas. Les aspects négatifs de sa politique, il ne dit pas qu’il les abandonne mais il n’en parle pas dans son programme. Je trouve que le modèle urbain défendu est un modèle urbain très traditionnel. Même s’il s’en défend, Nicolas Florian est toujours dans l’agglomération millionnaire. Je suis en désaccord total sur cette vision. Le reste est très lisse, il est difficile de faire une démocratie renforcée dans les quartiers quand il n’y en a pas. Comment voulez-vous qu’on soit contre ? La conversion est tardive. Mériadeck est une idée de Thomas Cazenave. Je trouve ça bien, mais ce n’est pas à l’échelle de la végétalisation de la ville. Des arbres, il faut en mettre partout, dans tous les quartiers. Dans le programme, on a une idée à laquelle on tient be aucoup, c’est la notion de quartier apaisé. Ça veut dire en revoir l’organisation avec les habitants, partager la rue, mettre des arbres et des bancs, si possible des fontaines pour donner à cette ville une allure un peu plus conviviale qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est un chantier qu’on va démarrer dès le lendemain de l’élection en faisant de la concertation dans les quartiers.

Beaucoup de quartiers de Bordeaux sont devenus des quartiers de circulation automobile détournée pour éviter les bouchons de la rocade ou des boulevards. On veut casser cette logique, les rues ne sont pas des routes. Avec une chaussée étroite, on ne peut pas rouler vite. On n’est pas anti-voitures, mais on veut plus d’itinéraires de délestage urbain. 70% de la voie publique est consacrée à la voiture, on veut faire en sorte qu’au moins 50% de l’espace public soit consacré aux piétons et aux cyclistes. On le fera quartier par quartier et on fera des économies en arrêtant les opérations prestigieuses. Par exemple, on prévoit de revendre le Grand Stade, le club pourrait éventuellement être intéressé pour être propriétaire de son outil de travail. On arrêtera cette politique de sur-communication de la ville de Bordeaux qui coûte très cher. On va commencer par un audit des finances, on est persuadés que sa simple lecture permettra de trouver des sources d’économies importantes. On n’augmentera pas les impôts mais on va reventiler un certain nombre de dépenses.

Rocade et métropole

@qui.fr – Que pensez-vous de la reprise à l’État de la rocade bordelaise ? Pour vous, est-ce souhaitable ?

P.H – Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, c’est une source de dépenses supplémentaires, surtout qu’on va hériter aussi de l’entretien. Tout ça parce qu’on a été incapables d’imposer à l’État une motion que l’on a voté il y a une dizaine d’année à la Cub à l’initiative des écologistes, qui demandait à ce qu’une voie de la rocade soit dédiée au co-voiturage pour limiter son engorgement. Encore faut-il que ce co-voiturage soit prioritaire. Je suis favorable à un péage sur la rocade pour tous les véhicules en transit. L’avantage, c’est que vous pouvez ventiler le coût du péage. Les camions qui font la traversée au moment où la rocade est le plus encombrée, ils paieront plein pot à l’inverse du prix des heures creuses. On peut gérer la rocade sans forcément en prendre la propriété, ça se discute avec l’État. Il faut aussi que le maire de Bordeaux ait un peu de poigne et de poids. Là, ils s’y mettent à deux, y compris sur les affiches, à telle enseigne qu’on se demande qui sera vraiment maire de Bordeaux. Soit il y en a un qui est sous tutelle, et si c’est le cas je sais lequel, soit ce sont deux demi-maires. Le pouvoir politique, s’il faut qu’il s’impose, je pense qu’il est mieux qu’il soit incarné par une personne. 

@qui.fr – Sans présumer de ce que sera demain le résultat des élections, vous qui avez toujours souhaité stopper la cogestion, comment voyez-vous la métropole, avec tous le poids qu’elle occupe, aux lendemains du 28 juin ?

P.H – Je la vois différente de l’espèce de tambouille politique co-gestionnaire qui préside à sa destinée depuis tant d’années et dans laquelle Nicolas Florian a été l’un des zélés protagonistes. Je pense qu’on ne peut plus gouverner la métropole comme un conglomérat de 28 communes. Si on veut qu’émerge l’idée de pouvoir métropolitain, il faut casser cette logique d’addition des intérêts municipaux, ce troc entre maires. Il faut réintroduire une vision de la métropole plutôt qu’un conservatisme d’additions. Je me bats déjà en étant minoritaire et en espérant que je ne le serai pas demain, pour qu’on ait une vision un peu plus moderne de la métropole. J’ai vu qu’en début de campagne, Thomas Cazenave disait qu’il était contre la cogestion, maintenant il dit même que les tâches seront réparties et qu’il défendra les intérêts de Bordeaux. C’est ça, la cogestion. Il a lui aussi mangé son chapeau, j’ai l’impression qu’il mettra moins d’ardeurs à vanter les mérites d’une nouvelle politique métropolitaine.

J’ai tendance à penser que ce changement peut aussi passer par une crise. Ce que je trouve aujourd’hui parfaitement anormal, c’est que le pouvoir et les financements sont à la métropole mais pas la démocratie. Il faut que tous les élus métropolitains se battent pour exiger de l’État une réforme instituant les élections au suffrage universel. Les maires n’en veulent pas vraiment parce qu’ils verraient la métropole comme une concurrence directe de leur pouvoir municipal. C’est là où est le pouvoir, là où est l’argent que doit être la démocratie. Florian et Cazenave se sont convertis à l’idée la semaine dernière. Le nombre d’interventions que j’ai fait à la métropole et où je me suis fait voler dans les plumes en disant que je niais le fait municipal… Ils sont modernes vingt ans après les autres, j’aimerais qu’ils aient un peu un temps d’avance.

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