Le Grand Entretien – Alain Juppé : ou comment imaginer la métropole de demain?


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Temps de lecture 20 min

Publication PUBLIÉ LE 09/04/2018 PAR Joël Aubert et Romain Béteille

@qui.fr –  En évoquant Bordeaux 2050 ne pensez-vous pas que l’on doit déjà réfléchir à un aménagement du territoire qui déborde du strict périmètre de la métropole actuelle, de ses 28 communes, et que l’on retrouve quelque part cette notion de métropole d’équilibre qui prévalait dans les années 70, aux premiers temps de la Datar?

Alain Juppé – Je serais tenté de dire que le succès des métropoles est un succès pour la France entière. Nous venons d’une situation où le grand souci de l’époque était le « désert français ». On a développé cette politique des métropoles d’équilibres pour essayer de faire en sorte qu’en dehors de Paris, il y ait aussi des pôles de développement important, ça a réussi et ça a incontestablement contribué à un rééquilibrage du territoire et peut-être à un retour de la France dans le droit commun européen. La question qui se pose maintenant est de savoir si ces métropoles sont en train d’asphyxier les territoires dits périphériques ou la ruralité, c’est le grand souci qu’on entend monter aujourd’hui. Il ne faut pas nier les difficultés : il y a, c’est vrai, des territoires sinon en déshérence, du moins en déclin, des villes moyennes en difficulté et il ne faut pas sous-estimer ce désarroi. On le voit s’exprimer, à nouveau, avec les fermetures d’écoles, les déserts médicaux, etc. Est-ce que ça veut dire qu’il faut donner un coup de frein au développement des métropoles ou redistribuer les cartes entre les métropoles et la ruralité ? Je pense qu’aborder le problème en termes d’oppositions, de conflits, de choix des uns contre les autres, est absurde et qu’il faut plutôt jouer à fond la carte de la complémentarité. Et des partenariats entre les métropoles, qui sont des locomotives, et le reste qui doit rester accroché. Si on prend l’exemple de la Gironde, il est flagrant que l’attractivité de Bordeaux profite à l’ensemble des territoires. La croissance démographique, hors métropole, est plus forte que celle de l’intra-métropole. Même chose en ce qui concerne les implantations d’entreprises : lors de la dernière assemblée générale d’Invest in Bordeaux, on a cité des chiffres d’entreprises qui s’installent en dehors des 28 communes .

Cet effet d’entraînement existe, il faut le cultiver, l’accompagner et le développer; c’est la raison pour laquelle j’ai engagé cette politique d’accords partenariaux. Parfois, ça répond très bien. La CALI a très bien réagi, aujourd’hui on travaille sur différents sujets, notamment la mobilité. L’une de mes idées, ce serait de concrétiser les projets de cars express avec Libourne. On a demandé au syndicat mixte des transports de la région de développer ces formules, parce que la métropole est congestionnée et que les tramways n’iront pas partout. On a vu dans d’autres métropoles comme à Grenoble, ou même à Paris, se développer ces formules sur de grands axes de circulation; là ce serait l’A89 par hypothèse. Ça pourrait être une des premières concrétisations de cars express. Marmande s’est signalée, c’est d’ailleurs eux qui ont pris l’initiative. On est même sortis du périmètre Gironde en allant jusqu’à Angoulême où on a développé, par exemple, une opération extrêmement significative de ce qu’on peut faire. Récemment, j’ai lancé avec l’Établissement Public Foncier régional, dont nous sommes désormais membres, et Bordeaux Euratlantique une opération très originale qui consiste à proposer à des promoteurs une opération conjointe sur un terrain à Angoulême et sur un terrain à Bordeaux Euratlantique. On a lancé un appel à manifestation d’intérêt en signalant au promoteur que sa proposition devait se faire sur les deux sites à la fois, pour faire profiter cette commune de l’attractivité bordelaise. Enfin, j’aimerais aussi faire quelque chose avec le Bassin d’Arcachon, étant donné qu’on est presque dans une continuité urbaine. C’est un peu compliqué, en raison d’un patriotisme local très fort, mais je ne désespère pas d’y faire quelque chose, sur le plan touristique cela va de soi. Aujourd’hui, quand on propose un produit touristique, il est évident que dans un offre de « Trois jours à Bordeaux », le Bassin à sa place. Il faut aussi qu’on essaie de resserrer les liens dans ce domaine là. 

@qui.fr – Dans une perspective plus lointaine, la réflexion autour du visage de Bordeaux et de sa métropole en 2050 a démarré depuis la fin du mois de février, faisant directement écho au troisième projet urbain « Bordeaux 2030 » lancé en 2013 dont le Nouveau Stade, la Cité du Vin ou encore le Pont Simone Veil figuraient parmi les objectifs. Cette nouvelle phase de réflexion s’articule autour d’un site internet, de douze questionnaires (« diffusés auxreprésentants de la vie économique, sociale et universitaire de l’agglomération »), d’un « camion du futur » et, dans un deuxième temps, de débats et tables rondes. Pendant que la gauche « cogite » à Bordeaux, ce raout politique à ambition 2050 s’est défendu de toute ambition de construire un programme électoral. Qu’en est-il vraiment ? Quels sont ses objectifs concrets ?

A.J – D’abord, pourquoi 2050 ? Ça peut paraître trop audacieux, même un peu irréaliste. Dans un monde où tout change presque jour après jour, prétendre imaginer celui de 2050 est un peu aventureux. Il ne s’agit pas de bâtir un projet tout ficelé mais plutôt d’ouvrir des pistes, de tracer des scénarios sur un certain nombre de sujets tout en laissant les choses ouvertes et en étant bien convaincu que ça se modifiera année après année. Il n’est pas interdit d’anticiper, de voir comment on pourrait réorienter les politiques actuelles en fonction de ce que l’on peut envisager pour l’avenir. Cela dit, ça n’a de sens que si on arrive à intéresser les populations. Je ne veux pas faire une énième conférence de grands spécialistes, même si on en fera car c’est intéressant d’avoir les points de vues extérieurs de gens qui ont réfléchi à l’évolution du phénomène urbain. Je voudrais surtout que ce soit les habitants de la métropole qui s’expriment en disant ce qu’ils sentent, ce qu’ils attendent, où ils aimeraient vivre. D’où ce camion, ce site internet, la mobilisation des maires. Il y a eu un comité de pilotage qui s’est tenu la semaine dernière sur ce sujet, la réaction des maires est plutôt positive donc on va lancer les débats dans les mairies et essayer de faire réagir les habitants en les questionnant. On voit déjà, dans ce qui s’est passé, que l’une des préoccupations majeures, c’est la nature; comment est-ce qu’on aura une ville dans laquelle la végétation sera présente et comment on évitera une minéralisation excessive?… Concernant les grands thèmes de réflexion que l’on a suggérés, l’un d’entre eux est très connecté à l’actualité, c’est la mobilité : comment on va se déplacer demain?… Je recevais, ce matin, une contribution de quelqu’un qui me disait qu’on ne ferait pas l’économie d’un métro… Quel sera le développement des véhicules autonomes ? Est-ce qu’on aura des petites flottes de véhicules, peut-être plus électriques et autonomes qui se déplaceront un peu partout dans les flux de circulation ? Est-ce qu’on va imaginer des taxis volants, quelle sera la part des déplacements doux ? À Paris, je vois souvent de jeunes cadres qui se déplacent en trottinettes électriques. On est déjà, en termes de logistique urbaine, en train de travailler avec La Poste pour développer cette plateforme logistique, inaugurée il y a quelques jours, où l’on fait du dégroupé : les gros camions s’arrêtent à la périphérie de la ville et on envoie des petits véhicules électriques pour desservir les commerçants où, dans des formules beaucoup plus légères comme ce qu’on a fait rue Fondaudège en temps de travaux, à savoir un centre de dégroupage d’où on va livrer les commerçants à bicyclette. Comment le commerce va-t-il évoluer, comment se dérouleront les livraisons ? On fait du drive à pieds, c’est une nouvelle mode. Qu’est ce que ça veut dire un vrai RER métropolitain ? 

Le deuxième grand sujet, c’est l’habitat : dans quel type de logement va-t-on habiter demain ? Quelles seront les performances énergétiques de ces bâtiments, sera-t-on totalement autonomes en matière énergétique, produira-t-on plus d’électricité que ce dont on a besoin ? Quelle part sera donnée au logement évolutif, au participatif ? On voit déjà se développer un système où l’on associe le futur acquéreur à la définition du logement qu’il veut acheter avant même que le processus de construction ne soit mis en place, et de grosses boîtes comme Nexity sont en train de s’y intéresser. Quelle part occupera la végétalisation ? Je suis fasciné par ce que j’ai vu à Milan : cet immeuble jardin avec des terrasses plantées, des grands arbres… sauf qu’au mètre carré, ça ne doit pas être du logement social.

Gérer l’attractivité et maintenir la qualité de la vie

@qui.fr – Que donnent les premiers échos des débuts de cette concertation ? A-t-on déjà pu cibler des attentes fortes de la part des habitants ? Ne craignent-ils pas que la métropole ne grandisse trop vite, trop fort ?

A.J – Je sens dans la population bordelaise, via une « concertation sur le terrain », une grande satisfaction sur la transformation de la ville. C’est vrai autant à l’extérieur de Bordeaux que pour ses habitants. En même temps, il y a une inquiétude qui prend divers aspects. D’abord, jusqu’où faut-il aller dans la croissance de la ville ? Est ce qu’il ne faut pas freiner ? Quand on a parlé d’une ville millionnaire, ça a un peu effrayé. On a aussi entendu des voix se demandant si la densité des constructions n’était pas excessive. Je pense que freiner, ça n’a pas de sens, à partir du moment où l’on est attractif, il faut en assumer la responsabilité. Il faut arriver à gérer cette attractivité tout en maintenant la qualité de vie, c’est ça le grand défi. Dans tous les sondages, le facteur numéro un de l’attractivité de Bordeaux, c’est la qualité de vie, le défi est de la maintenir avec la croissance urbaine. Pour cela, il faut créer de vrais quartiers de ville et pas simplement des cités dortoirs juxtaposées. Je pense que c’est possible, je fonde beaucoup d’espoir sur les Bassins à Flots parce que je pense qu’il s’agit d’une belle opération qui, même si elle n’est pas terminée, va devenir un important pôle de vie. 

Il y a, enfin, en formidable besoin de végétalisation, de plantations d’arbres, de pelouses… Le reproche qu’on nous fait parfois sur notre urbanisme trop minéral n’est, je pense, pas justifié. L’aménagement des quais, aussi bien côté rive gauche que rive droite, est fortement végétalisé. Le Parc aux Angéliques atteindra sûrement trente à quarante hectares lorsqu’il sera achevé. Sur la rive gauche, on a planté des milliers d’arbres. C’est vrai que la Place de la Bourse n’est pas arborée… la place Vendôme à Paris n’est pas arborée… J’ai été voir l’autre jour la Cité Frugès, à Pessac, dans laquelle l’un des principes établis était les toits terrasses. Pour faire accepter ça à nos architectes aujourd’hui, j’ai du mal, mais il faut aussi aller dans ce sens. 

Dans tous les cas, on arrêtera pas la croissance urbaine. Aujourd’hui, les jeunes start-upeurs ont un fort attrait pour l’installation en centre-ville. Le mythe de la maison avec jardins et piscines est un peu en train de changer auprès de certaines populations qui apprécient les services, les lieux culturels.  

@qui.fr – Concernant l’habitat, conjuguons au présent. La métropole a récemment mis en place une « charte du bien construire », avec notamment à la clef pour les bailleurs qui joueront le jeu un label, au moment où les grandes opérations d’aménagement sortent déjà de terre à Bordeaux. Comment cette charte, sans avoir de valeur juridique ni être rétroactive, pourra-t-elle s’imposer dans les opérations futures ?

A.J – Il y a des choses qui n’ont pas bien fonctionné, je m’en suis encore rendu compte samedi dernier à Ginko. Dans certains de ces nouveaux quartiers, les promoteurs n’ont pas bien fait le boulot. Je prends l’exemple d’un superbe appartement à Ginko donnant sur le Lac, le locataire est très content d’habiter là sauf que les huisseries ont été faites en dépit du bon sens et qu’il y a beaucoup de malfaçons. D’où la démarche qu’on a entreprise avec les promoteurs en leur demandant de prendre des engagements pour faire à la fois de la quantité et de la qualité, pour ne pas la sacrifier. Cette charte vise, premièrement, à faire appel à l’architecte tout au long du processus de construction jusqu’à la livraison et, deuxièmement, à faire un bilan de la construction périodiquement, une fois que c’est terminé. On délivre un label et si on se rend compte qu’au bout d’un certain temps il y a trop de malfaçons, on retire le label, ils ont accepté de s’engager dans ce processus. Il est plus que symbolique : si je suis promoteur, que je ne respecte pas mes engagements et que l’on me retire le label, ça a un impact plus qu’une sanction financière. Si on retire le label, on le dira, ça a une force de frappe importante. On peut la comparer à la pression exercée sur les règles environnementales : ce n’est pas toujours des sanctions juridiques ou pénales, c’est très souvent des sanctions de réputation. Si le système fonctionne bien, il peut être très pénalisant pour ceux qui ne joueront pas le jeu. 

@qui.fr – La loi Élan a récemment été déposée sur la table du Conseil des Ministres, et les bailleurs sociaux n’ont pas manqué d’exprimer leurs vives inquiétudes concernant, notamment, la réforme des HLM qui, conjugués aux effets des mesures de la loi de finance, pourraient selon eux revoir à la baisse leur capacité d’investissement pour construire de nouveaux logements sociaux. La métropole bordelaise est inégale sur la question : certaines communes sont bien au dessus de la moyenne, quand d’autres comme Bordeaux restent toujours un peu à la traîne. Comment envisagez-vous ces nouvelles perspectives ? Partagez-vous les craintes des bailleurs sociaux ?

A.J – Je pense d’abord que la règle des 25% sur les logements sociaux est absurde, c’est une très mauvaise règle. Dans une ville historique comme Bordeaux on n’y arrivera jamais, il faut dire les choses comme elles sont. On se fixe des objectifs ambitieux, on fait des efforts considérables, d’ailleurs on ne paye pas de pénalité parce que l’on fait ces efforts là et que l’on y met beaucoup d’argent. À côté de la construction de logements sociaux, vous avez aussi les constructions lourdes qui se font, et heureusement, donc le pourcentage ne varie pas. Surtout, nous avons à Bordeaux toute une population qui est dans du logement social de fait, c’est à dire qui a les mêmes caractéristiques, même un peu moins bonnes en termes de confort, et qui payent des loyers qui sont à peu près du même niveau que ceux du logement social. Or on n’en tient pas compte dans les statistiques officielles parce qu’ils n’ont aucun statut. Il faudrait apprécier ce pourcentage en termes d’agglomérations et non pas en termes de communes séparées. 

Je partage l’inquiétude des bailleurs sociaux. La baisse des loyers qu’on leur impose pour compenser la baisse de l’APL va réduire leur capacité d’auto-financements, ils nous disent donc qu’ils vont avoir du mal et qu’ils ne peuvent pas s’endetter indéfiniment, qu’il doit aussi y avoir une part d’auto-financement. C’est une crainte que je peux comprendre. La réponse de la loi ELAN, c’est de dire aux bailleurs : vendez des logements, ça vous permettra de reconstituer votre capacité d’auto-financement et avec le produit de ces ventes, vous pourrez continuer à investir, ce qu’il faut évidemment continuer à faire. Dans tous nos programmes, la règle que l’on respecte, c’est 35% de logement locatif social, on y est globalement et en moyenne. La vente est elle une solution ? J’y suis favorable : pour quelqu’un qui vit dans un logement social depuis 20 ans et qui peut acheter, l’accession à la propriété est aussi une sécurité. Il faut encourager cette vente à deux conditions : il faut faire attention à ne pas constituer des copropriétés qui pourraient se dégrader parce que les copropriétaires n’auraient pas les moyens de l’entretenir. C’est la raison pour laquelle on souhaite que dans ces opérations, les bailleurs sociaux restent propriétaires d’une grande partie des logements, pour être responsables eux-mêmes de la copropriété. La deuxième condition, c’est que ces logements ne soient pas sortis du quota des 25%, parce qu’à ce moment là les communes risquent de s’opposer à la vente. J’ai cru comprendre dans les dernières déclarations de la Ministre qu’on allait porter le délai pendant lequel un logement social vendu par un bailleur social restait dans le quota des 25% de cinq à dix ans. Voilà quelque chose qui pourra faciliter cette vente de logements sociaux et donc le réinvestissement dans des logements nouveaux. 

« Logement d’abord » (une opération dont Bordeaux Métropole et la département de la Gironde ont récemment été lauréates) se concentre en premier lieu sur l’affectation des logements, c’est une autre préoccupation que nous avons. Dans la loi ELAN, on donne au préfet la possibilité, dans le cadre de la loi Dallot en particulier, d’attribuer les logements sans toujours tenir compte de ce qu’on essaie de faire depuis des années, à savoir équilibrer les peuplements et ne pas mettre toutes les populations les plus fragiles et les plus difficiles aux mêmes endroits. On a un peu la crainte que si on laisse faire les préfets, il y ait une concentration.

Casser la surenchère des promoteurs

@qui.fr – Le deuxième contre-effet de l’attractivité de l’agglomération, c’est la question de la densification de la métropole et des communes alentours, qui ne sont pas sans poser quelques défis pour des communes moins riches que Mérignac ou Pessac, par exemple. Il s’est dernièrement dessinée une crainte chez certains élus et une volonté de freiner cette expansion galopante ayant pour conséquence une escalade sur les prix du foncier. L’adhésion de la métropole à l’Établissement Public Foncier régional a-t-elle des chances de réguler plus efficacement cet aménagement du territoire ?

A.J – Des communes comme Gradignan ou Saint-Aubin-du-Médoc ne sont pas non plus pauvres, elles ont aussi un programme d’attractivité et souhaitent maintenir une qualité de vie et la densification. Sur cette question, on est complètement schyzophrènes. Rappelons qu’on a établi un Scot (Schéma de cohérence territoriale) pour arrêter le phénomène de l’étalement urbain qui a frappé notre agglomération pendant trente ou quarante ans. Au début du 20ème siècle, Bordeaux et Mérignac comptaient 300 000 habitants. Au début des années 90, c’était à peine plus de 200 000. 100 000 habitants sont partis sur le reste de la métropole. Notre souhait commun a été d’inverser la tendance et de redensifier, à la fois le centre-ville et les villes centres. On voulait surtout redensifier pour préserver les 50% du territoire de la métropole en espaces naturels, ce qui est une force. On est forcément obligés de construire davantage dans les centre-villes. Après avoir approuvé ce Scot, les maires mettent le pied sur le frein parce que les riverains ne sont pas contents et que si la population dans les centre-villes augmentent, il faut faire des équipements. Il y a, notamment, un maire qui a déclaré qu’il ne donnerait plus de permis de construire parce qu’il n’avait plus d’argent pour faire des écoles. C’est la raison pour laquelle j’ai fait adopter la règle selon laquelle la métropole financera à 50% les groupes scolaires en se montrant solidaire des communes. On arrêtera pas cette densification mais on peut la maîtriser. 

L’établissement public foncier ne sera pas la solution miracle. Ce qu’on essaie de faire, et ça marche assez bien, c’est d’essayer de casser la surenchère des promoteurs, y compris des bailleurs sociaux, qui se précipitent sur des terrains en regardant le Plan Local d’Urbanisme et en se disant qu’ils peuvent aller jusqu’à telle constructibilité et achètent le terrain en fonction de celle-ci. On essaie d’inverser les choses en affirmant que la constructibilité du PLU est un maximum, reste à négocier avec la ville ce qui est acceptable. Mme Terraza nous expliquait qu’elle a fait ça a Bruges, où elle réalise des fiches de lots terrain par terrain, le prix d’acquisition se fait en fonction. On va essayer de généraliser ça, on le fait aussi sur Bordeaux Euratlantique où, désormais, les appels d’offre sur les projets de construction sont faits avec une charge foncière fixée, la compétition entre promoteurs ne peut donc plus jouer sur cette surenchère. 

@qui.fr – La question de la mobilité n’a pas attendu les débats de Bordeaux Métropole 2050 pour être au centre des débats. Au moment où les projets de trams et de BHNS se multiplient pour tenter de faire face à cette saturation et où la métropole s’apprête à voter un « plan d’urgence transports », vos principaux opposants (Vincent Feltesse le premier) critiquent un réseau qui s’étale toujours plus. La circularité de la métropole s’impose-t-elle comme une des réflexions importante dans les futures politiques à mener ?

A.J – Dans le schéma des déplacements métropolitains que nous avons adopté en 2016, on trouve notamment deux projets qui vont dans ce sens. Le premier, c’est la réactivation du chemin de fer de ceinture, avec l’absolue nécessité d’à la fois réaménager les gares (La Médoquine, dossier porté avec la Région qu’on a beaucoup de mal à faire avancer et celle du Bouscat). Il faudra nécessairement travailler à l’amélioration des dessertes sur ces lignes. Je prends l’exemple de la liaison entre l’aéroport et la gare. Il y a deux façons : où on va aux Quinconces, puis à la Gare, ou on fait le tour par le chemin de fer de ceinture. Sauf que si vous ratez le premier train et qu’il faut attendre trente minutes pour avoir le second, vous ne reprendrez pas le train pour aller de la gare à l’aéroport. C’est cette question du cadencement que l’on va essayer de travailler dans le syndicat mixte des transports qui est en train de se constituer pour essayer d’aller vers un véritable RER métropolitain. 

Le deuxième projet, c’est celui du BHNS circulaire allant de l’Aéroparc jusqu’à Pessac-Bersol qu’on est en train d’aménager. On va commencer par des portions en site propre, mais c’est quelque chose qui sera opérationnel dans les deux ou trois ans qui viennent et qui correspond tout à fait à cette volonté de circularité. Autre ligne aussi circulaire, c’est la liaison entre Bassens et le campus, qui est très importante puisqu’elle va irriguer toute la plaine de la rive droite et se retrouver sur le pont Simone Veil. 

Plus globalement, la question qui se pose aujourd’hui et qui a été soulevée par certains, c’est de savoir s’il faut continuer à faire des tramways partout où est ce qu’on peut se contenter de faire des BHNS ? L’avantage du bus, c’est qu’il est beaucoup moins coûteux, pas de rails, pas de déviations des réseaux, ect. Les inconvénients cependant sont doubles : dans un bus, on met beaucoup moins de monde que dans une rame de tramway et malgré la pression que je mets sur mes services, on n’est pas encore à l’électrification des réseaux de bus. Le BHNS Arena-Saint-Aubin, dans un premier temps, sera sans doute avec des bus au gaz de ville, on convertira dans un second temps. On a décidé d’aller jusqu’à Saint-Médard-en-Jalles par le tramway, la grande question qui est désormais devant nous, c’est la liaison Gradignan-Talence-Pellegrin-Boulevards-Pont Chaban-Cenon, c’est le grand projet dont certains considèrent qu’il peut être aussi structurant et aussi transformateur de la ville que l’aménagement des quais. On est en train d’y travailler, on verra si l’on est en mesure de lancer la concertation sur ce sujet. Ça pose beaucoup de problèmes : c’est plus de 400 millions d’euros d’investissements, ce qui est considérable; ça conditionne aussi le passage sur les boulevards et la question de l’embolisation complète de la circulation automobile. Ça pose, enfin, la question de l’aménagement des boulevards : je ne veux pas abattre les arbres et supprimer des places de stationnement… En tout cas c’est le grand sujet dont on va discuter dans les deux ou trois ans qui viennent, mais la réalisation sera sur dix ans, si ça se fait. Le débat va s’ouvrir, on est en train de terminer des études approfondies en termes de circulation, d’aménagement ou de bilan socio-économique.

@qui.fr – Ce vaste projet du réaménagement des boulevards s’oppose aussi, de manière indirecte, au défi des restrictions financières fixées par les futurs contrats passés entre l’État et les collectivités. Si la ville de Bordeaux a récemment été épinglée par la Chambre Régionale des Comptes, le dernier débat sur les orientations budgétaires de la métropole montrait aussi de nombreuses incertitudes quant-à sa capacité à s’autofinancer à une échéance plus ou moins proche (sans compter le fait que la mutualisation ne montrait que des effets timides). Les mesures fixées avec la préfecture peuvent-elles mettre en péril ce type de projets ? La métropole aura-t-elle encore longtemps la capacité d’assurer une autosuffisance financière ?

A.J – Cette démarche qui consiste à dire aux collectivités territoriales « on arrête de vous couper les vivres comme ça a été le cas entre 2014 et 2017 mais en contrepartie vous vous engager à maîtriser vos dépenses de fonctionnement », c’est exactement ce que j’avais écrit dans mon programme présidentiel, je ne vais donc pas la critiquer. C’est une démarche contractuelle qui est moins brutale que celle adaptée par le gouvernement précédent. On s’est mis d’accord avec l »État et on a donné notre accord au préfet pour une croissance de nos dépenses de fonctionnement, aussi bien à la ville qu’à la métropole, limitée à 1,35%. C’est un effort qu’il faut faire. Il faut jouer le jeu, à deux remarques près. D’abord, il faut que l’État arrête de nous transférer des dépenses supplémentaires non-compensées, même si la tentation existe en permanence sur des tas de sujets. Enfin, il faut aussi que l’État fasse des efforts d’économie. Si on passe à moins de 3% de déficit public cette année ou l’année prochaine, c’est dû au collectivités locales et à la bonne situation économique qui fait que le déficit de la sécurité sociale et celui de l’Unedic baisse. En revanche, les dépenses de l’État ne baissent pas. Si nous restons dans les clous de 1,2% ou 1,3%, ce qui est possible à condition de ne pas s’engager dans des dépenses nouvelles dans des secteurs qui ne sont pas des secteurs de responsabilités évidentes de la métropole (je pense notamment à tout ce qui est sportif ou culturel), nous avons la capacité de financer un budget d’investissement ambitieux parce que nous sommes très peu endettés. La métropole a une capacité de désendettement très faible et une marge importante. Le PPI (programme prévisionnel des investissements) que nous avons bâti tient la route dans les hypothèses budgétaires telles que nous les avons faites en fonction de ce que le gouvernement a décidé. 

@qui.fr – Puisque l’heure est au débat sur le futur de l’agglomération, en tant que maire de Bordeaux et président de la métropole, comment l’imaginez vous en 2050 ? Sera-t-elle toujours constituée de 28 communes où est-elle vouée à élargir son périmètre de base ?

A.J – C’est vrai que les choses évoluent, l’aire urbaine déborde des limites de la métropole, un jour où l’autre il faudra bien se poser la question de son périmètre. Il faudra aussi se poser la question des relations avec le département, est-ce que ça a encore du sens que sur un territoire métropolitain, ce dernier ait les compétences qu’il a aujourd’hui. Peut-être même cela se fera-t-il avant 2050. Et que le gouvernement décidera de prendre des initiatives. Ce sur quoi je voudrais réfléchir à l’échéance de 2050, hormis l’aspect institutionnel dont je ne suis pas sûr qu’il passionne les foules, c’est le visage de cette ville. Je pense qu’elle sera plus grande qu’aujourd’hui, ce que je souhaiterais c’est qu’elle soit à énergie positive et à zéro carbone, qu’elle ait conquis son équilibre énergétique et que la métropole ait conservé une très large place à la nature, l’agriculture urbaine, les circuits courts, les immeubles végétalisés… Je rêve un peu d’une ville verte. 

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