La Gironde veut son propre plan santé


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 31/05/2018 PAR Romain Béteille

Guerre des territoires

La feuille de route santé pour les personnes âgées a été présentée ce mercredi 30 mai par la ministre Agnès Buzyn, permettant d’évoquer les premières pistes du nouveau gouvernement en faveur des EHPAD, dont les personnels soignants ont connu un long épisode de grève et de constestation ces derniers mois. Si on ne peut pas vraiment dire que les mesures annoncées ont été accueillies avec un enthousiasme démesuré, c’est aussi le cas pour la déclinaison locale de la politique de santé. Ce jeudi 31 mai, les élus du département de la Gironde ont voté un avis défavorable au nouveau projet régional de santé, document rédigé par l’ARS (Agence Régionale de Santé) après des mois de concertations et censé fixer le cap pour les cinq années à venir.

Si le département avait émis des réserves sur le plan précédent, c’est cette fois des désaccords autant sur la forme que sur le fond qui l’ont poussé à ne pas approuver le prochain. D’abord, il faut bien le dire, pour une petite guerre de clochers. « Ces derniers mois, l’ARS a élaboré ce projet régional de santé. Elle a légalement consulté le département à l’issue de l’élaboration de ce PRS pour lui demander son avis. Je ne peux rien lui reprocher sur le respect règlementaire. Par contre, ce qui nous a fortement interrogé, c’est que nous n’ayons pas été associés en amont à la création de ce PRS. Même si ce n’était pas une obligation légale, il me semble que nous avions de quoi dire sur l’organisation de la santé dans ce département. Dans le document produit, le département n’est quasiment pas cité. Le PRS élude donc toute une partie d’actions autour de la santé que nous portons », a souligné le président du conseil départemental Jean-Luc Gleyze en prélude à la séance plénière.

Un constat flou

Sur la forme, les élus reprochent à ce projet un flou artistique un peu trop prononcé. « Les grands principes définis par le PRS ne posent pas de problèmes en soi : ils sont tellement généralistes qu’on ne peut qu’être d’accord. On nous parle de promouvoir un accès équitable à la santé sur les territoires, renforcer la coordination des acteurs, améliorer les parcours de santé… Mais au delà de ces grands principes, plein de questions se posent : quelles actions concrètes d’ici 2023 ? Quel calendrier, quelles évaluations, quels moyens, qui fait quoi, quels outils sont mobilisés ? Il définit l’organisation sanitaire et hospitalière dans le département, ce qui veut dire que d’ici 2023, il peut y avoir des changements d’organisation dans les centres hospitaliers de Libourne, de Langon ou de Lesparre, on peut imaginer des mutualisations, des services transférés… C’est une pleine légitimité de l’ARS, mais je n’ai pas non plus envie que nous soyons associés à des décisions que prendra l’ARS qui iraient à l’encontre de ce que nous souhaitons ». La majorité socialiste girondine n’est pas la seule à s’opposer à ce document référence déployé par l’ARS dans chaque région : ces dernières semaines, les Pyrénées-Orientales ou la Bourgogne-Franche Compté (pour ne citer que ces deux là) ont globalement assez froidement accueilli ce plan régional auquel le grand public aura accès en juin.

Sur le fond, pas mal de mesures manquent à l’appel selon le département. Par exemple, « il n’y a pas de places nouvelles prévues pour les cinq années à venir, en EHPAD, en CECAD ou en IME alors que nous avons 20 000 habitants de plus par an et que forcément la demande croit systématiquement. Il va falloir que l’ARS assume ses responsabilités dans ce cadre là ». Dans sa propre synthèse régionale (septembre 2017), l’ARS précise en effet qu’à « l’horizon 2040, la Nouvelle-Aquitaine gagnerait près de 700 000 habitants, 320 000 dans les dix prochaines années d’ici à 2027. Sur cette même période, les départements littoraux et la Vienne connaîtraient une croissance nettement au-dessus du taux national, mais les départements intérieurs verraient leur population croître peu, voire stagner (Creuse et Corrèze) ». Elle poursuit : « la population de la Nouvelle-Aquitaine est âgée et devrait continuer à vieillir. Plus de 11 % des habitants ont 75 ans ou plus (9 % en métropole). Cette proportion devrait atteindre 17 % en 2040 ».

Chemin de traverse 

En plus de cet avis défavorable, le département de la Gironde s’est prononcé en faveur d’un… plan départemental de santé, qui pourrait voir le jour au mois de décembre prochain, lors du vote du futur budget. Le tout, a précisé le département, se fera avec le soutien de l’ARS et d’autres acteurs… mais sous son égide, ce dernier estimant que ses propres politiques en matière de santé et de solidarité ne pouvaient pas être éludées. « Lorsque l’on traite de désertification médicale dans le département, le conseil départemental accompagne la création de maisons de santé pluridisciplinaires. Lorsqu’il s’agit d’accompagner les femmes enceintes et la petite enfance, c’est le département. Pareil pour l’éducation à la sexualité, la santé des mineurs placés sous protection de l’enfance, la prévention et l’accès aux soins pour la jeunesse, la lutte contre le mal logement et les problèmes de santé liés à l’insalubrité, le sport en guise de prévention à la santé ou l’accompagnement à l’autonomie pour les personnes âgées », continue Jean-Luc Gleyze. « J’ai confirmé au directeur régional de l’ARS notre volonté de constituer avec elle un plan départemental de santé qui reprendra les thématiques que j’ai déjà évoquées mais se concentrera aussi sur la question des EHPAD, très en crise notamment sur la partie du personnel soignant; les adolescents en situation de handicap, le manque de prise en charge d’adultes en situation de handicap lorsqu’ils ne peuvent pas basculer en établissement faute de places et sont maintenus à domicile contraints et forcés… ». 

Sur cette même question, l’élu accueille avec la même réserve les annonces faites par Agnès Buzyn au niveau national, notamment celle des 100 millions d’euros supplémentaires déployés pour la rénovation des EHPAD. « Ça fait un million d’euros par département. Ça n’est ni crédible ni à la mesure du besoin. La réponse sur les personnels soignants n’est apportée qu’en partie. Nous avons proposé, y compris par écrit auprès de la ministre, de créer une porosité entre les EHPAD et le reste de la société, parce qu’ils ont aujourd’hui tendance à fonctionner sur un modèle fermé où il y a tant de personnes pour s’occuper de tant de résidents. Ce que l’on sait, c’est que les personnel soignants n’y arrivent pas et, souvent au delà du soin pur et dur, doivent assurer des fonctions qui ne sont pas les leur et qui relèvent plutôt de l’aide à la personne. Ce que nous revendiquons, c’est une porosité avec, peut-être, des services à la personne qui pourraient entrer dans l’établissement, assurer ces tâches en laissant les personnels soignants se concentrer sur la question sanitaire. Nous avons demandé à pouvoir être un département expérimental sur ce sujet ».

Pour l’instant, le plan départemental n’est fait que de quelques pistes qui devraient être amenées à évoluer dans les mois à venir : MDPH, schéma autonomie, lutte contre la précarité énergétique… autant de dossiers qui, même si la santé n’est pas à proprement parler dans le portefeuille de ses compétences, fondent le département à vouloir prendre davantage part aux actions régionales… Et pas question de créer un téléscopage entre l’institution et l’ARS. « L’intêret d’une construction partagée sera peut-être aussi de faire de nouvelles propositions. Nous avons déjà au moins un inventaire à faire et à les coordonner. Par exemple, l’ARS veut développer des « plateformes territoriales d’appui ». Ca existe, mais ça s’appelle des CLIC, que nous finançons déjà. Est ce qu’on fait deux fois la même chose où est ce qu’on considère que ce qui existe, même si ça peut être amélioré, suffit à fonctionner ? C’est ce type de question qu’il va falloir traiter ». Volonté de décentralisation ? Bataille de territoires ? Chacun jugera, d’autant que la Région elle même a sa propre « feuille de route santé ». En attendant la fin de l’année pour voir des propositions plus concrètes sur cette déclinaison départementale, on peut être certain que le sujet ne devrait pas quitter les dossiers locaux comme gouvernementaux, d’autant que la ministre n’a pas vraiment tranché sur les manières concrètes de financer les politiques publiques pour le vieillissement, et que le débat reste ouvert, au moins jusqu’en début 2019, date à laquelle de nouvelles propositions devraient être faites. Le temps nécessaire, sans doute, pour accorder les violons de chacun. 

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