Revenu de base : bientôt testé ?


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 06/06/2018 PAR Romain Béteille

Au départ, c’était une promesse de campagne de Benoît Hamon, verbalisée sous la forme d’un « revenu universel d’existence ». Ce dernier n’étant plus dans l’équation, le revenu de base est revenu sur le devant de la scène ce mercredi 6 juin à l’occasion d’un colloque public consacré au sujet dans les locaux de Sciences Po, sur le campus de Pessac. Le département de la Gironde, initiateur du mouvement, s’était associé à la fin du mois de mars à douze autres départements socialistes (l’Ardèche, l’Ariège, l’Aude, la Dordogne, le Gers, la Haute-Garonne, l’Ille-et-Vilaine, les Landes, le Lot-et-Garonne, la Meurthe-et-Moselle, la Nièvre et la Seine-Saint-Denis) pour annoncer les résultats d’une consultation publique lancée sur internet censée mesurer les attentes face à une telle mesure sur un bassin d’environ huit millions d’habitants. Une étude/simulation publiée le même jour, commandée à l’Institut des Politiques Publiques, a révélé ses résultats aujourd’hui sous la forme de dix huit scénarios envisageables. Globalement, il procède à un diagnostic sur le système actuel avant d’embrayer sur les propositions faites par les départements concernés. L’étude décrit ainsi un « système de prestations sociales actuel caractérisé par une multitude de dispositifs nuisant à sa lisibilité », le décrit comme une « source de non-recours aux minima sociaux » et souligne une prévalence de la pauvreté plus forte chez les jeunes de 18 à 25 ans « alors que les dispositifs de soutien aux bas revenus les excluent largement ».

Le rapport propose également plusieurs modèles. D’un côté, un revenu de base simplifié remplaçant le RSA et la prime d’activité, garantissant un minimum de 461 euros mensuels à une personne seule sans ressources, ce montant étant dégressif en fonction des revenus d’activité à un rythme de 30% « pour s’annuler à 1536 euros nets ». Il serait, de plus, automatique, et le coût de cette automaticité chiffré à 2,9 milliards d’euros, un montant qui reste « incertain en raison des doutes subsistants sur le taux de non-recours effectif ». Si la simplification du système RSA et prime d’activité est estimé à 1,5 milliards d’euros, l’éligibilité à ce revenu de base coûterait 5,2 milliards d’euros annuels de dépenses supplémentaires s’il est débloqué à partir de 21 ans et 6,6 milliards si c’est à partir de 18 ans. Dans le premier cas, tout cumulé, l’éligibilité coûterait donc 9,6 milliards dans le premier cas et 16,2 milliards dans le deuxième cas. Enfin, le coût budgétaire de l’expérimentation souhaitée, à savoir son application à un échantillon donné de la population, coûterait entre 2,8 et 4,8 millions d’euros. Un second scénario incluerait aussi les aides aux logement, avec un minimum de 725 euros mensuel pour une personne seule locataire et de 530 euros pour un propriétaire. Dans ce cas là, le coût total si le revenu de base était débloqué à partir de 18 ans serait de 25,7 milliards d’euros annuels et son expérimentation coûterait 7,5 millions d’euros par an.

Ces modèles, qui s’appuient sur les données de l’administration fiscale et les enquêtes de l’INSEE, pourraient permettre de tester ces différents scénarios (leur nombre dépendant du fait qu’on intègre ou non les APL et qu’on débloque l’aide à 18 ou 21 ans) sur un échantillon de 20 000 personnes pendant environ deux ans. Avec, tout de même, une nuance. Comme l’explique Timothée Duverger, professeur associé à Sciences Po bordeaux et spécialiste de l’ESS (économie sociale et solidaire) et du revenu universel, ces 20 000 personnes seraient en fait un échantillon représentatif de la population française mais seuls 10% pourront probablement avoir accès au dispositif du revenu de base. Dans le cadre de cette expérimentation, un autre « groupe contrôle » sera mis en place, il sera composé d’un échantillon de 20 000 autres personnes avec les même caractéristiques mais qui ne toucheront pas le revenu universel et resteront avec le système actuel ». Derrière cette volonté d’échantillonnage similaire à des tests cliniques, trois règles sont censées définir les modalités précises de l’application d’un éventuel revenu de base. L’inconditionnalité (60.59% des répondants au questionnaire en ligne sont pour), la dégressivité en fonction du niveau de ressources et l’ouverture aux jeunes (88.27% préconisent l’intégration des 18-24 ans). « La mesure serait automatique pour résorber le non-recours. Ça permettrait de toucher tous ceux qui ne touchent pas l’allocation mais y ont droit, soit environ un tiers d’allocataires en plus, ce qui n’est pas neutre. La question qui reste à évaluer, c’est celle de l’arbitrage entre ce qui est de l’ordre de l’ambition de la lutte contre la pauvreté, le niveau d’incitation au travail et l’équation financière. En gros, on reverserait les montants déjà prévus pour le RSA, la prime d’activité et les APL, s’ils sont intégrés, via un système de conventionnement entre les institutions, et on financerait le surplus via un fonds d’expérimentation national », explique Timothée Duverger.

Pour Antoine Bozio, directeur de l’IPP, la durée minimale de l’expérimentation proposée serait nécessaire pour tester l’efficacité du système. « Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut mesurer que dans une certaine durée. Au début de l’expérimentation, on fera certainement face à des gens dans des situations de pauvreté, mais ces situations évoluent dans le temps et on peut tomber en situation de précarité alors qu’on ne l’était pas au départ. À ce moment là que la façon dont le revenu de base pourra compenser ces pertes de revenu aura des impacts très importants à plus long terme, on a donc besoin de suffisamment de temps pour voir ces périodes de chutes de la pauvreté et voir comment le revenu de base permet d’en limiter les effets ». Les simulations réalisées par l’institut, elles, « ne sont pas basées sur une individualisation du revenu de base. La raison principale de ce choix, c’est qu’en vue d’une expérimentation, cette dernière n’aura de sens que si on peut à la fois modifier le système fiscal et le rang d’individualité. Il serait incohérent d’avoir une approche individualiste de la partie prestations sociales du revenu de base tout en gardant le caractère familial de l’impôt sur le revenu. Le choix a donc été fait de proposer leur transformation dans un principe de revenu de base, soit l’automaticité et le caractère inconditionnel d’un certain nombre de démarches », continue Antoine Bozio. « Parmi les répondants, il y a une très grande majorité qui pense que le caractère inconditionnel du revenu de base par rapport à la démarche est une partie importante du rôle que l’on souhaite lui faire jouer. Pour caricaturer, il y a deux approches différentes. Si vous donnez une prestation sociale conditionnelle à des démarches, vous aurez peut-être un impact plus fort sur le retour à l’emploi, mais à l’inverse ce même type de conditionnalité induit des non-recours, des découragements et des personnes qui, du coup, restent dans des situations de précarité. Le caractère inconditionnel permet de dire qu’on veut lutter contre la pauvreté, y compris contre tous ceux qui pourraient être découragés. Le gros point de débat, c’est de savoir dans quelle mesure la capacité de retourner vers l’activité n’est pas empêchée par un revenu de base inconditionnel. Le pari, c’est que ce soit le contraire ».

Les enjeux d’un consensus

Reste que globalement, sur les 14 396 réponses enregistrées (dont 9 224 dans les 13 départements engagés dans la démarche), la majorité est plutôt en faveur d’un revenu de base au niveau du seuil de pauvreté (845 euros) avec « de nets tropismes vers des sommes inférieures », ce qui conduit l’IPP a conclure à une « aspiration des répondants à envisager le revenu de base comme un levier de résorption de la pauvreté ». Comme le précise Antoine Bozio, « sur le diagnostic, il y a un certain consensus mais la question est de savoir où placer le curseur par rapport à d’autres interventions, notamment sur l’éducation, la formation ou les services publics qui peuvent avoir des impacts déterminants. Ce sera forcément une décision politique mais ce qu’on peut souhaiter, c’est que la démarche d’évaluation scientifique permette de donner des arguments plus précis aux décideurs pour faire des choix entre différents scénarios qui n’ont pas les mêmes coûts. Il est de toute façon nécessaire que l’expérimentation se fasse dans un cadre rigoureux qui permette d’apprendre ce que serait l’impact si on venait à généraliser tel ou tel dispositif. Si de fait, en retirant la conditionnalité, on permet de donner plus de garanties et de réduire le taux de nons recours tout en facilitant les retours vers l’activité, ça donnera des éléments permettant de dire que ce type de dispositif est efficace ». 

Au moment où les esprits s’échauffent sur les volontés du gouvernement de simplifier les dispositifs de prestations sociales (voire d’en réduire les coûts), le rapport et la journée de présentation des conclusions sur le revenu de base arrivent donc à point nommé. Au milieu de tout ça, les présidents des conseils départementaux auront évidemment un rôle déterminant à jouer. Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, analyse les différents critères établis sans le pragmatisme des économistes derrière l’étude de faisabilité. « L’intérêt, c’est que le prélèvement de l’impôt à la source va nous permettre d’être en adéquation sur le temps réel. La non-conditionnalité, c’est aussi un facteur d’émancipation. Ce n’est pas parce qu’on reçoit un revenu de base qu’on est censés ne rien faire à la maison mais, par contre, ça permet de se sécuriser dans les moments où l’on est en difficulté et de concentrer les travailleurs sociaux sur l’accompagnement social et un peu moins sur le contrôle. Aujourd’hui, elles sont très agacées par cette ambivalence de rôle (…) La question, c’est de savoir ce que nous devrions payer pour faire face à la totalité des besoins de la population française en matière de très grande pauvreté ou de travailleurs pauvres, notamment tous les agriculteurs qui galèrent au quotidien sans oser solliciter le RSA parce qu’ils considèrent que c’est une allocation qu’un agriculteur ne doit jamais solliciter ».

Pour lui, comme pour les autres élus socialistes associés à la démarche, la prochaine étape est claire : s’associer pour écrire un courrier au Premier Ministre dans les prochains jours avec l’objectif d’une rencontre, et faire de même auprès des parlementaires dans l’objectif d’initier un pré-projet de loi. À quelle échéance ? « Nous n’avons plus de temps à perdre. Si nous voulons expérimenter pour 2019, ça voudrait dire attraper, même si ça me paraît un peu difficile, la session parlementaire d’automne. Surtout, si nous voulons un fonds national d’expérimentation, il faut qu’il soit inscrit dans la loi de finances et ça commence à être compliqué en termes de délais. Il faut qu’on se réunisse avec les présidents des conseils départementaux d’ici un mois pour affiner les scénarios et provoquer la démarche ». Emmanuel Macron s’était engagé, lors de la campagne présidentielle, à créer un « versement social unique » regroupant toutes les allocations sociales. Cela dit, les « treize mousquetaires », qui attendent donc une pré-proposition de loi d’expérimentation pour l’automne prochain, vont devoir jouer des coudes pour obtenir des dotations de l’État, alors même que la Gironde est déjà engagée contractuellement avec ce dernier dans le but de réduire ses dépenses de fonctionnement à la portion congrue de 1,2%. Pour les défenseurs comme pour les détracteurs, les paris restent ouverts…

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