Débat passionné à l’Hôtel de Région : « Les migrants : menace ou espoir ? »


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 25/05/2015 PAR Nicolas Leboeuf

230 millions de migrants internationaux en 2010

Invité d’honneur de cette table ronde, Cheikh Tidiane Gadio a déploré une crise politique généralisée en matière de migration, exacerbée par les crises sécuritaires, les tragédies perpétrées par des groupes terroristes, l’expansion de virus mortels et les trafics de stupéfiants. « Partis mettre fin à une vie de calvaire », plus de 1800 migrants ont déjà trouvé la mort en Méditerranée depuis janvier … Les chiffres émeuvent l’ancien ministre sénégalais des affaires étrangères, consterné par l’absence de représentants africains au dernier sommet européen consacré à la lutte contre ces dramatiques naufrages au larges des côtes libyennes. « Tous les régimes et paradigmes politiques ne sont pas parvenus à enrayer les déplacements de populations en Afrique » a t-il regretté. Le continent compte pourtant une écrasante majorité de jeunes, de nombreux cadres, un tiers de ressources naturelles mondiales … et des pays riches. Réunis, les deux Congos pèseraient un poids économique de 33 000 milliards de dollars !

Qu’en dit la loi ?

Maître Lucille Hugon, avocate au Barreau de Bordeaux, s’est replongée pour l’occasion dans la structure sémantique et textuelle des lois françaises relatives aux droits des migrants. Celle-ci l’affirme, notre législation ethno-centriste actuelle précarise et rend temporaire la présence des étrangers sur le sol français : « La loi française est régie par une véritable peur de l’envahissement ». Lucille Hugon s’est par ailleurs dite particulièrement apeurée par la possibilité d’arrestation d’étrangers en situation irrégulière à leur domicile : « C’est une traque, on  considère là les étrangers comme des criminels ». En France, seules les très précieuses « Carte Bleue Européenne » et « Carte de Séjour Compétences et Talents » seraient véritablement synonymes d’espoir pour les ressortissants étrangers : quand la première facilite le séjour en France de migrants hautement qualifiés, la seconde promeut les émigrés dont le projet contribue au rayonnement de leur pays. Pour Maître Lucille Hugon, il est très clair que cette immigration professionnelle éloigne de France les étrangers non viables économiquement.

« Pour la plupart, ils ont entre 20 et 50 ans et travaillent deux fois plus que les autres ! »

Le cri du cœur de Manuel Dias, président du Réseau aquitain pour l’histoire et la mémoire de l’immigration, en a certainement marqué plus d’un au Conseil Régional. Humaniste aux origines croisées franco-portugaises, il a remarquablement défendu les mérites d’une immigration en débat.

Sur le plan culturel, sportif, humain, social … la liste des apports de ce phénomène humain fondamental est longue ! « Aujourd’hui, les grandes nations doivent 30 à 40% de leur dynamisme à l’immigration » a t-il déclaré. Mais paradoxalement, si l’initiative de AQAFI incite au dialogue et à l’ouverture, pour Manuel Dias, la plupart des partis politiques se bornent depuis longue date à la vision unique du migrant comme menace. Depuis, le « pari fabuleux de l’immigration » est vécu comme une contrainte : « On ne veut pas les voir, on les considère comme des citoyens de seconde zone ou comme des parasites indésirables » appuie-t-il, avant d’ajouter « Nous serons une maison de retraite sans eux ». Donnant au passage une petite leçon d’histoire à l’audience en rappelant le rôle crucial des soldats coloniaux lors des deux conflits mondiaux, ce dernier ne désespère pas que notre logique actuelle de rejet et de méfiance se mute un jour en une logique de reconnaissance et de tolérance : « Nous leur devons nos valeurs !  » s’est-il exclamé.

Après être revenu quelques instants sur la période coloniale, « à l’époque où le discours dominant était celui d’une mission civilisatrice arrogée par l’Homme blanc » et sur la peur du « grand remplacement », Daouda Gary Tounkara, chargé de recherche au CNRS, a rappelé toute la symbolique de la migration : « Certains sont prêts à mourir car ils ont un sentiment de perte de dignité et de reconnaissance dans leur pays. Pour eux, la migration sonne le début de la maîtrise de leur destin ». 

« L’apartheid scolaire » selon Joëlle Perroton 

Au regard des chiffres, la part d’enfants issus de l’immigration scolarisés dans les écoles françaises, en constante diminution depuis les années 1980, ne représentente que 16% de notre système éducatif. Dans ce cadre, il n’est pas inutile de rappeler que le relatif « échec scolaire » de ces élèves est plus souvent lié à leurs caractéristiques socio-démographiques défavorables qu’à leurs origines ethniques. Et si l’on regarde les résultats et les notes des enfants français de mêmes caractéristiques, appartenant à des familles défavorisées nombreuses et peu diplômées, les différences s’amenuisent, voire s’inversent.

Lieu de brassage culturel, « indifférente aux différences », l’école française est devenu un élément d’intégration universel fort. Mais, lorsque les clivages économiques et sociaux augmentent, les rouages de ce modèle peuvent se gripper. De fait, l’école est plus ségrégée et ethnicisée que le secteur scolaire ne l’admet : « une trentaine de collèges accueillent à eux seuls plus d’un quart des élèves issus de l’immigration, et 40% des populations les plus discriminées » a expliqué Joëlle Perroton. Et quand ces ségrégations croisent les inégalités scolaires, une forme de résistance scolaire ethnicisée, motivée par un sentiment d’injustice, peut se développer. A partir de 2005, certaines dérives communautaires ont même conduit à l’embrasement d’écoles. Pour Mme Perroton, l’école ne constitue plus un socle d’espoir dès qu’elle devient organisée autour de ségrégations : « Dans certains contextes scolaires, le poids des différences devient trop important pour que l’école continue à jouer son rôle intégrateur. C’est la capacité de l’école à créer du vivre ensemble, de la cohésion sociale et une culture commune qui est interrogée. Si espoir il doit y avoir, c’est sur la jeune génération et sur l’école qu’il faut le faire reposer » a t-elle conclu.

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