Tribune libre : De l’inaction et de l’incapacité des Etats à penser l’impensable


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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 09/12/2011 PAR Joël AUBERT

Tous les éléments d’aide àla décision sont sur la table : selon le quatrième rapport du Grouped’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), pourcontenir l’augmentation des températures sous le seuil de 2,4 degrés,les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent impérativementdiminuer après 2015 ; quant à l’Agence Internationale de l’Energie, des actions « radicales »devraient être engagées d’ici à 2017, sous peine de payer au prix fortl’inaction. Les décideurs de tous les pays sont pourtant maintenant tousinformés, sensibilisés, conscients, alertés des enjeux et des impactsdu changement climatique. Et pourtant…Toutes les conférences sur leclimat se suivent et se ressemblent, désespérément. Commentanalyser l’inertie de ce type de négociations, dont l’issue est vitalepour la planète ? Comment comprendre que les Etats sont à mêmes, dansd’autres cas de figure comme celui d’une crise financière, de se réunirdans l’heure et de débloquer des sommes colossales ? Pourquoi est-il sidifficile de placer le climat en haut de l’agenda politique ?

Mêmesi les situations ne sont jamais identiques, il est intéressant de sereplonger dans l’Histoire, notamment dans les moments les plus sombreset les plus cruciaux, pour éclairer d’une autre lumière notre actualité.Il se trouve que la succession de conférences sur le climat merappellent, dans leur forme, leur ambiance générale et dans leur issue,les séries de conférences internationales dans les années 1941 à 1943,qui devaient traiter de la question des réfugiés du nazisme.Bien entendu, il n’est absolument pas question, dans mon propos, decomparer le changement climatique à un génocide, ou de mettre sur unmême plan les climato-sceptiques avec les négationnistes. Ce seraitindécent, et insensé. Par contre, la question de l’attitude des Etatsface à la Shoah est lourde d’apprentissage pour nous. Parce que c’est unmoment de l’Histoire où les Etats doivent penser l’impensable : penserle mal, penser l’extermination programmée d’un peuple, penser tout à lafois la fin et la survie de l’humanité.

Lesdirigeants des Etats Alliés étaient assez bien informés sur lapolitique d’extermination nazie. Rappelons que dès l’été 1941, lesservices secrets britanniques avaient réussi à intercepter, partélégraphe, certains messages émis par les Allemands, dont certainsavaient été transmis à Churchill. En 1942, tous les services secretseuropéens avaient entendu parler de la « Solution finale », et lesmeurtres de masse connus du monde entier, publiés dans la presse…Lesdécisions politiques se firent attendre. Outre une déclaration desNations Unies, communiquée le 17 décembre 1942 à Londres, Washington etMoscou, condamnant les actes commis, la seule promesse des Etats futcelle de punir les responsables une fois la victoire acquise : ce fut cequ’on appela « le sauvetage par la victoire », qui devint le leitmotivde la classe politique de l’époque. Toutes les conférences, d’Evian en1938 aux Bermudes en 1943 – rebaptisée « conférence mirage » – sedéroulaient sur le même schéma (exposés de plans de sauvetage, constatsd’impossibilité d’accueil des réfugiés par les Etats et leurs colonies,durcissement de règles types quotas d’immigration, justificationsd’inaction par les dirigeants etc). Dans le silence gêné du mondeoccidental, muré dans l’objectif de gagner la guerre, le « problème desréfugiés » devrait se régler a posteriori. C’est dans ce contexte queShmuel Zygelboym, l’un des deux représentants de la communauté juivepolonaise au sein du gouvernement polonais en exil à Londres, se suicidele 12 mai 1943 après avoir clairement accusé le monde occidentald’avoir abandonné le peuple juif.

Et si, aujourd’hui, nous assistions, médusés, à une phase historique dans laquelle les Etats attendaient un  miraculeux « sauvetagepar la croissance économique » pour sortir de la crise climatique eténergétique ? Les dirigeants du monde entier doivent penserl’impensable, en quelque sorte, penser la fin d’un monde périmé pour enimaginer un autre qui nous permettra de survivre : se projeter dans unavenir sans pétrole, tout en gérant un risque nucléaire accru(ancienneté des réacteurs, aléas climatiques, actes terroristes)cristallisé par Fukushima, se placer dans une perspective de pressiondémographique très forte, amplifiée par les mouvements de réfugiésclimatiques, et anticiper un accès aux ressources extrêmement ardu…Lavictoire économique tant rêvée, tant espérée, se fait attendre. Lesjours sont comptés.  Quand la pression des peuples, qui réclament dansla rue à Durban la « justice climatique », amènera-t-elle les Etats às’engager sans plus tarder sur la voie de la transition ?

Peggy Kançal, conseillère régionale d’Aquitaine pour EELV, déléguée au plan climat


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