Dans les coulisses d’une maison de cognac


Anne-Lise Durif
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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 09/12/2018 PAR Anne-Lise Durif

Un terroir et un cépage spécifiques

La maison Hennessy possède 180 hectares de terres en agriculture raisonnée, essentiellement dédiées à la recherche et au développement

Un bon cognac commence toujours par de bons raisins. Chez Hennessy comme ailleurs dans les Charentes, la majorité du cognac s’élabore avec de l’Ugni blanc, un cépage italien arrivé en France au Moyen-âge. Comme les 3 autres grandes maisons de cognac (Martell, Rémy-Martin, Courvoisier), Hennessy travaille avec quelques-uns des 4600 viticulteurs du territoire. Ses propres terres de 180 hectares ne représentant qu’1% de la production de la maison (essentiellement dédiée au R&D), elle fait appel à 1600 vignerons basés en grande et petite champagne, borderies et fins bois, soit un périmètre allant d’Angoulême à Jonzac, incluant également le nord Charente. La plupart des vignerons n’étant pas équipé d’alambics, la maison récupère le vin jeune. Issu des dernières vendanges, le jus des raisins est stocké peu de temps en fûts et maintenu à une certaine température, en vue d’obtenir un vin acide, pas sucré, faible en degré d’alcool (autour de 8°). Bref, un vin idéal, non pas pour la dégustation, mais pour obtenir des eaux-de-vie pas trop liquoreuses. Car « la distillation, elle, ne fait pas de rectificatif », comme le précise Maxime Touzeau, en charge des visites et de la dégustation chez Hennessy à Cognac.  

La double distillation, la méthode charentaise

L'alambic charentais se reconnaît grâce à son bulbe en forme d'oignon et son col de cygne

L’autre deuxième secret de la qualité du cognac tient dans sa distillation. Avec deux éléments d’importance : le distiller deux fois et savoir choisir sa « substantifique moelle », comme aurait dit Rabelais, ou plutôt son « cœur de la chauffe », selon le terme charentais. La maison Hennessy possède 5 sites de distillation répartis sur ses 180  hectares de terre. Le plus important d’entre eux se trouve à Julliac-le-Coq, au lieu-dit Le Peu. Ses 10 alambics d’une capacité de 20 hectolitres chacun distillent quelque 300 hectolitres par jour, de novembre à mars. Il faut compter environ 9 litres de vin pour obtenir un litre d’eau de vie.

Distiller demande un savoir-faire technique et méthodologique, qui s’apprend essentiellement sur le terrain, auprès d’un maître distillateur. Le vin est placé dans le bulbe au-dessus de la chaudière. Porté à ébullition, ses vapeurs d’alcool se dégagent et s’accumulent dans le chapiteau. Elles passent ensuite dans le col de cygne qui les amène dans un serpentin traversant une cuve réfrigérante. Au contact du froid, les vapeurs se condensent à nouveau pour s’écouler sous forme d’un premier liquide transparent. De ce premier distillat ne sera conservé que sa partie centrale, appelé « brouillis ». Il survient après les « têtes », correspondant aux cinq premiers litres, concentré en alcool (50°) et dont l’odeur rappelle l’éther. Le brouillis arrive à environ 30° d’alcool et ressemble à une eau-de-vie pas très aromatique. Suivent ensuite les « queues », correspondant à la fin du distillat. Cette première distillation terminée, le brouillis est remis dans l’alambic pour un deuxième tour de chauffe identique, tandis que les têtes et les queues sont conservées pour être remise dans l’alambic avec du vin blanc pour une nouvelle première chauffe.

Le coeur de chauffe se détermine à la température, au goût et à l'odorat

Cette fois-ci, les têtes du deuxième distillat montent à 75° d’alcool et présentent plus d’arômes en bouche et au nez. Comme au premier tour, le cœur de chauffe arrive au bout de quelques litres, et se distingue par des notes aromatiques plus subtiles et un degré d’alcool un peu moins fort (70°). En fin de distillation surviennent alors les « secondes », un distillat plus aqueux rappelant le brouillis. Son taux d’alcool redescend progressivement, avant d’arriver à 30° sur les queues. Les « secondes » seront mélangées avec un autre brouillis pour une nouvelle deuxième distillation… Et ainsi de suite. Les ultimes résidus d’alcool sont envoyés pour méthanisation à une entreprise spécialisée.

En tout, il aura fallu deux fois douze heures de chauffe pour obtenir l’eau-de-vie de base des futurs cognac, sous la vigilance de 8 distillateurs se relayant. Ici, la chauffe commence vers 4h du matin, afin d’obtenir un brouillis vers 11h, 11h30. C’est à cette heure là que les papilles seraient plus aptes à la dégustation. Autre particularité : chez Hennessy, le cœur de chauffe est récupéré dans de grandes barriques de 900 l placées au pied des alambics. L’eau-de-vie est transférée tous les 700 litres dans d’autres barriques plus petites, emmenées ensuite au vieillissement.

Bien vieillir pour atteindre Le Paradis

Dans les chais de la faïencerie chez Hennessy

Une fois l’eau-de-vie récoltée, elle est placée dans des fûts en chêne du Limousin – essentiellement des tonneaux standards de 350 litres fabriqués et entretenus par l’atelier de la maison. La maison Hennessy possède 380 000 barriques réparties dans ses différents chais, dont une majorité le long de la Charente, près du siège de la marque. Superposées en ligne, elles sont stockées en 3500 lots, régulièrement inventoriées et goûtées par sept experts goûteurs. Leur verdict détermine le devenir des eaux-de-vie : conservation en vieillissement, changement de fût ou de chai, assemblage ou mise en bouteille. Comme les vins, les spiritueux sont sensibles à leur environnement, à la température et à l’hygrométrie d’un lieu. En fonction de son vieillissement et des arômes que l’on souhaite obtenir, une eau-de-vie peut être déplacée sur un site plus sec ou plus humide. Lorsqu’une eau de vie atteint sa maturité optimale, son vieillissement est stoppé en la transvasant dans une dame-jeanne. La plus ancienne eau-de-vie non assemblée et conservée en dame-jeanne de la maison date de 1800, et la plus ancienne encore en vieillissement en fût, de 1893. Les cuvées des meilleures années, elles, sont stockées à l’abri des regards sur un site protégé à l’arrière des chais de la faïencerie, nommé simplement « la réserve du fondateur ». Elles serviront à la composition des cognacs les plus haut de gamme de la maison, comme Le Paradis.

La plus vieille eau de vie en bonbonne date de 1800

Une recherche constante du goût

L’évolution des eaux-de-vie est constamment surveillée par un comité d’experts composé de 7 salariés de la maison, dont le palais a été formé durant dix années avant leur intégration au comité. Durant la période de chauffe, ils goûtent tous les jours des échantillons des eaux-de-vie sortant des alambics. Hors période de distillation, ils testent et inventorient les lots conservés dans les chais. Ce sont également eux qui sont en charge d’essayer de nouveaux assemblages. Leur challenge est de retrouver la composition se rapprochant à 99,9% des 12 cognacs Hennessy existants, en goûts, en odeurs et en couleur.  Comme pour le vin, l’eau-de-vie n’étant jamais la même d’une année à l’autre et d’une terre à l’autre, il ne peut y avoir de recette toute faite. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les maîtres de chai aiment comparer leur métier à celui du maître parfumeur, qui compose grâce à ses sens.

La salle de dégustation du comité chez Hennessy

L’exportation comme développement économique

Si Hennessy reste une marque connue en France, 99% de ses ventes se font à l’exportation. Avec la Chine, les USA représentent 80 % du marché. Du coup, la maison fait de la mise en bouteille aussi l’été pour livraison à la rentrée, pour les achats de Thanksgiving et de Noël. Si les Chinois sont plus friands de VSOP, de XO et de cognac rares, les Américains consomment plus facilement du VS et du VSOP, en particulier dans des cocktails. De manière générale, le cognac est devenu une des bases de cocktails prisée par les mixologistes. Le cognac se consomme également de plus en plus avec des glaçons, en particulier dans les pays chauds, et plus seulement en apéritif ou en digestif. « En France, on a souvent tendance à oublier qu’historiquement, le cognac se consommait coupé avec de l’eau. C’est depuis la fin du XIXe siècle qu’on s’est mis à le consommer sec : avec la crise du phylloxéra, la rareté du produit avait induit la nécessité de le consommer sec et en petit quantité, dans un souci de ne pas gâcher », explique Stéphane Daugeron, responsable des visites.  Les nouveaux consommateurs cassent les codes et de nouveaux marchés s’ouvrent : le Vietnam, le Mexique, le Nigeria, l’Afrique du Sud, mais aussi les Caraïbes. En recherche de nouveaux goûts, les pays d’Europe du nord s’y mettent également. Pour conquérir ces nouveaux clients, Hennessy mise sur une image jeune et branchée, liée au monde de la nuit, des bars et des soirées cocktails.

Des projets pleins les cartons

Proche d’atteindre les 8 millions de caisses expédiées en 2018, la maison Hennessy compte poursuivre son ascension, portée par sa progression à deux chiffres. Après avoir créé un deuxième site de mise en bouteilles l’an dernier à Salles-d’Angles en Charente, Hennessy  compte l’agrandir dès l’an prochain pour y mettre une deuxième ligne de production. Elle devrait permettre de passer le cap des dix millions de caisses annuelles. Six nouveaux chais devraient également voir le jour dans le courant du premier trimestre 2019 au lieu-dit Bagnolet, à Cognac, où Hennessy possède un château et des terres. La maison ambitionne également de créer une « factory », sorte de fab’lab-atelier rassemblant des métiers de l’artisanat. Objectif : valoriser les métiers du cognac à travers l’art.


Note/ Hennessy, 1 rue de la Richonne à Cognac. Tel.0545350644. La maison propose des visites guidées avec dégustation, de 1h30 à 4h, sur réservation, à partir de 18€.

 Quai Hennessy


Les dates clés de la maison Hennessy

1765 : Fondation d’Hennessy, maison de négoce de spiritueux, par Richard Hennessy.

1800 : développement à l’exportation vers les Etats-Unis, l’Inde et la Russie.

1863 : Premières exportations en Nouvelle-Zélande

Vers 1900 : lancement de la commercialisation du cognac en bouteille. Maurice Hennessy invente la classification par étoiles des cognacs. Création du logo de la marque, le bras armé d’une hache, en référence au passé militaire du fondateur.

1920-1933 : Hennessy continue de s’exporter aux Etats-Unis malgré la prohibition en se vendant comme produit pharmaceutique.

1971 : création du groupe Moët-Hennessy.

1979 : lancement du Paradis, le cognac le plus haut de gamme d’Hennessy.

1987 : Moët-Hennessy s’associe à Louis-Vuitton pour former le groupe LVMH

2015 : Hennessy fête ses 250 ans d’existence.

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