La Mothe (79) : ils ont sauvé un fromage de l’oubli


Anne-Lise Durif
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 03/12/2018 PAR Anne-Lise Durif

A l’époque, le site détenu par Terra Lacta et Poitou Chèvre est d’abord menacé de fermeture, avant d’être finalement remployé pour fabriquer d’autres fromages de chèvre de grandes marques destinées aux GMS. Mais les repreneurs ne veulent pas continuer Le Bougon, estimé peu rentable. La plupart des maîtres et ouvriers fromagers de la laiterie initiale sont d’ailleurs remerciés. « Là, on a été plusieurs au village à se dire qu’on risquait de perdre à la fois un produit local et un savoir-faire », raconte Dominique Guérin, éleveuse de chèvres en lait. Des éleveurs laitiers et quelques habitants du secteur commencent par se retrouver. « On s’est dit, et si on montait notre propre coopérative ? », poursuit Dominique. Ils vont alors chercher quelques fromagers de l’ancienne laiterie, dont leur doyen Jean-Marc Mazin : « Ils m’ont demandé si je pouvais les aider. Je pouvais prendre ma retraite mais j’ai dit oui. Quand on passe 43 ans dans une entreprise et qu’on vous annonce qu’on va fermer boutique, ça ne fait pas plaisir. Je l’ai surtout fait pour tous les collègues qui se retrouvaient sur le carreau ». Coup du hasard, Jean-Marc Mazin avait été approché peu de temps auparavant par un ex maître fromager de la laiterie de Bougon, avec un projet de remonter un petit site de transformation.

Un parcours du combattant

La fédération de tout ce petit monde à travers une association va donner naissance au projet de coopérative. « On a tout de suite été soutenu par l’union départementale des SCOP », se souvient Dominique Guérin. Mais si la chance sourit aux audacieux, le chemin n’en reste pas moins semé d’embûches. Premier frein majeur au projet : les banques. En 2015, la région Poitou-Charentes et le FEADER ont beau avoir accordé 300 000€ d’aides à l’investissement dans la construction du local et de l’achat de matériel, rien n’y fait, personne ne veut accorder de prêt à la future fromagerie. Il faudra finalement l’intervention du préfet des Deux-Sèvres et le lancement d’une campagne participative sur internet fin 2016 pour que la situation se débloque. Fin janvier 2017, après un mois d’un crowdfounding qui marche, le Crédit agricole donne son feu vert. D’autres banques lui emboitent le pas, suivies de près par l’économie social et solidaire : la Banque populaire, la Nef, France Act, le Réseau Garrigue et deux CIGALES de Melle et de Niort leur accordent des prêts. « Deux CIGALES portés par des habitants se sont même constituées rien que pour notre projet à La Mothe-Saint-Heray », se souvient, encore émue, Dominique Guérin. La coopérative se lance avec un budget total d’investissement de 1,4 millions d’euros.

Reste encore à acheter et à construire le site de production. Ce sera dans la zone artisanale de la Grande Plaine à La Mothe-Saint-Heray, sur un terrain appartenant à la communauté de communes du Pays Mellois. Le temps de faire toutes les démarches administratives et de viabilisations, les travaux de construction démarrent fin juillet 2017.

Le grand public a pu découvrir le

Un fromage à la recette très technique

La première fabrication du fromage du Pays des Murets, du même nom que la coopérative, est lancée en mars 2018, pour une première commercialisation mi-avril. « On a failli appeler le fromage le Mothais, mais une procédure étant en cours pour obtenir l’AOP sur le Mothais-sur-feuille, on s’est dit qu’il ne fallait pas prendre le risque de devoir à nouveau lui changer de nom à terme », expliquent Dominique et Jean-Marc. Car si les 6 fromagers de la coopérative ont bien repris la recette du fromage traditionnel de La Mothe, le nom Le Bougon est une propriété privée dont ne peut se servir la coopérative pour commercialiser sa production. Qu’importe, pour les coopérateurs, le savoir-faire est sauvé. « C’est une technique très particulière pour une pâte lactique au lait cru, avec des températures et des temps précis », explique Jean-Marc Mazin. « Le caillage notamment, dure sept minutes et pas une de plus, alors que d’autres fromages lactiques nécessitent environ quinze heures de repos. L’avantage, c’est qu’il est moulé dès le lendemain et placé en affinage dix à quinze jours ». Une exigence qui se retrouve jusque dans la confection du lait cru. « On s’est rendu compte que c’est difficile de faire du lait cru à destination du fromage », explique Dominique Guérin, « Nous avons dû revoir nos pratiques et encore aujourd’hui, on se fait accompagner sur la technique par le Fédération régionale caprine ». Les coopérateurs envisagent à moyen terme la création d’une version au lait pasteurisé de leur fromage. « Le lait cru amène beaucoup d’arômes au fromage, on y retrouve les odeurs de ce que les chèvres ont mangé et nous, on essaye justement de restituer au plus près les parfums du lait de nos producteurs. Mais ça, ça ne passe pas auprès de certains consommateurs habitués au lait pasteurisé », explique Jean-Marc Mazin.

Objectif Rungis

Aujourd’hui, la fromagerie traite 2500 litres de lait par jour, transformés en « chèvre boite », mais aussi en fromage mi-chèvre/mi-vache, en 100% lait de vache et en faisselle. Les 1300 fromages produits quotidiennement sont vendus en direct dans la boutique de la coopérative, ou distribués dans 150 magasins indépendants du Poitou-Charentes et de Vendée. Et la coopérative compte bien conquérir de nouveaux marchés. Début novembre, elle s’est déplacée à Rungis pour faire découvrir ses produits aux crémiers de la capitale et d’ailleurs. Elle va également lancer au printemps un fromage frais aux herbes du jardin. La fromagerie prévoit donc de former d’autres ouvriers fromagers à terme et d’augmenter progressivement sa production. Deux producteurs de lait vont d’ailleurs rejoindre d’ici deux ans les 5 éleveurs laitiers coopérateurs. Mais pour mener à bien tous ses projets, la Fromagerie du Pays des Murets va avoir besoin de renflouer ses caisses en ce mois de décembre : « Avec les blocages des gilets jaunes, on a perdu 30% de notre chiffre d’affaires, alors qu’on atteignait l’équilibre », se désole Jean-Marc Mazin. Les fêtes de Noël et la médaille d’argent décrochée au concours Capr’Inov 2018 devraient leur donner un coup de pouce.

Note : Fromagerie du Pays des Murets, ZA de la Grande Plaine à La Mothe Saint-Heray. Horaires : mardi , jeudi et vendredi de 10h à 12h et de 15h à 17h30 et le samedi matin. Tel. 05.49.40.64.21. Liste des revendeurs et vente en ligne sur www.paysdesmurets.fr.

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