SAVEURS – Nos Papilles font de la résistance


Article paru dans le numéro 1 d'Aqui - Septembre 2004

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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 02/01/2007 PAR Catherine Boulanger

Qu’ils soient éleveurs de Bazadaises, producteurs de fruits « retrouvés » ou chefs cuisiniers, ces Aquitains portent haut la défense des saveurs d’origine.

La fabrication des fromages dans les cayolars était une activité traditionnelle. Mais aujourd’hui, c’est devenu presque impossible pour des raisons de réglementation ». Avec son bel accent venu des rives de la Nive, Bernadette Irigoïn, l’animatrice du Syndicat de l’AOC (Appellation d’origine contrôlée) Ossau-Iraty décrit une situation qui semblerait anecdotique s’il elle n’était aussi représentative : celle des fromages d’estive. ils étaient fabriqués par les bergers eux-mêmes dans des conditions artisanales, avec le lait des brebis Manechs pâturant l’été en altitude. Entreposés dans des cabanes souvent sans électricité, ces fromages devaient leurs arômes très particuliers au régime alimentaire des bêtes à cette époque de l’année.

Mais, réglementation oblige, il est désormais impossible de fabriquer des fromages en dehors de locaux répondant aux normes sanitaires en vigueur. Et ceux-ci ne se trouvent bien évidemment pas à 2 500 mètres d’altitude. Ces fromages d’estives si particuliers sont donc condamnés à disparaître, et avec eux le goût unique des herbages d’altitude.

Gérard Baud, restaurateur bordelais spécialisé dans le fromage, parle pourtant avec enthousiasme des « cépages de lait, comme il y a des cépages de vin. Un bon fromage se fait grâce à des assemblages. Le goût est indubitablement lié à ces éléments fondateurs que sont le terroir, la race des bêtes, la qualité de leur alimentation. Cela donne des fromages aux textures denses, des goûts de noisette, d’amande voire même en fin de bouche, de violettes ».

La race de brebis Manech, dont le lait est utilisé pour produire le fromage Ossau-Iraty, a elle-même été un moment menacée par la tentation implacable de la productivité. Cette souche Manech trouve ses racines en asie. Elle se divise en « tête noir » et « tête rousse », toutes deux élevées traditionnellement au Pays Basque français comme espagnol. Or sous la pression de la Confédération générale de Roquefort qui achetait l’essentiel du lait produit dans la région, les éleveurs ont lentement abandonné la Manech au profit d’une autre race, la Lacaune. Cette dernière avait comme principal avantage de produire près de 25% de lait en plus et d’être plus facile à traire.

Le sort de la Manech aurait sans doute été définitivement scellé sans l’action combative des politiques locaux, et sans la création en 1970 d’une UPRA (Unité de sélection et de promotion de la race) commune aux trois races Manech, Béarnaise et Basquaise.

« L’AOC Ossau-Iraty fut l’étape suivante » explique Bernadette Irigoin. « L’Ossau-Iraty AOC est aujourd’hui exclusivement fabriqué à partir du lait de Manech et de Basco-béarnaise. L’appellation protège aussi les méthodes de fabrication et un territoire qui s’étend de La Rhune aux côteaux de Madiran ».

L’Ossau-Iraty est ainsi le second fromage à avoir obtenu une appellation contrôlée en France, après le Roquefort. La quantité produite est passée de 1 200 tonnes en 1990 à plus de 3 000 tonnes en 2003.

Une abondance factice

Au-delà de cet exemple, c’est tout un pan de notre culture agricole et alimentaire qui est aujourd’hui soumis à une pression toujours plus forte. Réglementations en tous genres, mais aussi pression du marché et recherche effrénée de productivité pourraient bien devenir les fossoyeurs d’une certaine idée de la nourriture, et par là même de la diversité.

Car plus que tout, ce qui fait la richesse et l’originalité d’une gastronomie c’est bien le foisonnement des saveurs. Or selon certaines études, la diversité agro-alimentaire en Europe aurait diminué de près de 75% depuis 1900. C’est ce qu’explique Didier Chabrol, le vice-président français de Slow Food: « Les supermarchés des pays riches proposent une abondance de produits à priori infinie, mais qui est en bonne partie factice. En France, 98% du lait est issu de trois races de vaches, dont la célèbre Holstein, contre plusieurs dizaines il y a 50 ans. Quant à la charcuterie, elle est presque entièrement produite à partir d’une seule race de cochon, le Large White ».

Cette standardisation, qui menace aussi bien les animaux que les végétaux, s’accompagne d’une uniformisation du goût. C’est devenu l’un des chevaux de bataille de Slow Food. L’association s’est donné pour but de défendre la biodiversité et par là même la variété des saveurs. Présent dans 80 pays et regroupant plus de 70 000 adhérents, Slow Food a créé une arche symbolique, regroupant 750 produits en danger de disparition.

 

Race Bazadaise et pêche Roussanne de Monein

Rien qu’en France, les membres de Slow Food ont inscrit pas moins de 15 variétés de plantes et animaux sur leur liste, de la volaille coucou de Rennes au pois blond de la Planèze originaire du Cantal. Non content de recenser ce patrimoine, Slow Food poste ses sentinelles du goût. Leur objectif : travailler activement au développement des marchés potentiels de ces produits en danger, consolider les réseaux de producteurs.

Dans notre région, l’oignon de Trébons ou le porc Gascon ont trouvé place dans l’arche Slow Food. De nombreux autres spécialités mériteraient sans doute de faire partie de cette liste, à commencer par la brebis Manech ou la race bovine Bazadaise. Nathalie Morlot, la présidente du Syndicat bovins de la race Bazadaise explique ainsi que « la race Bazadaise est une vraie race ancienne. Elle était principalement utilisée pour le travail des champs. Elle a subi de plein fouet l’arrivée de la mécanisation. On est descendu à moins de 2 500 mères, c’est dire si on a failli perdre la race. Aujourd’hui, on en compte à peu près 6 000, mais on n’est jamais à l’abri d’un accident ». Sous l’impulsion de quelques passionnés les éleveurs du Bazadais se sont lancé dans un travail rigoureux de qualité, qui offre aujourd’hui une audience importante à la race. Elle donne naissance à deux types de productions, les célèbres bœufs gras, et le veau sous la mère. « Si la production reste confidentielle, la qualité est déjà reconnue par les amateurs, et certains éleveurs vendent l’essentiel de leur production à des acheteurs privés » précise Nathalie Morlot. La viande de race Bazadaise est incomparable pour les gourmets, principalement à cause de son fameux « persillé », ces petites taches de gras qui passent dans le muscle chez les bêtes élevées à l’ancienne. A la grillade, le gras fond et la viande conserve tout son moelleux. Autre saveur que cherche à promouvoir l’association Slow Food, la pêche Roussanne de Monein qui est originaire du Béarn. Evelyne Leterme, fondatrice et responsable du Conservatoire végétal régional d’Aquitaine, connaît très bien ces variétés. « Finalement, la survie d’une variété est parfois assez hasardeuse. La Roussanne de Monein correspond à un véritable patrimoine local, culturel et de qualité. Heureusement, elle a obtenu une IGP (Indication géographique protégée). D’autres variétés ont été reconnues de justesse, comme la prune d’Agen ». Pourtant, toutes les variétés n’ont pas cette chance, et du coup, les consommateurs non plus. Evelyne Leterme explique ainsi que « dans les années 70, le commerce avait ainsi réduit les variétés de pommes aux trois couleurs dominantes : rouges, vertes et jaunes. On a failli passer à côté de toutes ces savoureuses variétés qui reviennent maintenant sur les étales ».

 

Redécouvrir les origines

A travers le succès du Conservatoire Végétal, qui dispose de vergers dans tous les départements d’Aquitaine, une tendance se dégage. On assiste au retour à la mode de certaines variétés anciennes dont on apprécie désormais les vertus de résistances aux maladies ou le goût original, une notion qui prime à nouveau sur la production à tout prix. Témoin de ce succès, les journées portes ouvertes au verger de Montesquieu en Lot-et-Garonne ont attiré l’an dernier plus de 6 000 visiteurs sur deux jours. L’édition 2004 de cette manifestation aura d’ailleurs lieu les 27 et 28 novembre prochains.

Perdu dans le déluge des produits standardisés fournis par l’agro-alimentaire mondialisée, le consommateur a besoin de repères, de références auxquelles se raccrocher. Le problème n’est pas simple. Aujourd’hui, seules les marques commerciales sont reconnues dans les instances internationales comme l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Ainsi, celui qui choisit du riz Basmati ou du café d’Antigua en croyant acheter un produit bien précis n’a entre les mains qu’une marque qui ne lui garantira ni origine géographique, ni qualité.

Dans le même temps, une firme devenue propriétaire d’un brevet sur un riz OGM étiqueté « riz basmati supérieur » pourrait bien être en mesure de bloquer toutes les exportations de riz Basmati venue d’Inde, sous prétexte de violation de son brevet. Ces enjeux économiques sont donc totalement liés à la reconnaissance géographique des produits agricoles traditionnels, ceux-là même qui représentent notre réservoir de diversité et de goût.

La reconnaissance de l’origine géographique, mais aussi du savoir-faire des producteurs est donc déterminante. A la fois pour conserver des aliments de qualité, mais aussi pour rémunérer correctement les hommes qui en vivent et assurer la pérennitédes filières. C’est ce que confirme Michel Prugue, le président de l’INAO (Institut national des appellations d’origine) : « lorsque l’on protège correctement un produit et son origine, on favorise la redistribution pour tout le monde. Ainsi pour le poulet des Landes, la réussite de la démarche deprotection a eu de nombreux effets bénéfiques : installation de jeunes agriculteurs dans la région, création d’emplois induits sur la zone géographique dans les abattoirs par exemple. Du coup, on protège aussi notre terroir à long terme, on fait de l’aménagement du territoire ».

Au delà du cahiers des charges, plus ou moins rigide, de chaque appellation, l’INAO s’est adapté à la réalité économique moderne et se consacre à la protection des droits des producteurs. L’institut engage régulièrement des poursuites dans de nombreux pays pour lutter contre la contrefaçon. Le récent exemple des producteurs de Sauternes, confrontés à une production originaire d’Argentine n’est qu’un épisode de cette guerre dont le champ de bataille est la planète entière.

Comme le prouve l’augmentation régulière du nombre des contentieux, le savoir-faire est aujourd’hui la véritable valeur ajoutée d’un produit. C’est pourquoi les hommes élevant ces brebis en montagne, travaillant au pied de ces pommiers retrouvés sont ceux qui pourront assurer l’avenir de cette biodiversité menacée. Au détour d’un chemin du Périgord, dans une ferme de Navarre, les goûts et saveurs du sud-ouest attendent d’être redécouverts.Mathieu Renversade

Petit lexique d’une diversité bien maîtrisée

AOC : Appellation d’origine contrôlée. Elle identifie un produit agricole qui tire son authenticité et sa typicité de son origine géographique. On constate pourtant que le cahier des charges de certaines AOC peut comporter des lacunes.

IGP : Indication géographique protégée. C’est une adaptation aux règles du commerce international, qui permet de protéger une dénomination géographique. Elle interdit l’utilisation des mentions géographique en dehors de la zone de production.

INAO : Institut national des appellations d’origine : C’est l’organisme chargé de recenser et protéger les différents signes officiels de qualité. Il délivre les appellations, et engage des poursuites au niveau internationale en cas d’utilisation frauduleuse.

OGM : Organismes génétiquement modifiés. Résultat de recherches longues et souvent coûteuses, les OGM sont de nouvelles espèces brevetées.Lesvariétés originales sont, elles, considérées comme du domaine public et personne ne peut faire valoir de droit pour leur utilisation.

 

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