50 ans de la SEPANSO : Jean-Luc Porquet, portraitiste de la sixième extinction


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 14/09/2019 PAR Romain Béteille

Elle a convoqué le journaliste Jean-Luc Porquet, auteur depuis 1994 d’une chronique intitulée « Plouf! » dont les sujets principaux traitent de la mondialisation, de la technologie et de l’écologie. En 2016, il est l’auteur d’un livre intitulé « Lettre au dernier grand pingouin » qui raconte la disparition des deux derniers spécimens, tués par des pêcheurs islandais sur l’île d’Eldey le 3 juin 1844, rare évènement daté et raconté de la disparition d’une espèce, bien avant que les travaux du biologiste américain Edward O. Wilson sur l’extinction des espèces. Il y a longuement évoqué les courants actuels visant à réfuter cette dernière, ou, du moins, à la minimiser. « Ellul disait que l’écologie n’avait rien à gagner à rentrer dans le monde politicien, une croyance qui n’a d’ailleurs pas été démentie par la suite ». A l’en croire, les extincto-sceptiques (ce qui ne croient pas à l’extinction des espèces) connaissent, avec le regain d’intérêt de la société pour l’écologie, un certain regain de popularité dans les théories dissidentes. Qu’il s’agisse de Bruno Durieu interprétant dans le courant de l’écologisme une forme de « catastrophisme vert », de l’économiste Sylvie Brunel mettant en garde contre une « nature idéalisée » ou du biométricien Alain Pavé minimisant l’effondrement en préférant y apposer une foi dans la régénération de la biodiversité, tous ont en commun une forme de contre argumentation qui fait face, chacune à sa manière, aux chiffres et au consensus scientifique. Celui, par exemple, de l’Union internationale pour la conservation de la nature qui a évalué en 2007 qu’une espèce d’oiseaux sur huit et qu’un mammifère sur quatre était en péril; celui encore du rapport alarmant du GIEC sorti en mai dernier ou, plus localement, les travaux d’Acclimaterra.

Conflits libertaires

« Aujourd’hui, les scientifiques ou les journalistes ne sont plus les seuls à être témoins de cette sixième extinction », poursuit Jean-Luc Porquet : « 207 activistes écolos ont été tués en 2017, 164 en 2018. Notre expérience sensible et le fait que le nombre d’espèces ait chuté de 58% entre 1970 et 2012 nous montre que les extincto-sceptiques n’ont pas un grand avenir ». Face à cela, que font donc les États ? Un sommet de la Terre à Rio et Une « convention sur la diversité biologique » en 1992 pour le Programme des Nations Unies pour l’Environnement qui n’a pas vraiment fixé d’objectif, un protocole de Nagoya assez contesté en 2010 qui se fixe une vingtaine d’objectifs dont « la plupart ne sont pas atteints », une fondation pour la recherche sur la biodiversité (IPBES) créée en 2012 auteur d’une alerte parue en mai dernier et des regards tournés sur Pékin en 2020… mais un problème qui demeure. « Il y a beaucoup de cafouillages parce que cette cause fait face à des conflits d’intérêts énormes entre le Sud, qui a la biodiversité la plus diversifiée, et le Nord. Alors on tergiverse, on imagine d’autres voies, comme un « casino climatique » qui propose de sélectionner à des fins de préservation les espèces qui ont le plus de valeur. Les entreprises s’en mèlent aussi. « Le capitalisme vert est-il responsable ? Ellul pensait qu’il était illusoire de croire que l’on pouvait mettre de la puissance au service des valeurs parce que la production de profit efface ces valeurs, sauf celles qui la servent. Le traité de Rome parlait d’une croissance infinie impossible dans un monde fini. La course à la technologie en génétique, biologie, les thèses du transhumanisme prônent précisément l’inverse. Il y a donc une course de vitesse entre décroissance et transhumanisme ». 

Oui mais voilà : il y a de nouveaux objectifs (30% des zones protégées en « pleine naturalité » en 2022 pour ce qui est de la France, par exemple) et surtout de nouvelles voix qui s’élèvent. « Des lanceurs d’alerte défendent une humanité en péril. Les actions en justice se multiplient (comme celle de l’Affaire du Siècle) et un courant de désobéissance civile, d’activistes, fait naître des mouvements (comme celui, du blocage de l’entrée au port d’un navire de croisière à Bordeaux, déclinaison locale du mouvement anglais Extinction Rébellion), dont certains prônent même l’utilisation de la violence et du sabotage, le risque d’utiliser cette méthode étant évidemment d’être contre-productif ». Le catastrophisme, même lorsqu’il est justifié, fait vendre : « Comment tout peut s’effondrer » fait partie des nombreux best-seller à s’être emparés du sujet pour en faire une analyse et proposer des solutions. « La colapsologie permet aussi de rebattre les cartes, elle dit qu’il va falloir apprendre à vivre, plutôt que survivre, dans un monde ruiné ». Au moment de terminé son « grand-angle », Jean-Luc Porquet s’interroge. « Au début du 20ème siècle, avec la multiplication des guerres et des conflits, il y avait le sentiment que le monde s’effondrait dans les chaos. Il y a aujourd’hui une naissance chez les jeunes générations d’un sentiment du même ordre. C’est assez récent et c’est un vrai changement. Il y a quarante ans, l’ennemi ne nous paraissait pas si fort, nous pensions remporter des batailles. On n’avait pas l’impression d’avoir face à un monde mondialisé, les entreprises plus puissantes que les États n’existaient pas. Seuls quelques analystes avaient déjà cette vision. Aujourd’hui, cette vision s’impose à tous, la jeunesse ressent tragiquement cette réalité. C’est peut-être ce qui explique l’émergence de ces nouveaux modes d’action. Tout le monde a compris que les gestes individuels ne suffisent plus. Même si Terre-Neuve a interdit la chasse aux grands pingouins, il était déjà trop tard et l’espèce, vieille de trois millions d’années, avait déjà disparu en trois siècles à peine. On ne veut pas vraiment que la fuite soit éperdue. Peut-être craint-on, au fond, que la disparition de la biodiversité soit aussi celle de notre liberté ? ». 

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