Addictions et confinement : entre difficultés et inquiétudes


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 16/04/2020 PAR Lucile Bonnin

Il n’est plus possible de sortir de chez soi sans avoir un réel « motif ». Une attestation est désormais obligatoire depuis plusieurs semaines maintenant. Les restaurants sont fermés. Les commerces en tout genre sont fermés. Pourtant, les tabacs restent ouverts. Par modification de l’arrêté du 14 mars, les boutiques de vape ont été autorisées à rouvrir. L’approvisionnement en alcool est également toujours effectif. Pour le moment, aucun chiffre n’a été diffusé concernant la vente de cigarettes ou d’alcool en France. Mais il est certain que le contexte actuel a des conséquences variables sur les personnes sujettes aux addictions.

Pour comprendre l’impact que peut avoir le confinement actuel sur certaines consommations, il faut avant tout savoir ce qu’est une addiction. Stéphanie Caillé-Garnier est neurobiologiste et comportementaliste, spécialisée dans l’étude de l’addiction aux drogues d’abus sur les modèles animaux. Elle est chercheuse à l’Université de Bordeaux (CNRS UMR5287, INCIA). Pour pouvoir définir de manière générale ce qu’est une addiction, elle se réfère au manuel DSM-5, qui est la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie. Pour savoir si quelqu’un présente une addiction ou non, il faut l’évaluer selon plusieurs critères. Il y a des degrés de sévérité : de 2 à 3 critères l’addiction est légère, de 4 à 5 l’addiction est modérée et à partir de 6 l’addiction est considérée comme sévère.

Mais quels sont ces critères ? « Les critères vont toucher plusieurs types de comportements », explique Stéphanie Caillé-Garnier. Un comportement obsessionnel et incontrôlable est notamment mis en avant à travers ces critères : la perte de contrôle sur sa consommation ou encore le craving (envies fortes de prendre la substance). Une autre catégorie de critères porte sur la prise de risques avec notamment la prise de la drogue en dépit de la connaissance des effets négatifs (sociaux, professionnels). Enfin, l’addiction peut aussi se mesurer à travers des critères plutôt pharmacologiques comme par exemple le syndrome de sevrage (tremblements, anxiété, agitation, dépression, nausées et état de malaise). 

« Une situation à risques »

Jean-Michel Delile, président de la Fédération addiction et psychiatre, pose un regard inquiet sur la situation. « Les usages de produits addictifs sont liés à une recherche de plaisir, de détente mais pour les personnes dépendantes c’est aussi un moyen d’apaiser du stress, des angoisses, un mal-être général. On comprend donc que les circonstances angoissantes actuelles, puissent risquer d’amplifier encore les pratiques addictives. » En effet, la situation exceptionnelle que nous vivons en France, et ailleurs, bouleverse les habitudes et efface les repères de beaucoup d’entre nous. Les personnes les plus vulnérables perçoivent en cette période de confinement, une épreuve particulière. « La peur du manque, la solitude, l’isolement, sont bien sûr des facteurs qui ne jouent absolument pas en faveur d’une personne ayant une addiction », confie un membre bordelais de l’association des Alcooliques Anonymes.

Si la situation est anxiogène pour l’ensemble de la population, elle semble l’être d’autant plus pour les personnes addictes. Le médecin psychiatre Jean-Michel Delile indique que la situation est « à risques » mais que les conséquences sont variables selon les situations. « Beaucoup de personnes dépendantes sont impactées comme tout le monde par le contexte stressant du moment et par le confinement, mais leur addiction va les amener à apaiser cette tension en consommant encore plus que d’habitude, explique-t-il. D’autre part, l’angoisse centrale de l’addict est la peur du manque et beaucoup redoutent d’être en panne d’approvisionnement, ce qui accroît encore leur besoin de consommer. Mais cette tendance à augmenter les doses est contrebalancée chez beaucoup par des sevrages progressifs et certains se saisissent de cette occasion pour tenter réellement d’arrêter par eux-mêmes, en une période où l’on est effectivement tenter de retourner vers les enjeux essentiels. »

Le sentiment de solitude est aussi un facteur important dans l’évolution d’un comportement addictif. « L’ennui, le vide, la perte des rythmes habituels et du contexte protecteur du travail, du regard des collègues, les tensions familiales ou, à l’inverse, la solitude peuvent amener à augmenter les consommations et à perdre le contrôle », affirme Jean-Michel Delile. D’un point de vue plus scientifique, il semblerait également que l’isolement physique ou symbolique encouragerait une consommation plus excessive. Les expériences que Stéphanie Caillé-Garnier a pu mener sur des animaux vont en effet également dans ce sens : «  le fait de travailler sur un animal isolé augmente quasiment systématiquement sa vulnérabilité à ingérer de la drogue ». 

« Ne plus se sentir seul »

On observe en ce moment même une vague de solidarité liée à la situation de crise que le pays traverse. Les personnes qui souffrent d’addictions ne sont pas abandonnées. Les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie continuent à assurer des consultations de soutien par téléphone, Skype ou par mail, et certains peuvent accueillir directement les situations d’urgence. Les services comme Alcool info service ou Drogue info service restent ouverts avec la mise en place d’un chat de 8h à minuit, d’un forum et d’un accueil téléphonique (tous les jours de 8h à 2h du matin : Drogues info service 0800 23 13 13, Alcool info service 0 980 980 930, Ecoute cannabis : 0 980 980 940 et Tabac info service 3989, du lundi au samedi de 10h à 18h). « De nombreuses fédérations et associations essayent de donner, à distance, des outils pour que la personne reprenne le contrôle sur ses pensées et ses actions, pour gérer son envie et son cerveau » ajoute Stéphanie Caillé-Garnier.

Certaines associations continuent donc leurs activités, en les adaptant. C’est le cas notamment de l’association Alcooliques Anonymes (AA) à Bordeaux. « De nombreuses réunions en ligne se sont mises en place pour faire face à l’absence de réunions physiques ; que ce soit par skype ou zoom, explique un membre de l’association. De plus, certains groupes organisent des conférences téléphoniques pour nos membres plus âgés et peu enclins aux nouvelles technologies. Toutes ces réunions se déroulent exactement de la même façon que les réunions physiques. » Le maintien des activités associatives est en effet primordial dans ces moments et prouve par la même occasion, à quel point le monde associatif est utile dans une société. « En ce qui me concerne, je participe encore plus activement aux réunions virtuelles car elles me permettent de rester ancré dans mon abstinence et mon rétablissement, explique le membre actif des AA. Ne plus se sentir seul, grâce aux réunions et aux partages, est un premier pas vers le rétablissement. »

Vers de nouvelles addictions ?

Addictions

L’avenir est incertain en ce qui concerne les dégâts économiques, sociaux et politiques que cette crise va laisser derrière elle. L’incertitude est également présente lorsque l’on s’interroge sur notre manière de vivre, bouleversée par le confinement. Il risque d’y avoir notamment des changements de consommation addictives car, comme l’explique Stéphanie Caillé-Garnier, « les substances que l’on trouve habituellement sur le marché noir sont plus difficiles à trouver en confinement ». Une addiction peut donc malheureusement être compensée par une autre.

Le confinement entraine également le développement de nouvelles occupations. Pour tromper l’ennui, il faut trouver des activités de substitution, et, la plupart du temps, les écrans sont nos fidèles compagnons. Les enfants et adolescents, notamment, peuvent se retrouver fatalement plus souvent face aux écrans. L’addiction ne concerne pas tout le monde, de manière systématique, mais il faut maitriser ce genre de comportements pour ne pas en faire un problème chez les plus vulnérables, c’est à dire les plus jeunes.

« Le confinement va sûrement exacerber certaines consommations mais heureusement, une consommation un peu abusive sur un temps ponctuel ne donne pas forcément naissance à une addiction » confie Stéphanie Caillé-Garnier. Certaines personnes en effet sont plus vulnérables que d’autres quant à la consommation de substances addictives, comme les adolescents par exemple. Expérimenter ne veut pas dire développer une addiction. Cependant, vigilance et self-control sont les maitres mots pour une consommation raisonnée et pour ne pas laisser cette étape de confinement créer des séquelles…

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