Angélique, infirmière libérale en milieu rural : « Nous acceptons toute l’aide que l’on nous propose ! »


A. S-L.
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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 01/04/2020 PAR Solène MÉRIC

Après un mois d’arrêt maladie, suite à une intervention chirurgicale, Angélique Saint-Loubert vient tout juste de reprendre ses tournées. Une reprise sur les chapeaux de roue jeudi dernier, dès 6h15 du matin, dans un pays en pleine crise sanitaire, et le confinement qui l’accompagne. « La veille de la reprise, je n’ai pas dormi de la nuit… J’étais stressée de pouvoir être vecteur du virus auprès de mes patients, de ma famille. J’ai ressassé les différents gestes mis en place pour m’en protéger au mieux… », confie-t-elle. Il faut dire que sa patientèle est à l’image de ce qu’on s’imagine être en milieu rural : « ce sont en majorité des personnes âgées que j’accompagne tous les jours dans les gestes et soins du quotidien. Mais j’ai aussi un certain nombre de patients que je suis pour des maladies chroniques : diabète, chimiothérapie ou des suivis de grossesse ». Autant de patients dits « fragiles » dans le cadre du Covid-19. À ceux-là s’ajoutent aussi des patients plus ponctuels, suivis sur des durées plus courtes, pour des pansements ou la pose de perfusions.

Le calme avant la tempête
Si elle n’a repris ses tournées que depuis une semaine, elle n’a pas attendu la fin de son congé maladie pour se renseigner sur ce nouveau Coronavirus et sur les mesures de préventions préconisées par les autorités dans l’exercice de son métier. « Dès l’arrivée du coronavirus en France, moi et mes collaboratrices avons notamment pris contact auprès des relations que nous avons dans les hôpitaux et qui avaient reçu quelques informations en amont. Parce que nous, infirmières libérales, nous n’avions absolument aucune info sur le sujet », se rappelle-t-elle avec agacement. L’Ordre National des Infirmiers (ONI), comme l’Agence régionale de santé (ARS), ou la Direction générale de la Santé (DGS) étaient aux abonnés absents.

Le calme avant la tempête en vérité ; car, passée la première allocution télévisée d’Emmanuel Macron, « là, ça a été l’affolement général. D’un coup et au dernier moment ». Trois à cinq courriers électroniques de l’ARS, de la DGS et de l’ONI tombent alors chaque jour dans sa boîte mail. Des recommandations très longues – jusqu’à 20 pages – peu claires, « voire parfois carrément en contradictions les unes avec les autres… ». Des mails où il est notamment questions de procédures, de gestes barrières à mettre en place, de matériels de protection. Face à cette profusion d’informations désordonnées, c’est sur le terrain, et un peu dans la débrouille, que les choses se sont finalement organisées. « J’ai passé les quinze derniers jours de mon arrêt maladie au téléphone ou par mail en lien avec mes consœurs pour être raccord sur ce qu’on pouvait mettre en place auprès de nos patients. Pour les protéger, ainsi que nous-même et nos familles ».

Outre les procédures, cette protection passe donc aussi par le matériel, que les mails des autorités n’oublient bien sûr pas de mentionner dans leurs consignes. Sauf que, sur le terrain là aussi, c’est une autre histoire. « Sur cette même période de quinze jours, j’ai appelé les prestataires de matériel médical, les grossistes, les pharmacies alentours, mais personne n’avait rien. Pas de masques, pas de lunettes, pas de surblouses… ». Les faibles stocks des officines n’ont pas fait long feu face aux assauts des cabinets médicaux, mais aussi des particuliers venus en nombre pour réclamer notamment, des masques. 

Trois masques chirurgicaux consommés par jour
Au total, au moment de sa reprise, c’est davantage par des relations interpersonnelles et parfois un peu en dehors des voies habituelles qu’elle a pu se constituer un petit stock de masques chirurgicaux, qui s’ajoute aux 50 masques chirurgicaux qu’elle commande chaque année « en prévision de la saison de la grippe ». Un stock précieux mais d’autant plus réduit si l’on considère qu’un masque de ce type doit être changé toutes les quatre heures pour rester efficace (contrairement aux masques FFP2, non seulement plus couvrants mais d’une validité de 8 heures à condition de ne pas l’enlever) . « Dans la journée on consomme trois masques chirurgicaux : deux pour la tournée du matin qui dure sept heures et un pour les 3h30 que dure la tournée du soir », sur des semaines qui peuvent aller de quatre à six jours. Et la dotation de 18 masques qu’elle devait récupérer pour la semaine en cours n’a pas pu être assurée… « Je n’ai pas non plus de lunettes de protection, or, des patients qui nous toussent dessus, ça arrive ». 

Pour le gel hydroalcoolique, une pharmacie voisine s’est mise à en fabriquer et lui en a fourni « mais c’est très liquide », pas très pratique d’utilisation. Pour autant, « c’est déjà ça, et je me lave les mains au moins cent fois par jour ! », plaisante à peine Angélique, qui malgré une colère bien présente veut rester optimiste. Pour les surblouses, « j’ai pu récupérer quatre chemises », là aussi pas vraiment selon les procédures indiquées par l’ARS… Mais une fois encore, « on fait ce qu’on peut », justifie-t-elle.

Don de matériel : « une générosité, qui fait chaud au coeur ! »
A tel point que dans les précautions qu’elle a imaginées, sa propre habitation n’est pas épargnée. Pour protéger ses deux enfants et son mari d’une éventuelle contamination, elle a mis en place, dans son garage, une « table de décontamination », en prévoyant aussi deux tenues par jours, une par tournée. « Quand je rentre de tournée, je décontamine tout ce que j’ai touché : voiture, téléphone, clés, etc. Je me déshabille dans le garage, mon mari m’ouvre la porte, et je pars à la douche sans rien toucher dans la maison ni dire bonjour ou embrasser mes enfants. Ce n’est qu’ensuite que j’enfile des habits propres. Mais je préfère garder une certaine distance avec mes enfants, je fais moins de bisous… ce n’est pas très facile à comprendre pour la plus petite ». Et un peu d’amertume pour la maman.


La ''table de décontamination' qu'Angélique a créé dans son garage pour éviter tout risque de contamination de sa famille par le Covid 19

Mais pour la jeune femme d’un naturel enthousiaste et optimiste, « on peut heureusement compter sur la générosité des gens ». Outre ses quelques relations du milieu médical qui ont pu l’aider à obtenir un peu plus de matériel, « les seuls masques FFP2 que j’ai pu obtenir, c’est un ami, éleveur de canards qui me les a donnés, ça m’a beaucoup touché. Une de mes collègues a également reçu des dons de la part d’une entreprise. Nous recevons des dons, et on accepte toute l’aide possible ! Ça fait vraiment chaud au cœur cette solidarité ! C’est encourageant », lâche-t-elle avec sincérité et dans un grand sourire, perceptible même au téléphone.

Lunettes de vue vs lunettes de protection
Un enthousiasme d’autant plus salvateur et indispensable, face à des patients qui, pour la plupart, sont inquiets. « Et d’autant plus quand ils me voient arriver avec masque, charlotte sur la tête et blouse jetable… ils n’ont pas l’habitude de me voir comme ça. Face à leur angoisse parfois, je leur dis que je leur souris derrière mon masque ».

Si la plupart des patients sont inquiets, d’autres, à l’inverse ont des comportements « bien trop légers » par rapport au risque de contamination. « Comme on est en milieu rural, certains pensent que l’on est plus protégés, plus à l’abri du virus. Mais même si pour l’instant la région est assez épargnée par rapport à d’autres, c’est évidemment faux. Il faut au contraire continuer à se protéger ». À ceux qui la disent « parano », elle répond simplement par ces mots : prudence et bon sens. D’autant qu’elle le constate (et les chiffres de l’ARS le confirment): « ça se rapproche. Je suis allée chez deux personnes qui ont été testées pour le coronavirus. J’ai donc redoublé de prudence et j’ai puisé dans mon petit stock de masque FFP2, plus efficaces que les autres. Et comme je n’ai pas de lunettes de protection à disposition, j’ai utilisé les lunettes que je mets quand je suis sur l’ordinateur », glisse-t-elle dans un rire amer.

Volontaire pour suivre les cas positifs au coronavirus
Un Covid-19 avec lequel elle va sans doute être amenée à être en contact plus souvent. « La Sécurité sociale nous a demandé si on était volontaires pour suivre les cas positifs au coronavirus sur notre secteur ». Difficile de dire non pour l’infirmière, pour qui le soin aux autres est une vocation. Quitte à organiser une tournée supplémentaire, séparée des autres patients. En d’autres termes, ça se fera sur les temps de repos de deux infirmières sur les trois que compte son cabinet, dont elle. Mais pas sans une condition primordiale, assure-t-elle : « obtenir plus de matériel de protection ! Nos quelques masques chirurgicaux et nos lunettes de vue, ne peuvent évidemment pas suffire ! Quand on voit comment sont équipées les infirmières dans les hôpitaux, et qu’elles ont des formations pour apprendre à s’habiller et se déshabiller afin de minimiser les risques, ici, on est loin du compte… ».  
En attendant ce matériel, si un cas confirmé se présentait, c’est une procédure de téléconsultation qui est proposée en accord avec la Sécu ; par visio ou par téléphone pour assurer la surveillance des malades : température, question sur leur état général, sur leurs difficultés à respirer ou pas… « Si on constate une détresse respiratoire, on préviendra le médecin généraliste ou les urgences ». Mais la visio et le téléphone ont leurs limites notamment auprès des personnes âgées contaminées dont le protocole prévoit dans le cadre de leur surveillance de mesurer la saturation. Surtout, il peut être demandé aux infirmières de se déplacer chez le malade pour donner le traitement ou réaliser des injections. Le matériel de protection est donc décidément encore attendu avec impatience.

Si la campagne béarnaise n’est pas encore un terrain de « guerre » frontale contre le Covid-19, admet volontiers notre interlocutrice, Angélique est prête à livrer bataille. Même si elle ne cache pas qu’il y a un peu d’inquiétude, notamment pour sa famille et ses patients les plus fragiles, un certain sens du devoir et l’élan de générosité qu’elle ressent autour d’elle, l’y porteront. Pour peu bien sûr qu’on lui donne accès aux armes bien inoffensives de ce combat : masques, lunettes de protection, surblouse, surchaussons, gants… Malgré les annonces et certaines livraisons en cours, elles et ses consœurs de campagne de ce coin de Béarn attendent toujours.

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