Confinement et femmes victimes de violences : que faire contre l’intolérable ?


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 25/03/2020 PAR Lucile Bonnin

« Le confinement à domicile peut, hélas, générer un terreau propice aux violences conjugales », a expliqué Marlène Schiappa, ministre chargé des Droits des femmes. Depuis le premier janvier 2020, 19 féminicides ont déjà eu lieu. Un chiffre aberrant qui montre qu’en France, les violences conjugales ne sont pas des cas isolés. Depuis le mardi 17 mars, ces femmes, comme l’ensemble de la population française, sont contraintes de rester chez elles. La promiscuité et l’ennui sont des facteurs qui augmentent énormément la violence au sein d’un foyer. Les coups sont multipliés, les femmes ne peuvent plus sortir : la crise sanitaire liée au COVID-19 donne naissance à une autre crise toute aussi meurtrière.

Au niveau national, les numéros d’écoute (comme le 39 19) sont toujours opérationnels, les hébergements d’urgence restent ouverts, les procès au pénal contre les maris violents sont maintenus et les plateformes gouvernementales (arretonslesviolences.gouv.fr) restent également actives. Sophie Buffeteau, Directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité explique que les consignes nationales sont claires : « la protection des femmes victimes de violences conjugales reste une priorité dans tout le pays, que cela soit pour les forces de l’ordre, la justice ou pour les associations ».

Les associations néo-aquitaines restent à l’affut 

Association Maison D'Ella

« Du fait du confinement, pour l’instant, nous avons vérifié que toutes les structures existantes continuent de fonctionner en Nouvelle-Aquitaine. C’est le cas et elles fonctionnent aujourd’hui en télétravail avec un système de déportation des numéros fixes sur les portables. Que ce soit les centres d’hébergement ou les associations : les dispositifs actuels continuent de fonctionner » rassure Sophie Buffeteau. En Gironde par exemple, l’APAFED héberge des femmes victimes de violences avec les gestes barrières et ont remplacé les entretiens physiques par des téléphoniques. Le centre continue de fonctionner normalement avec les femmes et les enfants qui y sont hébergés.

A Bordeaux, de nombreuses associations font preuve de bonne volonté malgré les mesures de confinement. Le CIDFF (Centre Information sur les Droits des Femmes et des Familles) assure pour sa part des entretiens téléphoniques de soutien psychologique sur rendez-vous au 05 56 48 40 62. Le CIDFF a également mis en place des permanences juridiques téléphoniques au 05 56 44 30 30 du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 14h à 17h. Par ailleurs, la Maison d’Ella assure des permanences téléphoniques aux heures d’ouverture au 06 31 05 85 78 et poursuit les consultations psychologiques et les entretiens de soutien par téléphone, WhatsApp ou Skype. La Maison des Femmes assure aussi la continuité des accueils violences par téléphone sur la ligne habituelle au 05.56.51.30.95.

Une situation très inquiétante

« Ce que nous remontent les associations en général, confie Sophie Buffeteau, c’est moins d’appel. C’est extrêmement inquiétant. En particulier car il y a beaucoup de femmes qui appelaient régulièrement, mais qui n’avaient pas encore franchi le pas de partir. Ces femmes là, elles n’ont plus de contact aujourd’hui. Cela reflète aussi ce qui se passe au national car le 39 19 reçoit beaucoup moins d’appel également » Muriel Bichaud, éducatrice spécialisée et co-fondatrice de la Maison d’Ella, partage cet avis avec angoisse. A la Maison d’Ella le téléphone ne sonne plus. « C’est justement d’après nous très inquiétant, explique Muriel Bichaud. On imagine que la période de confinement ne permet pas aux femmes d’avoir un petit moment personnel pour faire des démarches. Nous sommes toujours sollicités à la Maison d’Ella et d’habitude le téléphone sonne sans arrêt. Mais là, il ne sonne pas…. ».

Ce silence perturbant vient s’ajouter à l’inquiétude qui anime les associations pour la santé physique et mentale de ces femmes qui doivent rester chez elles. Bien plus qu’un mauvais moment à passer, pour ces femmes violentées le confinement est synonyme de véritable calvaire. Comment se protéger physiquement ? Comment ne pas perdre la tête dans un environnement malsain ? Muriel Bichaud énumère quelques idées qui ont été développées à la Maison d’Ella : « nous continuons les suivis thérapeutiques. Nous avons aussi créé un « kit de soutien au confinement » que l’on envoie par mail avec des petits exercices de brain gym pour respirer un peu. Ce sont des outils pour s’apaiser car c’est très anxiogène pour ces femmes d’être enfermées. Notre psychologue danseuse a enregistré des séances de méditation que l’on transmet par mail, en plus d’offrir une écoute attentive et un soutien fort en cas d’urgence. »

Quelles solutions pour les victimes ? 

Violences conjugales

En plus des numéros d’écoute, toujours fonctionnels en cette période inédite, d’autres solutions sont mises en place. Face à cette baisse significative des appels dans les centres spécialisés, des propositions alternatives s’ajoutent à l’aide psychologique par téléphone. Des plateformes permettent de signaler une situation dangereuse par exemple. Sur le site national « arretonslesviolences.gouv.fr », il est possible de signaler en ligne une violence. Il n’est en effet pas toujours possible de téléphoner lorsqu’on est constamment enfermée avec un mari violent. L’écriture en ligne vient donc comme un autre recours, plus discret, plus rassurant.

Muriel Bichaud, de la Maison d’Ella, rappelle : « le conseil reste le même : appeler le 17. Ce qui est primordial c’est la mise en sécurité de la femme et des enfants. J’ai contacté la semaine dernière le service d’aide aux victimes du commissariat de Bordeaux, qui a répondu dans l’instant par mail. Ils sont très réactifs. » Sophie Buffeteau soutient également cette idée : «  Le commissariat de Bordeaux a une adresse dédiée sur internet (victime-bordeaux@interieur.gouv.fr) où les femmes peuvent envoyer un mail avec une réponse dans les 24h… ».  Se confiner pour une femme en danger n’est pas la priorité absolue : il faut avant tout qu’elle soit en sécurité.

Mais est-il possible de fuir lorsque la situation devient critique et malgré l’interdiction de sortir ? « On peut fuir, cela m’a été confirmé par la police, répond la Directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité. Les femmes peuvent fuir, aller porter plainte et les forces de l’ordre doivent prendre leurs plaintes. ». 

La responsabilité de chacun

La solidarité. Un mot qui prend tout son sens dans des situations de crise. En période de confinement, les femmes ne peuvent peut être plus téléphoner mais elles peuvent être entendues par les voisins. La parole des témoins est encore plus précieuse en ces jours.  « Si on entend des cris, des pleurs, des bruits, qui dépassent le simple cadre de la dispute, il faut le signaler : soit en composant le 17 ou le 39 19 »  explique Sophie Buffeteau. Si les associations ne peuvent plus accompagner à 100% ces femmes victimes, c’est aux citoyens de prendre le relais. « Depuis le confinement, la semaine dernière, nous avons appelé le 17 une fois pour des violences sur une femme », confie Muriel Bichaud. La cruauté ne connaît pas le repos.

Affiche Nous Toutes

La mobilisation va encore plus loin. Le mouvement de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, NousToutes, mené par Christine De Haas, a lancé une pétition adressée à Emmanuel Macron. Son nom : « Confinement : protégeons les femmes victimes de violences #Coronavirus ». Cette pétition en ligne demande 5 choses, au gouvernement français, pour une protection optimale de ces femmes battues : l’envoi d’une consigne immédiate à tous les services de police ;  la mise en place (comme en Espagne) d’un service d’alerte ouvert 24h sur 24h par messagerie instantanée avec une fonction de géolocalisation ; le maintien des places d’hébergement existantes ; lenvoi d’une circulaire à tous les juges aux affaires familiales pour leur demander d’être réactifs sur la délivrance des ordonnances de protections et enfin la mise en place d’une assistance psychologique, juridique et sociale aux victimes.

En plus de cet engagement politique fort, le collectif NousToutes apporte chaque jour des conseils sur ses réseaux sociaux (site internet et instagram). Par exemple, l’organisation conseille d’imprimer une affiche d’information contre les violences et de la coller dans le couloir de son immeuble. Il est aussi possible de partager un visuel de prévention sur ses réseaux sociaux. Chaque geste compte dans des périodes critiques comme celle que nous traversons.

Affiche Nous Toutes

La bonne volonté de chacun est un début, mais pas une vraie fin en soi. D’autres solutions doivent être envisagées, si le confinement se prolonge, notamment. Beaucoup d’associations girondines engagées dans la lutte contre les violences (Planning Familial, Maison des Femmes, Apafed, etc) ont évoqué une nouvelle solution : réquisitionner des chambres d’hôtel pour aider les femmes qui veulent fuir leur foyer. « Cette idée concernant les chambres d’hôtel vides nous a été transmise tout récemment au niveau de la Région. Nous commençons à travailler dessus… » avoue Sophie Buffeteau. Affaire à suivre, de très près, même si, à cette heure, la situation nous pousse à rester loin les uns des autres. 

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