Dans l’antre de Starperche : frissons de haute voltige


Maxime Giraudeau
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 19/01/2020 PAR Maxime Giraudeau

18h30, Palais des Sports de Bordeaux. L’attente est déjà longue pour entrer dans l’arène et seuls quelques invités ou accrédités peuvent se faufiler à travers la queue. Les places en bord de piste trouvent rapidement preneurs : le public veut pouvoir entendre un athlète respirer. Ce sera difficile avec un stade sur-motivé, prêt à donner de la voix. Après treize ans d’attente, les puristes commençaient effectivement à ne plus y croire. Là, ils sont servis. D’un mouvement de tête, on passe d’une discussion technique entre Renaud Lavillenie et son entraîneur Philippe d’Encausse, à Jean Galfione le champion olympique de saut à la perche en 1996, qui court après ses enfants, et juste ici Damiel Dossevi et Marion Lotout, les organisateurs de l’événement, réglant les derniers détails logistiques.

Bulle mentale
A dire vrai, la seconde a surtout dans le viseur les Jeux Olympiques de cet été à Tokyo. Pour cela, il lui faut franchir 4m70 soit dix centimètres de mieux que son record personnel établi en 2013. Pas facile de se mettre dans une bulle mentale hermétique quand on connaît 90% des personnes présentes sur la piste. Marion ne sautera pas dans les meilleures conditions de concentration, mais doit ressentir une griserie démentielle. Dans ces 90%, il y a bien sûr Ninon Guillon-Romarin, la recordwoman de France de la discipline, perchée à 4m75. Les perchistes commencent à enfiler les sauts d’échauffement.

Ninon Guillon-Romarin, recordwoman de France, effectue ses réglages

Hommes et femmes, chacun a sa piste d’élan d’environ 30 mètres avec un sautoir au bout. Celle des masculins est un peu plus longue, prise de marques oblige. On vous jure que certains athlètes masculins s’élanceront presque des vestiaires, si on est un peu Marseillais. Attention aux mirages, un Lavillenie peut en cacher un autre ce soir. Ne vous y méprenez pas : Renaud est recordman du monde avec 6m16 et Valentin, le frère, suit les traces de l’aîné depuis leurs débuts au club de Cognac. Avec 5m82 l’an passé, il s’est même fait un prénom.

L’échauffement est l’occasion pour le speaker d’expliquer quelques rudiments de la discipline au public néophyte. Lui c’est Jean-François Raffalli, le fondateur du Perche Elite Tour. C’était en 1995. Déjà au micro vendredi soir pour le concours des « vieilles charrues », il assurait le show entre Stéphane Diaz, champion du monde vétéran et Jean Glafione. Ça en fait du beau monde. Jean-François Raffalli détaille un à un le palmarès de la vingtaine d’athlètes prêts à s’envoler. A l’applaudimètre et sans surprise, victoire de Damiel Dossevi, Marion Lotout, tout juste derrière Renaud Lavillenie. C’est la vie de champion olympique.

Le public tremble
Pointes acérées aux pieds, combinaisons au corps, perche en main et hauteurs en tête, les perchistes s’élancent. Yeux grands ouverts, poils hérissés, clappant des mains, le public exulte : la première athlète du concours franchit sa barre à 3m88. Côté hommes, Damiel Dossevi commence « bas », à 5m08. De toute façon, il est « là pour faire de la figuration » disait-il juste avant. Pas à en croire les encouragements du public qui le portent sur un air de Johnny Hallyday. Le DJ est innocent, c’est l’athlète qui choisit sa musique de saut. Il franchi la barre au deuxième essai avant deux échecs à 5m23. Il n’a plus qu’une chance. Le public tremble et le speaker remotive les troupes. Le Palais des Sports porte Damiel de toute sa voix, comme un cri pour qu’il ne sorte pas si vite du concours, car c’est un peu grâce à lui s’il a lieu. Il lève sa perche, lance sa foulée, l’allonge, met du rythme, plante sa perche dans le butoir, la fait plier avant de se faire propulser au-dessus de la barre. La salle se lève : c’est passé à 5m23 ! Le plaisir se prolonge donc jusqu’à 5m38, où il échoue trois fois. Mais la victoire de Damiel est ailleurs : l’ambiance de la salle constitue un nouveau record.

Damiel Dossevi remercie les 1500 spectateurs de Starperche pour leur ferveur

Sa camarade et co-organisatrice Marion Lotout entame son concours à 4m18. La barre est survolée au premier essai. Le public est stupéfait par la facilité. On monte alors de quinze centimètres et Ninon Guillon-Romarin se pointe dans la compétition. Le duel se dessine. C’est Marion qui saute la première pour tenter d’effacer 4m33. Essai manqué pour la bretonne d’origine. Pas mieux pour son adversaire de la soirée. Les deux perchistes doivent s’y reprendre une deuxième fois. Marion ajuste les réglages et passe proprement les 4m33, performance de niveau international. Ninon lui emboîte la perche et fait de même. Le public commence à avoir l’ivresse des sommets. On est pourtant encore loin des minimas olympiques pour Tokyo, perchés à 4m70.
Rajoutez quasiment un mètre de plus et vous aurez la barre d’entrée dans le concours des trois hommes forts de la soirée. Deux sont Français et portent le même nom de famille mais un troisième pourrait se mêler à la lutte : l’Italien Claudio Stecchi, finaliste des mondiaux d’athlétisme à Doha en septembre dernier. Ces trois-là démarrent donc à 5m53. Presque une formalité : il suffit d’un essai à chacun. On croit même que Renaud est à 6 mètres tant il survole la barre – en étant encore un peu Marseillais. Bis repetita à 5m63 malgré une petite faute de Stecchi. Ça chauffe dans le Palais des Sports.

Marion Lotout évoque ses performances au micro de Jean-François Raffalli
 

On se prend à rêver
La stratégie fait son entrée dans le concours féminin. Alors que Marion la joue progressive en montant simplement à 4m43, Ninon veut bousculer le concours et décide d’attendre dix centimètres de plus. On appelle ça « faire l’impasse » dans le jargon. La première engage donc sa perche mais se casse les dents à trois reprises sur 4m43. Marion Lotout est eliminée, elle a dépassé sa limite. Plutôt logique après la semaine de préparation de l’événement qu’elle a vécu. Ninon Guillon-Romarin se voit ouvrir un boulevard, elle qui a sauté 4m70 en septembre à Doha. Même sacerdoce pour la recordwoman de France, mais à 4m53 de haut. Le public pousse derrière elle, 24 ans seulement et des ambitions olympiques en tête. Malgré l’ambiance grisante, elle échoue par trois fois. Les deux femmes n’ont pas fait mieux que 4m33. Starperche offre deux vainqueurs chez les filles.

Même placement pour Valentin Lavillenie

Côté garçons, ils sont encore trois à 5m73. On se prend à rêver, les spectateurs du bord de piste ont la tête qui commence à tourner. C’est la fin de soirée et le climax n’est pas encore atteint. Renaud Lavillenie valide la barre dès son premier essai. Il en faut un de plus pour son frère qui laisse exploser sa joie en faisant sauter le maillot devant les caméras. L’Italien Claudio Stecchi emmène le public au bout du suspens. A son ultime essai à 5m73, emporté par un clapping géant, il est le troisième homme à effacer la hauteur. Difficile de rêver meilleur concours. Prochaine barre : 5m80. Dans le jargon, ça commence à causer. C’est Valentin qui s’y envole le premier, mais sans la valider. Idem pour Claudio puis pour Renaud. Exaltant. Deuxième essai et nouvelles déconvenues pour les deux premiers. Renaud s’élance alors, bondit sur seize foulées et décolle. Geste parfait, propre, fluide. Il ne touche pas encore le sol qu’il crie sa joie. Le plus grand des Lavillenie égale ainsi la meilleure performance mondiale 2020 avec 5m80. La salle comble devient comblée. Valentin et Claudio échoueront à leur dernier essai. Renaud remporte ainsi Starperche, devant son frère. Le charentais d’origine ne tentera pas de sauter plus haut, freiné par une douleur persistante à l’ischio-jambier. Les 1500 spectateurs le pardonnent volontiers, du moins s’il promet de revenir. Pourvu qu’il ne faille pas encore patienter treize ans…

 

Renaud Lavillenie s'envole à 5m80 et remporte le concours avec la meilleure performance mondiale de l'année égalée
 
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