Des Zimbabwéens expatriés en France parlent de leur désarroi face au régime de Robert Mugabe


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Publication PUBLIÉ LE 24/07/2008 PAR Nicolas César

Lorsqu’on leur parle du Zimbabwe, leur regard se remplit de passion et de tristesse. Les gorges sont nouées, mais les mots viennent aisément. C’est le cœur qui parle. Le Zimbabwe, ancienne colonie britannique, est leur pays. « Je suis né au Zimbabwe. Mon père, un Britannique, est venu s’y installer après la guerre, en 1950. J’ai repris ses terres. Ma femme et moi cultivions du tabac, du maïs, du soja sur 3 000 hectares. C’était une vie idéale. Les affaires marchaient bien, le climat était agréable, les habitants étaient gentils », se souvient, ému, Charles Howarth, 50 ans. Mais, ce rêve s’est brutalement effondré en 2000. Le gouvernement du président, Robert Mugabe, a commencé à exproprier de nombreux agriculteurs « blancs », affectant ainsi profondément la filière agricole du pays. « J’ai perdu mes terres, mes tracteurs, tout ce que j’avais investi depuis des dizaines d’années… Des « hommes de main » de Robert Mugabe sont venus nous menacer avec des armes et ont détruit  l’ensemble de ma production en six mois », se désole Charles. « Robert Mugabe a fait croire au peuple zimbabwéen qu’il allait redonner nos terres aux « noirs ». Mais, une fois réélu en 2002, après des élections « truquées », il les a offertes à ses ministres et aux militaires », dénonce t-il, avec rancœur. Une « revanche », selon Gisel Galimore, ex-professeur au Zimbabwe, aujourd’hui installée à Castelnau-sur-Gupie, dans le Lot-et-Garonne. « «Il tenait les « blancs » pour responsables de son échec en 2000 (le premier depuis 20 ans, ndlr) à faire adopter par référendum la nouvelle constitution, qui renforçait ses pouvoirs. Mon mari a perdu son emploi de pilote de ligne dans la compagnie nationale pour cette raison », explique t-elle.

« Il est illégitime »

 Pour eux, la victoire « autoproclamée » de Robert Mugabe en mars aux présidentielles, à l’issue d’un scrutin « ni libre ni équitable », selon les observateurs internationaux, n’est donc pas une surprise. « Robert Mugabe est un dictateur », rappelle Angy. « Il veut rester au pouvoir jusqu’à sa mort. Et pour cela, il est prêt à tout. Il utilise l’armée pour intimider la population, afin qu’elle vote pour lui », dénonce t-elle. « Robert Mugabe a fait tuer des enfants. Les opposants politiques n’ont aucun accès aux médias. Ils ne peuvent même pas sortir dans la rue. Et, il leur a coupé l’eau, l’électricité, l’accès aux hôpitaux pour qu’il n’ait d’autres choix que de partir ou mourir », renchérit Charles, son mari. « Il est illégitime. Tous les Zimbabwéens de moins de 40 ans sont contre lui. Seule une frange minoritaire et âgée de la population, qui a vécu l’accession à l’indépendance en 1980 vote pour lui. Robert Mugabe leur a fait croire que s’il n’était pas réélu, le pays redeviendrait une colonie. Je crois que malheureusement, certains l’ont cru », poursuit Angy.

« Ils ont été torturés pour avoir voté pour l’opposant à Robert Mugabe »

Même si depuis 2004, Charles a refait sa vie avec sa femme en France en reprenant une ferme à Sainte-Bazeille, une petite commune de 2 800 habitants, située dans le Lot-et-Garonne, un département rural de l’Aquitaine, le Zimbabwe, il ne se passe pas un jour, sans qu’il prenne des nouvelles de ses amis restés sur place et suive l’actualité de « son » pays, sur Internet. « La semaine dernière, quatre de nos proches ont été torturés. Uniquement parce qu’ils avaient voté pour Morgan Tsvangirai, chef du principal parti d’opposition à Robert Mugabe, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC)», s’offusque t-il.

« Les Zimbabwéens n’ont plus de quoi manger »

Sur place, leurs amis leur décrivent un pays « au bord de l’apocalypse ». En ville, les Zimbabwéens manquent de tout, de sucre, de pétrole… La famine gagne la population. Le Zimbabwe est face à une guerre civile larvée. « C’est l’anarchie totale. Les gens volent tout ce qu’ils trouvent, des pneus, des toits, des fenêtres. Pour se protéger, certains ont fait construire des murs électrifiés de 6 mètres de haut autour de leurs habitations », raconte Charles.  L’économie du pays est exsangue. Il y a une semaine, le taux annuel de l’inflation au Zimbabwe a atteint le niveau record de 2,2 millions pour cent, soit le plus élevé au monde. 80% des Zimbabwéens vivent sous le seuil de pauvreté. Chaque jour, les prix des denrées de base augmentent de 30 à 40%. Le pain coûte désormais près de 100 milliards de dollars zimbabwéens (soit presque deux dollars américain au marché noir). « Il n’y pas plus de classe moyenne, la plupart des Zimbabwéens sont très pauvres, et quelques uns, proches du pouvoir, sont très riches », souligne Charles.

« Le pays est fichu »

Nombreux sont ceux qui envisagent de quitter le pays. Mais, ils se heurtent à un véritable parcours du combattant. « Il est difficile de quitter le pays avec tout son argent. Les banques au Zimbabwe limitent les retraits à 2 500 dollars zimbabwéens par semaine », rappelle Charles. Les plus désespérés tentent de gagner l’Afrique du Sud par le Limpopo, une rivière infestée de crocodiles… « J’ai encore toute ma famille (11 personnes, ndlr) au Zimbabwe. Ils n’ont plus de quoi manger. Le gouvernement a pris la ferme de ma sœur, maintenant ils veulent s’emparer de celle de mon frère. Ils veulent partir, mais ils n’ont qu’un passeport zimbabwéen. Aucun pays ne les accepte… », s’angoisse Gisel Galimore, professeur, qui a quitté le Zimbabwe en 2000, grâce au passeport britannique de son mari.

C’est avec un brin de fatalisme que ces expatriés observent la réaction des Nations Unies. « Jusque là, la communauté internationale a fermé les yeux, car c’est un pays pauvre, avec très peu de ressources naturelles susceptibles d’intéresser les occidentaux», se désole Charles.  D’éventuelles sanctions financières risqueraient, selon lui, d’être dramatiques pour la population, qui pourrait être la principale victime de ces mesures. Quant à la médiation du président sud africain, Thabo Mbeki, Angy la qualifie de « plaisanterie ». « Ils sont amis de longue date », rappelle t-elle. Elle est tout aussi sceptique sur l’accord-cadre signé lundi entre Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai, le chef de l’opposition pour la tenue de discussions sur un éventuel partage du pouvoir. «Robert Mugabe a signé cet accord pour faire illusion auprès de la communauté internationale. Il n’y a pas d’espoir ». « Le pays est fichu. J’y suis allé il y a six mois, j’ai compris que je ne pourrai plus jamais retourner y vivre », regrette  Gisel Galimore.

Nicolas César


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