Où va le rugby? 1. Enquête auprès des éducateurs et bénévoles de Riscle (32)


Michel Arroy
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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 18/03/2020 PAR Clément Bordenave

Le 12 décembre 2018, après avoir subi un arrêt cardiaque du à un double plaquage lors d’un match contre l’UBB, Nicolas Chauvin, jeune 3e ligne aile et espoir du Stade français décède au CHU Pellegrin de Bordeaux. Ce tragique accident fait suite à un autre décès celui de Louis Fajfrowski un jeune rugbyman d’Aurillac de 20 ans, qui est décédé lui aussi après un match le 10 août 2018, à l’âge de 21 ans. Ces deux morts tragiques à quelques mois d’intervalles jettent un froid sur le monde du rugby. Certains y voient le signe d’une pratique à bannir, d’autres d’une formation déficiente, mais la Fédération française de rugby entend bien mettre de l’ordre dans le rugby français et décide donc de prendre en mains la sécurité des joueurs.  Deux ans après ces deux décès brutaux et tragiques la situation a-t-elle évolué ? Pour y voir plus clair, il est nécessaire de retourner aux fondements de ce sport avec son apprentissage à l’école de rugby. Pour ce faire, petit détour du côté de Riscle dans le Gers.

Pour la saison 2019/2020 le club de rugby de Riscle connait les mêmes difficultés que la majorité des équipes amateurs à savoir un nombre de licenciés en baisse et une image qui peine à s’améliorer auprès des non-initiés. Avec l’arrêt du championnat à cause du Covid-19, c’est l’occasion pour Gérard Lavantes, Didier Peyrezabes et Bernard Duviau tous impliqués dans la vie de ce club, de raconter le rugby d’hier, d’aujourd’hui et de demain à travers le prisme de la formation et de la sécurité des jeunes rugbymen.

Laventes Gérard (dit Gégé), 84 ans, Maubourguetois d’origine et ancien demi de mêlée du Stado Tarbais, crée l’école de rugby de Riscle en 1962. À cette époque l’encadrement n’était pas aussi poussé que maintenant et l’harmonisation des techniques des éducateurs par la fédération n’était pas à l’ordre du jour. Pourtant les entraineurs commençaient déjà à inculquer aux jeunes une philosophie du rugby d’évitement comme on tente de l’imposer aujourd’hui, « à l’époque où j’étais éducateur je trouvais qu’on ne travaillait pas assez avec les enfants le jeu d’appui et la passe, j’en ai donc fait un crédo ! Il fallait qu’une passe soit une offrande, maintenant cela me désespère quand je vois à haut niveau la qualité des passes avec des ballons qui volent en haut de la tête et dans les genoux, il n’y a plus de gestuelle », s’agace Gérard Lavantès.

Ces techniques, Gérard les inculquait de manière ludique et il s’inquiète de la tournure que prennent les entrainements pour les enfants, « à présent on commence à leur donner des boucliers pour aller plaquer dès les poussins… ». Des dérives qui ne lui plaisent pas, mais qu’il ne maitrise plus puisqu’il a laissé sa place à plus jeune que lui après plus de 30 années de bons et loyaux services comme éducateur des sports à la mairie de Riscle.

Les éducateurs et les bénévoles sont en première ligne pour protéger les jeunes rugbymen

Pour Didier Peyrezabes, successeur de Gérard au poste d’éducateur territorial des activités physiques et sportives de la mairie de Riscle, les enjeux pour ce sport sont considérables. Venu du foot, mais fervent supporter de rugby depuis son plus jeune âge avant de devenir entraineur des seniors de Riscle pendant 6 ans, il a notamment joué à Aire sur Adour et à St Astier en Dordogne. Éducateur diplômé d’Etat, Didier conçoit le rugby sous deux casquettes, celle du passionné, mais aussi et surtout celle du technicien, expert en formation. Des experts qui sont précieux pour la Fédération française de rugby, puisqu’ils constituent le noyau dur d’acteurs en lutte contre les dérives dangereuses de l’ovalie. Des éducateurs formés et professionnels comme Didier permettent, entre autres, de faire le lien et de former à leur tour les bénévoles des clubs qui sont en première ligne pour préserver la santé des jeunes rugbymen. Pourtant les exigences demandées aux bénévoles sont strictes et elles peuvent parfois en faire fuir certains, « on demande aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas du temps de Gégé (Gérard Lavantes), des éducateurs diplômés. Ce qui a amené au retrait de beaucoup de personnes et de bénévoles qui n’avaient pas envie de se former sur leur temps personnel et de partir donc pour des formations de deux jours à Tarbes par exemple. Les obligations fédérales nous ont amenés à former les éducateurs, en imposant progressivement ces diplômes, l’organisation de la fédération était au départ très moyenne, parce qu’il fallait aller se former ailleurs. C’est pour ça que moi j’ai formé des éducateurs directement à Riscle », explique Didier. Cette formation « à domicile » tous les clubs ne pouvaient se l’offrir, mais Gérard Lavantès a tenu à défendre cette possibilité devant le comité d’Armagnac-Bigorre, « il fallait mettre en avant la difficulté qu’il y avait pour les jeunes éducateurs de prendre sur leur temps pour aller se former parfois assez loin du club. On avait un éducateur diplômé d’état avec nous donc j’ai fait valider au comité son diplôme, en demandant que les formations puissent se faire directement à Riscle. Alors pendant deux ans avec les clubs des environs nous avons formé des éducateurs et des entraineurs ».

« La situation est toujours dans une phase transitoire »

L’harmonisation à l’échelle territoriale des formations destinées aux éducatuers responsables de la santé des jeunes est pourtant toujours laborieuse selon Didier Peyrezabes: « la deuxième année, j’avais des éducateurs que je formais qui devaient être validés par le comité par l’intermédiaire du conseiller technique. Le jour où mes éducateurs devaient passer les tests, ils ont attendu devant la salle des sports et personne n’est venu, la validation avait été annulée sans prévenir ni les éducateurs ni moi-même. » Au-delà du manque de respect, c’est le manque d’intérêt des acteurs du territoire pour leur mission première, à savoir venir en aide au club, qui inquiète Didier et Gérard. En effet, les CTC (Conseillers techniques de club) censés s’occuper de la mise en place de la formation au sein des clubs sont dans la réalité parfois bien loin de répondre à cette obligation selon Didier, « le travail premier d’un CTC quel est-il ? Est-ce que l’on veut aider la formation des éducateurs en école de rugby ou est-ce que l’on veut que les CTC délèguent ces formations et qu’ils fassent un métier d’entraineur ? Les conseillers techniques qui devaient faire des formations, certains on ne les voyait jamais. Ils étaient plutôt entrain d’entrainer des équipes à droite et à gauche que de s’occuper correctement des clubs », s’agace Didier. Une situation qui tend tout de même aujourd’hui à s’améliorer, « la situation est toujours dans une phase transitoire, entre le projet et l’aboutissement avec la mise en place des actions, on comprend donc que cela puisse prendre du temps et il est vrai qu’aujourd’hui le projet des CTC est mieux intégré par tout le monde », tempère Didier.


Les éducateurs garants de la sécurité des futurs rugbymen

« Le club et les éducateurs ont aussi une grosse part de responsabilité, il faut que chacun prenne conscience de ça et qu’on fasse le bon choix sur le rugby que l’on veut enseigner à nos jeunes. Plus l’éducateur sera performant, formé et sérieux, plus l’enseignement sera intéressant et sécurisé. Si le produit que tu proposes est bon, les enfants seront présents et les parents aussi, même s’ils ont une appréhension ils comprennent vite que les jeunes prennent le moins de risque possible », rassure l’éducateur de Riscle.

Pourtant comme dans tous les sports d’affrontement les joueurs se doivent d’avoir une « bonne agressivité ». Souvent, la frontière est mince pour l’enfant encore en développement et il appartient donc à son encadrant de mettre des limites en fonction des règles, mais aussi de son âge selon Didier Peyrezabes: « dans le rugby, il est très facile de mettre de l’agressivité et de faire mal sans aucun danger, ni pour soi-même, ni pour l’adversaire. Pour cela c’est très simple, il suffit d’appliquer la règle du placage et d’appuyer fort à l’impact, ce n’est nullement interdit et sans danger. Je trouve effarant de voir des gamins de 14 ans déclencher des bagarres générales et d’avoir sur le bord du terrain des entraineurs qui ne réagissent pas et des parents qui encouragent », s’exaspère Didier.

Parmi tous les responsables, ce sont donc bien les éducateurs qui sont sur la ligne de front pour lutter contre la violence et ces dérives qui pèsent sur le rugby. Pourtant l’agressivité saine, dégagée de toute méchanceté et violence, vers laquelle doit tendre selon Didier tout rugbyman, ne pourra continuer d’exister que dans un cadre strict et réglementé où chaque entraineur devra faire montre de la plus grande fermeté avec ses joueurs, « si un joueur enfreint ces règles, il ne faut pas hésiter à le sanctionner et à le sortir du terrain », affirme Didier Peyrezabes. Des sanctions et des règles qui évoluent, vers moins de liberté pour certains, mais plus de sécurité pour d’autres.

A suivre 2. Rugby professionnel rugby amateur plus qu’une opposition de style


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