Entrepreneuriat social et économie libérale traditionnelle, pas l’un sans l’autre?


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 23/09/2015 PAR Solène MÉRIC

Quand on parle d’économie collaborative, de partage, ou encore d’économie sociale (et solidaire), le tout non loin de l’économie numérique, les discours sont facilement enchanteurs et pleins de promesses d’un avenir économique et social meilleur ; sous entendu une possibilité de gagner de l’argent, sans omettre de prendre soin au passage de son environnement humain et écologique. Même si le tableau idyllique a pris quelques coups de griffe récemment autour de la question Uber et du statut de ses chauffeurs…
Bien sûr, le débat a rappelé que l’économie sociale ouvre des portes que l’économie libérale classique pouvait jusque là difficilement pousser. Exemple hier soir avec la plateforme de crowdfunding Ulule, qui, « permet à la fois de tester une idée pour un porteur de projet, mobiliser sa communauté autour de ce projet et, en cas de réussite de la campagne de crowdfunding, trouver un financement complémentaire pour le réaliser », témoigne Mathieu Maire du Poset. Mais souligne-t-il, si la formule est intéressante à l’échelle du projet, « elle ne peut pas être un business model, on ne vient pas par ce biais chercher des fonds propres ». De ce point de vue là, alors, le modèle classique des investisseurs publics et privés dont les banques, a encore de beaux jours devant lui. D’ailleurs, qu’il s’agisse d’Ulule, du think tank Ouishare ou du « super fablab » Usine IO, les trois fondateurs présents au débat expliquent être passés par des modes d’investissement relativement classiques… Ce qui ne veut pas dire que ceux-ci, ne se mettent pas peu à peu au diapason de cette nouvelle économie, explique la banquière du groupe d’intervenants, qui cite plusieurs initiatives dans ce sens : partenariat avec Ulule, mise en place d’espace de co-working pour l’accompagnement de start-up, etc.

L’absence désespérante de culture numériqueDans cette relation économie sociale — économie de marchés classique, les entreprises dites justement « classiques », comprennent peu à peu l’intérêt qu’elles ont à jouer à la mode collaborative, notamment sur leur problématique de R&D et d’innovation. Mais, un peu désespéré par l’absence de culture numérique des ténors « qui accrochés à l’idée de hiérarchie, acceptent mal celles de partage et de collaboration », l’économiste Yann Moulier-Boutang pointe que l’adaptation n’est pas facile : « le problème des grandes entreprises françaises, c’est que lorsqu’elles rachètent des start-ups innovantes, bien souvent elles les tuent… Même si, tempère-t-il, le problème a tendance à se résoudre, grâce aux tiers lieux, qui permettent de sortir l’innovation de l’entreprise et ainsi d’être plus agile ».
Des tiers lieux, à l’image de l’Usine IO à Paris, qui sur un espace de 1500 m2, permet à ses adhérents de créer des prototypes et de préparer l’industrialisation d’un produit : typiquement un maillon de l’économie collaborative, « qui met à disposition des machines à la pointe et une expertise de haut niveau », explique Gary Cigé, son cofondateur.
Mais, globalement, pour l’économiste, la prise en compte de l’économie numérique n’est pas encore assez développée, ou considérée, dans l’économie française. Et pourtant, « en terme d’inventivité, assure-t-il, nous sommes les champions en Europe… le problème, c’est que nous ne savons pas garder nos idées, d’autres plus à l’écoute ou plus sérieux, nous les piquent. Ajouté à cela que nous avons une absence flagrante de stratégie européenne. Si elle existait, nous pourrions monter l’Airbus de la société numérique ! »

« Un modèle de protection sociale et de santé à réinventer » Mais pointe Marc-Arthur Gauthey, fondateur du think tank Ouishare, une autre faiblesse de taille pèse sur l’économie sociale/collaborative : « il faut inventer une nouvelle protection sociale. L’économie collective est une économie de la précarisation, nous sommes de véritables intermittents du travail. Ce modèle se compose de plus en plus de travailleurs indépendants et d’entrepreneurs, qui travaillent sur des projets dans des tiers lieux, font appel à des financements participatifs, mais n’ont qu’une protection sociale très faible. » Et il ne mâche pas ses mots : « le RSI c’est la corde pour des gens qui pourtant réinventent la société. Nous avons un modèle de protection sociale et de santé à réinventer. » Pour ces acteurs il plaide, au côté de l’économiste, pour un revenu universel de base. « L’économie collaborative nécessite un examen de conscience sociétale », appuie le cofondateur d’Ulule. Autant de questions dont les politiques sont les acteurs principaux… et dont s’accordent les intervenants, ils commencent tout de même à se saisir…
Peut-être aussi faut-il commencer par un examen, pas si facile, de ce qui est de l’ordre du collaboratif et de ce qui en a l’odeur et le goût, mais qui ne l’est pas vraiment. Pour Marc-Arthur Gauthey, les Air B’nb ou Uber, ne sont justement pas de celles-là. « Elles sont innovantes, grâce à la création de plateformes numériques nouvelles, mais ce qu’elles proposent est proche du travail journalier du 19e siècle à l’entrée des mines ou des usines : il n’y pas de finalité commune. Contrairement au financement participatif où le collectif est plus palpable, il y a bien une symétrie dans l’engagement, un échange. »

L’implication plutôt que la subordinationMais cette économie collaborative évolue encore, note-t-il. « De plus en plus de plates-formes de collaboration développent de nouveaux modèles dans la relation entreprise-utilisateurs, en se tournant vers l’idée que le contributeur-utilisateur est de plus en plus dans une relation d’implication dans l’entreprise que de subordination ». Et de citer l’entrée en bourse d’Etsy, qui a fait profiter ses meilleurs vendeurs d’un ticket d’entrée au capital. Mais alors, quand les entreprises « labellisées » économie sociale et solidaire commencent à entrer en bourse, il semble qu’à la question de départ du débat (« à l’aube d’une société de l’économie collaborative ? »), la réponse n’est décidément (et évidemment ?) pas dans le « oui » ou dans le « non » absolu. Tout est question d’équilibre, et, sans doute, d’interpénétration « de fait » des deux modèles.
Une sensation confortée par la récente affaire Volkswagen, chantre de l’économie libérale de marché, qui se voit menacer dans son existence même, car dans son souci de performance jugée à l’aune du seul ratio économique, elle en a un peu trop oublié celui de l’intérêt environnemental planétaire… Un « oubli » (ou plus exactement une prise en compte frauduleuse) dont la première sanction s’est violemment rappelée à l’entreprise, dans le temple même de l’économie libérale de marché : la Bourse…


Suite des débats à Darwin ce mercredi 23 septembre à 19 h : « Nouvelles technologies et innovations, le futur de l’entrepreneuriat social est-il uniquement numérique ? »
et jeudi 24 septembre : « L’entrepreneuriat social un modèle pour les jeunes ? »

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