Gaïactica, l’escape game qui veut sauver la planète


Gaïactica
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 05/06/2019 PAR Romain Béteille

Traditionnellement, les escape game, on y va plutôt entre amis pour se faire peur ou faire cogiter nos neurones, que l’on soit à l’intérieur d’un asile abandonné, d’une prison, d’une pyramide où d’une maison hantée dans laquelle se sont déroulés des évènements tragiques. En France, l’escape game se développe : il existe aujourd’hui pas moins de 720 enseignes dans 420 villes un peu partout dans l’hexagone et pas moins de 1896 salles, un chiffre en constante augmentation. À la recherche de sensations fortes ou d’expérience collaborative, cette expérience se tourne sans cesse vers de nouveaux marchés pour tenter de surprendre ses adeptes où de se trouver un nouveau public. Il est un sujet qui est en train de prendre de plus en plus de place dans la société et dans l’opinion publique : le réchauffement climatique et, plus globalement, la conscience écologique. Le rapport du GIEC paru en octobre 2018 a fait grand bruit, et le prochain rapport du Haut conseil pour le climat, attendu pour le 25 juin prochain, risque d’en faire encore, tant son objectif de mesure les effets de l’ensemble des actions pour le climat au niveau national apparaît ambitieux.

Les récents rapports sur l’extinction des espèces et les effets de l’homme sur la biodiversité ont, en plus d’entamer sérieusement le moral, éclairé des nouveaux enjeux et des adaptations à venir pour préserver la planète, certes de manière anxiogène. Face à ces constats, Dorian Tourin-Lebret (capitaine du vaisseau), jeune ingénieur de 31 ans, s’est certainement dit qu’il y avait un coup à jouer. C’est en voulant mêler la rigueur des recherches scientifiques et l’aspect ludique de l’escape game qu’il a monté le projet que vous pourrez tous voir en septembre à Cap Sciences. S’il n’est pas le seul (d’autres, comme à Toulouse sur la préservation de l’eau où à Marseille sur les énergies nouvelles, se sont engouffrés dans l’idée de l’escape game « écolo »), Gaïactica, dont le nom fait autant appel à la déesse grecque de la Terre qu’à l’espace, est un peu unique en son genre. Et on va tenter de vous expliquer pourquoi. 

Première brique

Pour cela, il faut d’abord faire un petit détour (ne vous inquiétez pas, on a assez de carburant dans le vaisseau) par le parcours professionnel de son géniteur, celui qui en a conçu la majorité des plans. Au départ, on ne peut pas dire que la conscience écologique ait animée Dorian dès son plus jeune âge. « En 2011, mon niveau de conscience se situait à environ 2,5 sur 10. Ma famille n’était pas particulièrement sensibilisée sur ces sujets. J’ai découvert les choses petit à petit en développement l’entreprise, à la fois personnellement et professionnellement. Ça a commencé à prendre vraiment de la place. Plus exactement, je me suis demandé comment je pouvais avoir un impact ». Dorian a une formation d’ingénieur (il a étudié à l’École Centrale de Paris) et un profil d’autodidacte. « Dès que j’ai été en formation, j’ai eu envie de faire un maximum de choses par moi-même. J’ai senti que j’avais une fibre, une envie d’inventer des choses nouvelles, d’apprendre ».

Dorian Tourin-Lebret

Dorian a un profil plutôt atypique, on vous le dévoile avant de rentrer dans le vif du sujet.

Il a aussi l’esprit d’un entrepreneur, et précoce avec ça : en 2010, il fonde sa première société, « Smart Impulse » (avec deux associés), spécialisée dans l’efficacité énergétique. « L’idée, c’était d’aider de grands bâtiments à mesurer leur consommation d’électricité de manière innovante, grâce à un compteur électrique intelligent qui permet de deviner où va l’énergie. On met une pince autour un gros câble d’alimentation et on peut mesurer la répartition électrique des bâtiments ». Après avoir développé le prototype de capteur, ensuite breveté, Dorian se spécialise en entrepreneuriat avant de devenir le Président et Directeur Technique de la société, « deux semaines avant de terminer ma formation d’ingénieur ». À sa tête durant sept ans, il fait naviguer son vaisseau amiral en récoltant, au passage, quelques prix pour son innovation (Agoranov en 2011, Cleantech, Oseo et le « prix de l’innovation » de la ville de Paris en 2012 ou encore le « concours national de la création d’entreprise » dans la catégorie « construction durable » en 2013). Aujourd’hui, Smart Impulse est non seulement toujours actif mais déployé dans 26 pays et ses compteurs présents dans plus de 600 bâtiments (bureaux, hôtels, commerces) en France. 

Petits détours

Dorian, en revanche, n’en est plus le Président. On pourrait dire qu’il a la bougeote, où l’envie inconsciente de se challenger en permanence, et l’on aurait à peine tort de dire que sa conscience écolo, il l’a gagnée en installant des compteurs. « Travailler dans une entreprise avec une gestion internationale, une trentaine de collaborateurs, ça ne me laissait plus l’occasion de me retrouver face à une feuille blanche. C’était un quotidien qui ne me convenait plus, je voulais inventer quelque chose ». Dorian se cherche mais surtout, il cherche l’idée qui va le relancer, celle qui va remplir les blancs. Il enseigne l’électronique en école d’ingénieur, conseille des entrepreneurs, acccompagne des start-ups dans le développement de leurs innovations, fait un peu de communication vidéo pour des jeunes sociétés…

Il se lance aussi dans la création d’un jeu de société (non sans s’être formé à l’agroécologie et à la permaculture « de manière intensive », tout un paradoxe…) qu’il baptise Supermaculture, un jeu de société coopératif qu’il conçoit entièrement en autoédition. « Je me suis aperçu que la permaculture fonctionnait comme un jeu, avec des choix à faire mais aussi une part de hasard. J’ai vu qu’il n’existait pas de jeu dans ce registre, alors je me suis lancé ». La suite est plus logique, dirons nous. « Je sentais une envie de faire tourner mon parcours professionnel autour du partage de choses qui m’ont marqué et ont donné du sens à ce que je faisais, et d’orienter tout ça dans une approche légère, ludique. Je voulais réunir mon parcours d’ingénieur avec ma volonté d’agir face aux enjeux de la planète. C’est comme ça que Gaïactica est né, à l’été 2018 ». 

L’échappée belle

D’abord seul face à sa feuille blanche, l’ingénieur conçoit les premières esquisses de ce qui sera par la suite le fameux « escape game » coopératif. « Ça ressemblait déjà à une aventure immersive où les joueurs entrent dans un vaisseau spatial qui peut traverser le temps et doivent prendre les bonnes décisions pour limiter l’impact du changement climatique ». Comme Dorian n’a jamais l’air de vouloir faire les choses à moitié, voilà ce qui distingue principalement Gaïactica des autres jeux du même type : la réalité scientifique. « C’est une simulation grandeur nature du dérèglement climatique. On y va pour s’amuser dans un vaisseau spatial à essayer de sauver la terre et tout est conçu pour que tout ce qui est sérieux et scientifique ne soit ni trop présent ni trop pesant. Pourtant, c’est basé sur des choses réalistes, sans jugement de valeur. On met à disposition un panel d’action et les joueurs décident si c’est bien ou pas. On peut aussi aller plus loin pour les gens qui le veulent. Au moment de l’atterrissage, les joueurs ont un débrief par un animateur (l’agent d’embarquement) sur les actions prises, leurs impacts et ce qui a été déterminant dans l’aventure en faisant le lien par rapport à la réalité, sans forcer une vision ».

La quarantaine d’actions et les multiples scénarios possibles ont été créés avec un souci de coller réellement aux projections scientifiques actuelles, en étroite collaboration avec le monde de la recherche, et certains scientifiques ont servi de « caution » pour valider le contenu de l’expérience aux scénarios réalistes : le climatologue Jean Jouzel, membre de l’Académie des Sciences, et le photographe-réalisateur Yann Arthus-Bertrnad en sont sans conteste les exemples les plus parlants. Au travers des énigmes, des codes à déchiffrer, des reconstructions de schémas et des manipulations mécaniques effectuées par les participants, c’est tout un monde aux connaissances très pointues qui s’ouvre dans l’espoir que, peut-être, celui qui sortira du vaisseau n’aura plus tout à fait le même regard qu’au moment où il y sera entré. 

Gaïactica

De nombreuses petites mains, notamment des illstrateurs de BD de science-fiction, ont participé à la conception du « vaisseau ».

« J’ai réalisé un premier projet de présentation pour le montrer à des partenaires potentiels, les retours ont été très positifs », continue Dorian. Plus qu’à se mettre à la tâche. À lui les joies du développement informatique et électronique, les animations 3D, la simulation jeu vidéo servant à donner l’impression aux participants qu’ils sont réellement en train de piloter un vaisseau dans l’espace. Mais comme il est impossible, dans un projet de cette envergure, de tout faire tout seul, il s’accompagne de quelques spécialistes, chacun dans son domaine : illustrateurs (bande dessinée, jeux-vidéo), décorateurs, scénographes, peintres en bâtiments, menuisiers et spécialistes des décors en résine.

Nouveaux systèmes 

Née en janvier 2019, la société Gaïactica est actuellement à pied d’oeuvre pour construire les décors de sa première création (au départ baptisée « Mission Climat »), aujourd’hui sélectionnée parmi 1000 projets (dont 300 dans la catégorie « environnement et transition énergétique ») pour faire partie des 40 lauréats de la « Fabrique Aviva« , qui répartit un million d’euros entre les lauréats. Gaïactica y a obtenu 5405 votes, les votes sont clos et les résultats définitifs sont attendus le 14 juin prochain. Une autre campagne, en revanche, est toujours en cours : une campagne de financement participatif sur Ulule. Il reste encore, à l’heure de boucler notre rapport pour l’envoyer à l’Empire Galactique, 27 jours à la campagne pour récolter un « idéal » pour l’instant fixé à 20 000 euros, mais dont le premier palier de 5000 euros a été dépassé le lundi 3 juin dernier. Le projet, d’un coût total de 300 000 euros, a déjà été soutenu par le Conseil Régional a hauteur de 108 000 euros. L’argent récolté via la campagne de crowdfunding, lui, vise à rendre l’expérience encore plus immersive : des hublots pour observer la Terre de l’espace au deuxième palier (10 000 euros), un système sonore plus performant au troisième (15 000 euros) et même deux casques de réalité virtuelle pour une sortie extravéhiculaire, dans le but de réparer le vaisseau endommagé, au quatrième palier (20 000 euros). Les paliers 5 et 6 seront dévoilés si le deuxième est atteint, Gaïactica a donc encore quelques surprises dans ses propulseurs.

D’autant que Dorian a déjà l’air d’avoir de la suite dans les idées. « Une fois que le vaisseau est construit, on pourrait imaginer d’autres scénarios à développer autour de la biodiversité, de la pollution de l’air ou du plastique. On pourrait développer de nouvelles missions pour compléter l’expérience ». Développé à la fois pour le grand public, les professionnels et les scolaires (5000 élèves par an venus de toute la métropole sont espérés), il permettra, grâce à l’appui de Cap Sciences, d’accueillir une demi-classe dans le vaisseau pendant que l’autre moitié participera à des ateliers autour du dérèglement climatique et de ses effets directs au niveau de la région Nouvelle-Aquitaine (biodiversité, trait de côte, température). Gaïactica décollera donc le 28 septembre prochain et sera dévoilée au grand public. Dans le même temps, après sa rencontre avec Yann-Arthus Bertrand, Dorian Tourin-Lebret a obtenu le financement de deux autres « expériences immersives ludo-pédagogiques » autour des économies d’énergie, prévues elles aussi pour la rentrée 2019 à la Fondation GoodPlanet, au sein du domaine de Longchamp. Peut-être les prémices d’un nouveau genre d’escape game avec un tout autre but : permettre aux participants de prendre conscience, tout en s’amusant, du chemin qu’il reste encore à faire. 

L’info en plus : Pour avoir toutes les informations sur le projet, rendez-vous sur le site https://www.gaiactica.net/

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