Il y a 70 ans, Bordeaux était libérée


Mathieu Presseq / Aqui.fr
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 27/08/2014 PAR Mathieu Presseq

Vers la mi-août 1944, l’Armée allemande qui occupait Bordeaux sentait le vent tourner, notamment depuis le débarquement de Normandie. Avant de se retirer de la ville, celle-ci avait planifié de détruire son port et ses ponts. Mais plusieurs protagonistes ont fait en sorte que cela n’arrive pas, et on peut aujourd’hui leur savoir gré que la Belle Endormie n’ait pas été défigurée au cours de cette période.

Le port et les ponts de Bordeaux épargnésS’il est quasi-impossible d’attribuer cet exploit à un acteur en particulier, on peut néanmoins lister avec plus ou moins de certitude ceux qui ont contribué à la préservation de la ville. Etonnamment, l’un d’entre eux était un soldat allemand qui assurait nuit et jour la garde du blockhaus de la rue Raze, abritant des explosifs : Heinz Stahlschmitt. « Le 1er août 1944, pour des raisons personnelles, il entre en rapport avec des éléments de la Résistance, le docker Ducasse et l’instituteur Dupuy, et leur indique les moyens de faire sauter le blockhaus ; après examen des lieux, les deux hommes renoncent à tenter l’aventure. Le feldwebel s’offre à réaliser l’opération, moyennant la garantie de sa liberté et la protection de la Résistance. Le 22 août, après de nouveaux préparatifs, qui se révéleront sans objet, Stahlschmitt agit seul avant l’heure prévue : le blockhaus de la rue Raze saute avec ses gardiens : il est 20 h 50. L’Allemand trouvera un abri dans les jours difficiles, 100, cours de l’Yser ».

L’explosion du blockhaus est néanmoins attribuée à l’action de la Résistance bordelaise. Ce qui a suffi pour inquiéter le commandement allemand, qui pensait que la Résistance avait plus de forces qu’elle n’en avait réellement. Cependant, il est peu probable que ce soit cet événement qui ait rendu impossible les destructions décidées par l’Armée nazie. Cet abandon du plan de destruction prévu par le commandement allemand est avant tout le résultat de négociations organisées entre le maire de Bordeaux Adrien Marquet et le Hafenkommandant Kühnemann. Antoine Cayrel, député-maire du Bouscat, un envoyé du maire, a demandé au vieux négociant bordelais Louis Eschenauer de rallier son ami le Hafenkommandant Kühnemann à l’idée de sauver le port de Bordeaux. Le général allemand Nake a ainsi présidé une conférence organisée par Kühnemann. Ce dernier a laissé entendre qu’il était prêt à donner satisfaction à la requête des pouvoirs publics concernant Bordeaux si les 50.000 hommes qui formaient alors les troupes allemandes avaient l’assurance de pouvoir se retirer de la ville sans être attaqués par la Résistance. Après tractations, un appel à la population a été rédigé dans ce sens : « En tant que commandant suprême des troupes allemandes de la région de Bordeaux, je déclare qu’aucune destruction n’aura lieu dans Bordeaux et l’agglomération bordelaise, et que le port et les ponts de Bordeaux, qui sont minés, ne seront pas détruits si la population s’abstient, jusqu’après le départ des troupes allemandes de Bordeaux et de l’agglomération bordelaise, de tout acte de sabotage ».

Départ des troupes allemandes et Libération de BordeauxL’accord de Nake était intervenu de justesse car Kühnemann avait reçu l’ordre de commencer les destructions. Au verso d’une affiche du général Nake, on pouvait lire la convention suivante : « Toutes les troupes des Armées allemandes d’occupation devront avoir quitté la ville de Bordeaux le dimanche 27 août, à minuit au plus tard. La ville, le port, les installations portuaires et les ponts devront rester intacts. Les troupes américaines et alliées, ainsi que le maquis, ne pourront occuper la ville qu’à partir de 0 heure et une minute, lundi matin 28 août 1944 ».

La plupart des échelons d’arrière-garde allemands avaient déjà commencé à franchir le Pont de pierre au soir du 26 août. Le 27 août, les rues de Bordeaux sont presque désertes. « Les rares passants ne découvrent pas sans inquiétude les fortins improvisés sur certaines places ou devant les édifices publics, dissimulant à peine une mitrailleuse et ses servants. Aux abords de l’Hôtel de ville, le spectacle est moins discret ; agents de police français et soldats allemands montent la garde ; un camion chargé d’un canon de 75 stationne à proximité. C’est le lendemain, 28 août, que les Bordelais pourront sans retenue chanter victoire. Dès 6 h 30, les colonels Adeline et Druilhe, escortés de maquisards, pénètrent dans la ville et rejoignent le Quartier général, rue Vital-Carles. […] Un peu plus tard, les colonels et leur troupe se rendent à l’Hôtel de ville et, à 7 h 30, assistent à la montée des couleurs, devant une foule mal éveillée, qui se presse pour accueillir les hommes du maquis. […] Dans Bordeaux pavoisé, les quartiers du centre seront tout au long du jour une véritable fourmilière en révolution ou une kermesse désordonnée ; les tractions-avant des F.F.I. (N.D.L.R. : Forces françaises de l’intérieur, regroupant les forces militaires gaullistes, communistes et giraudistes), un maquisard allongé sur chaque aile, mitraillette en main, réclament impérativement le passage ; éclosion d’officiers cours de l’Intendance, place de la Comédie et rue Vital-Carles ; groupes de maquisards un peu débraillés en quête de l’ennemi du jour : collaborateur ou milicien ».

Répression spontanée et justice populaireMais l’euphorie de la Libération s’accompagne également de règlements de compte, souvent sanglants, envers les traîtres à la patrie. Le nouvel ordre cherche à faire table rase de ces quatre années peu glorieuses, en commençant par s’en prendre aux opportunistes et zélés serviteurs du régime de Vichy. « La répression spontanée et la justice populaire s’exercent déjà. […] Cours Georges-Clémenceau, une cinquantaine de personnes gesticulant mènent un homme blême porteur d’un panonceau pendu au col « Vendu » ; place Tourny, un attroupement, des rafales de mitraillettes : des maquisards tirent au jugé sur d’invisibles miliciens, qui cherchent, paraît-il, leur salut sur les toits des immeubles. […] Près de l’Hôtel de ville, rue Bouffard, dans la cour de l’Hôtel Lalande, qui abrite la permanence de la police, quelques femmes au crâne tondu sont parquées, craintives, inquiètes ou d’une haineuse agressivité, sous l’oeil goguenard d’hommes armés ; ce sont les collaboratrices du quartier qui ont trahi à leur manière en acceptant les hommages de ceux qui sont partis. Sur le cours Victor-Hugo, des femmes coupables du même crime défileront dans le plus simple appareil en tête d’un bruyant cortège et devant les passants plus surpris et gênés qu’approbateurs ».

Bordeaux est libérée mais pour ses habitants, après le temps du soulagement, vient celui de l’agacement. Et ce, dès le lendemain de la Libération, le 29 août. « Après quatre années d’occupation, d’égoïsme triomphant, de méfiance, de divergences d’opinion et de comportement, le retour à une existence plus normale ne pouvait s’opérer sans remous. […] Le 29 août, l’enthousiasme de la « Libération » tombe déjà, chacun reprend contact avec les dures réalités et l’anarchie s’installe dans la ville. Le département et la ville étant provisoirement pourvus d’autorités responsables, le public admet difficilement que se prolonge cette sorte d’anarchie qui lui paraît être la caractéristique des forces du maquis. Les allées et venues, sans raisons apparentes de véhicules automobiles ou de camions chargés de F.F.I. impressionnent fâcheusement les passants qui estiment que le carburant pourrait être plus utilement employé. Les contrôles d’identité, effectués à chaque instant par des jeunes gens armés et d’une tenue évidemment négligée, inquiètent l’opinion. On souhaite que soient mis en caserne ces jeunes gens bruyants, qui se livrent parfois sur les places publiques à des tirs sans motifs et, la nuit, emplissent la ville de détonations intempestives. Les accidents provoqués par la manipulation maladroite des armes ne sont pas de nature à rendre supportables ces hommes du maquis, qui sont pourtant les mêmes que la foule a accueillis dans l’enthousiasme au matin du 28 août comme des libérateurs ».

Il faudra attendre la venue du général Chaban-Delmas à Bordeaux le 6 septembre 1944 pour que la hiérarchie des pouvoirs soit reconnue. Et le 17 septembre 1944 pour que le général de Gaulle vienne à Bordeaux rétablir l’autorité. Un accueil chaleureux lui sera réservé. Il prononcera notamment cette phrase particulièrement applaudie : « il faut que le pays se relève dans l’ordre et que les Français marchent la main dans la main ».

Toutes les citations ci-dessus sont extraites de « Bordeaux au XXe siècle » de Joseph Lajugie, 1972

C’était à la une de Sud Ouest le Mardi 29 août 1944 (notre photo)Extrait de l’ « Appel à la population » signé par le Comité de la Libération :

« La liberté est reconquise. L’ordre républicain sera assuré. L’union des Français est certaine. La souveraineté nationale est garantie et la volonté populaire se manifestera librement dès que les circonstances le permettront. Obéissez, en attendant, aux autorités qui ont la confiance de la Résistance et sont nommées par le gouvernement provisoire de la République. Restez calmes et disciplinés : JUSTICE SERA RENDUE A TOUS. Vive la France et Vive la République ! ».

Extrait de l’édito de Jacques Lemoîne, fondateur de Sud Ouest :

« Enfin sonne l’heure si longuement, si anxieusement, si douloureusement attendue ! […] France, France la douloureuse, France la crucifiée, voici qu’enfin peu à peu ton supplice se termine. Voilà que jour après jour, membre par membre, tu te sois détachée de l’instrument de torture et d’ignominie où l’on t’avait clouée. […] L’ennemi s’était emparé de toi, puis t’avait mise sur la claie pour te torturer moralement et physiquement avec les plus savants raffinements de cruauté, afin de t’arracher ton âme. Il était dans son rôle de barbare, d’astucieux barbare. Mais tes enfants, ô notre France vénérée, tes enfants, voilà ceux qui t’ont fait le plus de mal, n’est-ce pas, ô notre mère ? Leurs insultes, leurs sarcasmes, leurs reniements, leur critique horrible et ridicule, leurs accusations toujours plus odieuses, cette misérable coulpe qu’ils battaient chaque jour sur ta poitrine sacrée, c’est cela surtout qui fut affreux, n’est-ce pas, ô terre de nos ancêtres, synthèse de nos gloires et de nos deuils, incarnation sacrée de notre orgueil national et de notre génie rayonnant, France dont l’étranger disait que Sans toi le monde serait seul… […] Mais ils n’étaient pas nombreux, vois-tu, malgré le bruit qu’ils faisaient. […] La presque unanimité de tes enfants, elle, t’a été obscurément, obstinément fidèle. Pendant quatre ans, elle a dû se taire devant l’abjecte flagellation, participant en frémissant à ton martyre. Chaque coup que tu recevais, nous le recevions dans notre cœur. Quand ton beau visage apparaissait meurtri sous les soufflets et les crachats de tes enfants sacrilèges, nous détournions le nôtre pour essuyer nos yeux, ravaler nos larmes de rage, de honte et de dégoût et te dire tout bas la litanie de notre amour ».

Une exposition au Centre Jean Moulin jusqu’au 31 mai 2015Du 28 août 2014 au 31 mai 2015, le Centre Jean Moulin de Bordeaux accueille une exposition sur la Libération de Bordeaux pour célébrer son 70e anniversaire, à travers plus de 400 documents, photographies et objets. Une exposition qui met aussi à l’honneur tous ceux qui, par leur courage, leur abnégation et leur refus, ont su reconquérir cette liberté volée et sauver Bordeaux d’une destruction programmée. Plus d’informations sur le site de la ville de Bordeaux

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