Instant de vie – Quand l’invisible devient visible c’est qu’il est gênant


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Temps de lecture 1 min

Publication PUBLIÉ LE 16/01/2012 PAR Joël AUBERT

Un homme, pieds nus, ses basquets à la main, tremblant et désorienté, veut traverser cette double-voie sans emprunter le passage piéton. Scène banale ? Pas vraiment. Car pour avancer, il ne fait que des petits pas hésitants, comme si le moindre mouvement l’effrayait ou le faisait souffrir. Une première voiture le dépasse en faisant un écart, mais la seconde est bien forcée d’arrêter sa course. Le bus, qui vient de quitter son arrêt, doit faire de même. Les autres piétons semblent indifférents à cette scène, la vie va son train, et les seules personnes y prêtant attention sont ces conducteurs enragés derrière leur volant.

Il est à présent au milieu de la voie de gauche, mais il lui reste encore une bonne distance à parcourir qui semble insurmontable. Je m’avance alors vers lui, en lui proposant mon bras. Au début surpris, il finit par accepter et se remet en marche, péniblement. Quelques pauses rythment cette traversée si banale pour tout le monde, mais si longue apparemment pour lui. À peine a-t-on passé la première file que les voitures repartent à toute allure, cherchant à rattraper cette perte de temps. Une fois arrivés au trottoir d’en face, je hèle une pharmacienne sortie à ce moment-là pour qu’elle vienne prendre le relais. Surprise, elle finit par s’avancer et je reprends ma route à mon tour. Cela ne m’a pris que quelques minutes et ne m’a rien coûté. Je n’ai fait que tendre le bras pour que cet inconnu traverse en sécurité, sans tomber, et légèrement plus vite. C’était un geste simple, que personne d’autre n’a voulu tenter. Évidemment, l’homme était sale, son visage montrait que la vie l’avait amoché, il n’arrivait pas à articuler de phrases et balbutiait des syllabes incompréhensibles. Mais le fait qu’il se soit mis en danger l’espace d’une traversée lui aura permis de retenir l’attention d’autres hommes habituellement trop occupés à foncer. Faut-il donc gêner pour exister aux yeux du monde ?
Photo : xornalcerto

Sophie Turi

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